Résidence permanente: «Une histoire d’amour impossible»

Sabrina Kouider Philippon a un permis de travail fermé pour soigner au Québec. Depuis l'abolition du Programme de l’expérience québécoise, son souhait d'obtenir la résidence permanente au Québec est incertain.

«On vit dans l’angoisse permanente», lance Sabrina Kouider Philippon. L’infirmière clinicienne fait partie des professionnels à qui l’on aurait quasi garanti la résidence permanente, alors que le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) était toujours en vigueur. Depuis son abolition, c’est une autre histoire.


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Sabrina se retrouve «dans le flou»... un brouillard épais dans lequel elle entraîne, malgré elle, son conjoint et ses deux garçons.

«Nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir», dépeint l’infirmière clinicienne, qui avait accepté de revenir pratiquer au Québec avec les conditions d’immigration favorables mises en place lors de son dernier recrutement en octobre 2023.

À son arrivée à Sherbrooke en juin 2024, Sabrina constate qu’un premier programme ferme, le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ).

Légèrement inquiète, Sabrina s’apaise en se disant qu’il reste toujours le PEQ. Il est finalement suspendu en juin 2025, puis aboli en novembre.



«Une vraie douche froide», lance l’infirmière.

Le temps file pour Sabrina.

«Concrètement, il me reste un an et demi avant la fin de mon permis de travail. Ça va quand même très vite. On ne peut pas se permettre d’attendre l’échéance pour prendre une décision et on ne peut pas quitter en catastrophe non plus», ajoute-t-elle.

Un Québec pourtant prometteur

Sabrina et son conjoint ont pris la décision de revenir au Québec et plus spécifiquement à Sherbrooke, en partie parce que c’est ici que leur vie a pris un important tournant.

«Ce n’était pas prévu, mais on a eu notre premier enfant ici au Québec. Lui, il a sa citoyenneté. On avait vraiment aimé vivre ici la première fois», raconte l’infirmière.

De 2016 à 2018, Sabrina et son conjoint avaient eu un premier permis de travail fermé au Québec. L’arrivée de leur premier enfant les a ramenés en France auprès de leurs familles.

À la naissance de leur cadet, le couple a aussitôt envisagé un retour au Québec, plus précisément à Sherbrooke.

«Pour la sécurité, tout simplement. Là où on vivait en France, on ressentait un fort sentiment d’insécurité, d’incivilité… ici c’est paisible, c’est tranquille», partage Sabrina.

«On a aussi immigré pour l’éducation. L’approche québécoise est très différente avec les enfants. On a une vision bien plus bienveillante des enfants que dans le système français», poursuit-elle.

Sabrina a d’ailleurs récemment réussi à intégrer son aîné dans une classe spécialisée à Sherbrooke.

«Il est autiste et on lui a déjà fait vivre une énorme épreuve en venant vivre ici. Il commence tout juste à être stable sur le plan psychologique et moral», souligne la maman qui craint que les nouvelles politiques d’immigration québécoises nuisent à la santé mentale de son fils.

D’autant plus qu’ils ont quitté tout le réseau de professionnels qu’ils avaient réussi à bâtir autour de lui en France.

«Là, il faudrait à nouveau déconstruire tout ça et lui faire vivre un déracinement?»

—  Sabrina Kouider Philippon, infirmière clinicienne immigrante

Le sentiment de sécurité qu’elle éprouvait au Québec est ébranlé, dit-elle. «C’est comme une histoire d’amour impossible. On s’accroche désespérément… on veut, on aime et finalement on vit du rejet.»

Un engagement moral

Le nouveau programme du gouvernement, le Programme de sélection des travailleurs qualifiés, est, comme l’indique son nom, sélectif.

Sur papier, Sabrina remplit les critères.

Seulement, depuis son inscription au nouveau programme, le gouvernement ne lui a pas offert de soumettre de demande encore.

«Je travaille et je vis en région. Ça vaut plusieurs points, car le gouvernement a une volonté de régionalisation. Ma profession d’infirmière clinicienne praticienne aussi compte», continue-t-elle.

Les autres critères correspondent à l’expérience québécoise et l’expérience de travail sur les cinq dernières années.

Un détail défavorable pour Sabrina, qui ne peut pas compter sa première expérience au Québec, comme elle remonte à plus de cinq ans.

Elle n’a qu’un an et demi d’expériences québécoises, selon le PSTQ.

«On trouve ça dommage et pas vraiment cohérent avec les besoins qui ont été exprimés au Québec [en immigration]. [...] Je pense qu’on va nous laisser partir. Je ne serai pas la seule non plus. Il y aura probablement une fuite de gens compétents et qualifiés», remarque Sabrina.

Une vague de départs qui n’avantagerait pas le réseau de la santé québécois, soutient l’infirmière.

«Je travaille en première ligne [pour le CIUSSS de l’Estrie-CHUS] avec une patientèle de personnes dépendantes, c’est-à-dire avec déficience physique ou des personnes en situation de perte d’autonomie», décrit-elle.

«Imaginez tous ces gens qui quitteront… on veut rester. On est formé et on est intégré. Il n’y a aucun effort à faire. »

—  Sabrina Kouider Philippon, infirmière clinicienne immigrante

Surtout que Sabrina a choisi de quitter le confort de ses conditions en France pour l’avenir de sa famille.

«On occupe aussi des quarts de travail que personne ne veut, des milieux de soins dont personne ne veut», souligne-t-elle.

Refaire ses boîtes

Le permis de travail de Sabrina prend fin en mai 2027.

Une date qui s’anticipe, confirme-t-elle.

L’infirmière a déjà consulté une avocate en immigration pour évaluer ses options.

«Elle nous a conseillé de regarder les prochaines invitations dans le cadre du PSTQ et de voir si quelque chose se dessinait tranquillement», affirme Sabrina.

En revanche, s’il ne se passe toujours rien au début de l’année, Sabrina s’est fait conseiller d’enclencher les procédures pour quitter la province, confie-t-elle.

«On ne peut pas aller à n’importe quel endroit sans d’abord se renseigner sur ce qui existe pour notre fils aîné. Ce sera notre critère principal», assure Sabrina.

L’infirmière fait aussi partie du collectif d’infirmières sur Tik Tok, À nous la RP, qui expose leurs situations d’immigration. Le collectif sera à Montréal ce samedi devant le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration pour manifester.

Rosalie Croteau

Rosalie Croteau, La Tribune

Rosalie Croteau rejoint l'équipe de La Tribune à l'automne 2025. Diplômée de l'Université de Sherbrooke en communication, profil rédaction, elle couvre l'actualité générale de l'Estrie.