
Dossiers majeurs
Assurément, dit la professeure Marie Beaulieu, titulaire depuis 2010 de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, financée par le gouvernement du Québec, et codirectrice du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur les communautés amies des aînés. Entre autres implications.
« J’ai commencé à m’intéresser au vieillissement au milieu des années 80, relate-t-elle. Avec l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé et la baisse de la fécondité, on savait qu’on allait vers là [comme société], même si on s’en est plus ou moins préoccupé jusqu’au début des années 2000. »

« Maintenant qu’il y a plus de 65 ans et plus que de moins de 15 ans, il y a une inversion du poids démographique, c’est vrai. Mais est-ce que c’est dramatique en soi? Je ne pense pas », met-elle en contexte.
Car le marché du travail s’est adapté à cette réalité avec des retraites plus tardives, tandis que ceux qui en sortent plus tôt ont généralement accès à un fonds de pension adéquat.
« Ceux pour qui c’est plus difficile, c’est ceux qui ont perdu leur emploi ou qui arrivent à la retraite avec de petits salaires ou pas beaucoup de fonds de pension. On peut avoir peur qu’ils soient un peu plus un poids économique, mais pour l’instant on n’a pas de représentation avec des modèles économiques qui sont si inquiétants que ça chez nous. »
Ce constat étant fait, Marie Beaulieu met en garde contre la tentation de faire des clivages entre les générations, d’oublier qu’il y a une petite minorité d’aînés à protéger alors que la très grande majorité d’entre eux ont encore beaucoup à apporter à la société.
« Oui il y a plus d’aînés, et oui peut-être qu’on parle plus des rapports entre les générations qu’avant, mais ce n’est pas toujours péjoratif, loin de là », tranche-t-elle.
« Beaucoup d’adultes qui travaillent, par exemple, se tournent vers leurs parents pour aller chercher les enfants à la garderie et s’ils ne les avaient pas, ils seraient mal pris. Cette contribution là des aînés existe. Et il y a des aînés qui sont encore des leaders. On a fait du chemin, mais on a toujours à travailler sur les rapprochements intergénérationnels. »
Car Marie Beaulieu est une partisane de cette approche. De ramener le dialogue entre les générations pour faire en sorte que chaque âge de la vie soit important, qu’on soit capables de se parler les uns les autres et d’avoir des projets communs.
« On est tous dans le même bateau et il faut penser aux conditions de vie de tout le monde, dit-elle. Il faut reconnaître que les gens n’ont pas les mêmes besoins et n’ont pas non plus les mêmes apports à la société. Mais toute génération est susceptible d’avoir ses apports. »
Du bon et du pire
Au plus fort de la pandémie, durant la première vague, les 70 ans et plus en ont pris pour leur rhume, déplore-t-elle. On les a isolés pour les protéger, on leur a reproché d’être confinés à cause d’eux, on a minimisé l’importance de leurs décès en essayant de faire la démonstration qu’il s’agissait de décès « normaux » étant donné leur grand âge.
« C’est incroyable tout ce qu’on a pu dire sur les aînés et ce qui est étonnant, c’est qu’on ne se choque pas plus devant le nombre de décès [causés par la COVID]. »
La crise sanitaire a également accentué l’isolement des aînés et fait ressurgir des manifestations d’âgisme qu’on croyait en bonne voie d’être surmontées.
« Je trouve que les gens ont souvent manqué de générosité dans leur jugement. Quand on regarde une personne de 90 ans, il faut la remettre dans son parcours de vie. Pensons à des dames qui vivaient dans de grosses familles, qui partaient de chez elle pour se marier et qui remplissaient rapidement leur maison d’enfants. Et puis oups, les enfants sont partis, la maison s’est vidée, elles sont devenues veuves. Il y a des gens pour qui c’est la première fois de leur vie qu’ils vivaient seuls. Comment ça se fait qu’on n’a pas cette sensibilité-là d’essayer de comprendre ce que ça veut dire pour eux, qu’ils ont besoin de contacts humains et de ne pas juger, mais au contraire, de trouver la meilleure façon de garder un contact tout en ne les mettant pas en danger? »
Qu’on ne se méprenne pas, Marie Beaulieu a aussi vu du bon dans la pandémie et des initiatives dont elle espère qu’elles perdureront.
Elle nomme par exemple la remise en question des équipes volantes de soins dans les CHSLD ou toutes ces organisations qui ont procédé à des chaînes téléphoniques pour s’assurer du bien-être des plus vieux de leur réseau.
Et elle entrevoit la promesse d’une prise de conscience collective que si la situation des aînés dans les CHSLD reste préoccupante, tous les autres, même s’ils ont quitté le domicile traditionnel pour vivre dans des milieux collectifs, ne sont pas en perte d’autonomie pour autant et aspirent à être partie prenante des décisions qui les concernent.
« On était sur la bonne voie avant la pandémie alors on peut continuer. Il y a de l’espoir, croit Marie Beaulieu. Mais il faut continuer de passer le message qu’être aîné, ce n’est pas nécessairement être vulnérable, être dépendant et être à protéger tout le temps. Et c’est ce qui a peut-être été mal expliqué dans le fond. Un moment donné, on a juste vu l’immunosenescence, c’est-à-dire le fait qu’ils ont un système immunitaire moins fort, et on n’a plus vu tout le reste de ce qu’ils sont et qui va bien. »