|

Aurore: l’histoire derrière la légende

Le documentaire <em>Aurore: entre mythe et réalité</em> revient sur un épisode macabre, le lundi 8 décembre à 20 h sur ICI Télé et ICI Tou.tv.

CHRONIQUE / On a à peu près tous vu les deux films sur Aurore, l’enfant martyre. On se souvient tous de la marâtre qui met les mains de la petite sur le poêle, au son appuyé et grotesque de l’orgue.


0:00Écouter la version audio

Mais on en oublie presque que cette histoire est bel et bien réelle, qu’une véritable enfant a subi les sévices de sa belle-mère, qui lui faisait boire de la lessive et la brûlait de son fer à repasser, dans le village de Fortierville dans Lotbinière.

Coréalisé par Sébastien Rist et Aude Leroux-Lévesque, selon une idée originale et un scénario de Jean-Simon Chartier, le documentaire Aurore: entre mythe et réalité revient sur cet épisode macabre, le lundi 8 décembre à 20 h sur ICI Télé et ICI Tou.tv.

Une remise en contexte fouillée et pertinente d’un fait divers qui a passionné tout le Québec. Tellement qu’on en a fait une pièce de théâtre à peine quelques mois après le drame et qui demeure à ce jour le plus grand succès théâtral au Québec, devant Broue.

Je me suis rendu compte que j’en savais finalement bien peu sur Aurore Gagnon, dont la mère dépressive est décédée alors qu’elle n’avait que 10 ans.



Comme le père, Télesphore Gagnon, un cultivateur, avait besoin d’une femme pour tenir maison et élever les enfants, il s’est remarié avec Marie-Anne Houde, la fameuse «belle-mère».

L’œuvre apporte un regard très contemporain sur ce cas célèbre, notamment sur la façon dont les journaux et le premier film traitaient du sujet, parlant de «la femme Gagnon», la qualifiant de marâtre et minimisant la culpabilité et l’aveuglement volontaire du père.

Très rare, l’existence d’une femme capable de commettre de tels gestes frappait forcément l’imaginaire.

La bande-annonce d'«Aurore: entre mythe et réalité» (Radio-Canada)

L’analyse sur le traitement médiatique est fascinante; sans équivoque, les faits divers faisaient vendre des journaux, qui décrivaient l’affaire Aurore avec moult détails. J’admets avoir été tenté de relire certains articles de l’époque, tous archivés sur le site de Bibliothèque et archives nationales du Québec (BAnQ).



Plusieurs témoignent, dont Janette Bertrand, qui jouait une voisine dans le premier film, et Hélène Bourgeois Leclerc, qui a donné une certaine humanité au personnage de Marie-Anne Houde dans le film de 2005, malgré ses gestes inhumains.

Véritable document d’histoire, Aurore: entre mythe et réalité retourne dans les archives, notamment dans les notes du médecin qui a procédé à l’autopsie et montrant des objets qui ont servi aux sévices.

Le documentaire s’appuie notamment sur plusieurs extraits de l’épisode des Grands procès consacré à Aurore, datant de 1994, avec Léa-Marie Cantin dans le rôle de l’accusée.

Il n’est pas tout à fait vrai d’affirmer que Lucie Mitchell, qui jouait la marâtre dans le premier film, n’a plus jamais eu de rôle par la suite — elle figure dans une dizaine de films, téléthéâtres et téléromans. Mais trop associée à ce rôle marquant, elle ne se voyait confier que des rôles secondaires sans importance.

Aurore: entre mythe et réalité décrit aussi comment le procès, s’il avait lieu aujourd’hui, se serait déroulé de tout autre façon.

On avait réglé la chose en sept jours et le jury, composé uniquement d’hommes, n’avait pris que 15 minutes à délibérer avant d’envoyer Houde à la potence — elle sera finalement graciée, avant de finir ses jours en prison. Imaginez: il faudra attendre 1971 pour que des femmes soient admises dans un jury.

Le documentaire se termine à Fortierville, qui porte encore le souvenir de l’enfant martyre.

Au terme du procès, le juge s’était laissé aller à une charge émotionnelle qui serait impensable de nos jours. De plus, on faisait témoigner les enfants sans aucune protection, les jetant dans la fosse aux lions, à la merci de la défense.

Mais déjà à cette époque, on pouvait invoquer l’aliénation mentale. D’un plaidoyer de non-culpabilité au départ, l’accusée l’avait changé pour plaider coupable après quatre jours de procès, le psychiatre expert invoquant alors la «folie des femmes enceintes» pour expliquer son comportement, ce qui n’a pas convaincu le jury.

Alors que le film de Jean-Yves Bigras en 1952 jetait tout le blâme sur Marie-Anne Houde, celui de Luc Dionne en 2005, intitulé tout simplement Aurore, pointait du doigt le curé du village.

Plusieurs anecdotes ponctuent le documentaire, notamment que la pièce de théâtre de 1921 se concluait avec une chanson, dans laquelle Aurore pardonnait à ses bourreaux, à l’image de l’esprit catholique qui prédominait à l’époque.

Faisant écho à la fillette de Granby, l’œuvre se termine à Fortierville, qui porte encore le souvenir de l’enfant martyre.

Un documentaire éclairant et dénué de sensationnalisme, à voir assurément.


Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@lesoleil.com. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.

Richard Therrien

Richard Therrien, Le Soleil

Chroniqueur télévision au journal Le Soleil depuis 2001, Richard Therrien carbure à son petit écran. Celui qu’on surnomme «l’encyclopédie de la télévision» a d’abord œuvré au magazine TV Hebdo de 1996 à 2001. Sa spécialité: la télé québécoise. On peut l’entendre régulièrement commenter l’actualité télévisuelle au 98,5.