
arts et spectacles
Mais parce qu’elle coanimait aussi Les débrouillards, on avait profité de son passage à Sherbrooke pour mettre le cap sur une classe de sciences à l’école Mitchell-Montcalm. Là, elle s’était prêtée au jeu d’un tournage express avant l’entrevue. Sarrau blanc, fiole de liquide fumant en main, regard espiègle sous les lunettes de protection. Et ce rire cristallin qui tintait comme une cuillère sur un bécher.
C’est ce rire-là que j’entends dans le combiné et qui me rappelle le souvenir d’il y a 20 ans (et des grenailles).
La conversation nous ramène à ces belles heures des débuts. Et à la richesse du chemin parcouru.
Karine Vanasse en a fait, du millage, depuis.
Les projets se sont enchaînés et multipliés, ici comme aux États-Unis. Séraphin, un homme et son péché, Blue Moon, Polytechnique, 30 vies, De père en flic 2 et Pan Am sont quelques-unes des nombreuses productions dans lesquelles elle a brillé, au petit comme au grand écran.
Récemment, on la découvrait dans Cardinal, série qui lui a valu le prix Écran canadien de la meilleure comédienne dans une série dramatique et qui est débarquée en français cet automne sur Noovo.
« C’est étrange, parce que, pour moi, c’est un dossier qui n’est pas si récent, étant donné qu’on a terminé le tournage il y a longtemps. Mais je suis contente que les Québécois la découvrent davantage, parce que c’est une série policière dont je suis très fière, un projet qui m’a apporté beaucoup de bonheur. J’ai aimé incarner le personnage de Lise Delorme. »
Avant que la pandémie cloue tout le monde à la maison, la comédienne maintenant établie dans les Cantons-de-l’Est avait le regard planté loin en avant, vers l’horizon où se dessinaient différents possibles.
Derrière le micro
« Tout ça est arrivé au moment où mon contrat avec Cardinal prenait fin, où je pouvais recommencer à chercher des occasions de travail à l’étranger avec des agents américains. Ça a freiné certaines choses, bien sûr. Il y a beaucoup de projets en développement qui ont été mis sur la glace, dont un auquel je tenais beaucoup. Peut-être que j’aurai un deuil à faire, je ne sais pas encore. Mais je n’y peux pas grand-chose, alors j’essaie d’être ouverte à ce que j’ai mis en place. Dans le fond, c’est souvent comme ça dans la vie. On planifie des choses. Et elles se passent rarement comme prévu. »
Certains engagements professionnels ont tout de même pu suivre leur cours.
C’est le cas de l’enregistrement du livre audio Captive, adaptation québécoise d’un récit de Margaret Atwood, qui porte la signature vocale de l’actrice de 37 ans. Une première dans le parcours de celle qui a l’habitude de faire ses propres doublages, en français comme en anglais.
« Je suis fascinée par le travail derrière un micro, par ce que la voix toute seule est capable d’exprimer. J’ai déjà fait de la narration pour des documentaires, mais ça, c’était différent. J’étais vraiment stressée avant de me lancer, mais j’ai adoré l’expérience. C’est quelque chose que je souhaite répéter. »
La portée du bouquin et son histoire ont ajouté à l’importance du projet. Parce qu’il était chargé de sens.
« Le livre est inspiré d’un procès canadien qui s’est déroulé au milieu du XIXe siècle. Une jeune femme a été accusée du meurtre de son employeur et de la femme de chambre. Elle a été emprisonnée, mais on finit par comprendre à travers les chapitres à quel point sa voix à elle, comme femme, n’est pas suffisante pour se faire entendre. C’est étrange parce que, autant le roman La servante écarlate (aussi signé Atwood) nous fait voir une dystopie qu’on ne voudrait pas voir se réaliser dans le futur, autant Captive nous renvoie à un passé qui trouve des échos contemporains. Il y a des paragraphes que je devais recommencer parce que je ne pouvais pas croire ce que je lisais. C’est assez bouleversant de constater que certaines choses se produisent encore aujourd’hui. Qu’elles ont des racines si profondes, en fait. »

L’ancrage Polytechnique
Dans la malle des défis que l’artiste native de Drummondville aimerait relever, il y a le rêve d’un rôle principal en anglais dans une série canadienne.
« Parce que ça me permettrait de faire le pont entre les deux publics du pays. Pouvoir jouer un personnage qui a l’accent canadien francophone, mais qui réussit quand même à avoir sa place comme personnage principal au Canada anglais, c’est quelque chose que j’aimerais vraiment. »
Elle aimerait, aussi, travailler davantage avec des réalisatrices.
« Il y a eu Léa Pool dans mon parcours, mais sinon, j’ai surtout travaillé avec des cinéastes masculins. Cela dit, je réalise avec le temps que, ce qui compte pour moi, plus qu’un rôle, c’est la qualité des gens avec lesquels je travaille. Ça fait toute la différence. »
Évoquer le sujet nous ramène aux ancrages du métier. Aux projets qui ont eu de la portée et qui continuent de résonner. Fort.
Karine Vanasse n’hésite pas longtemps quand je lui demande quelle est l’aventure professionnelle qu’elle considère comme un moment charnière.
« Pour un autre truc, j’ai eu à réécouter récemment la cérémonie soulignant les 30 ans de la tragédie de Polytechnique. La soirée était organisée par les premiers ministres québécois et canadien. Les familles des victimes m’ont demandé de l’animer. Peu de gens ont vu ça, mais pour moi, le moment le plus fort de ma carrière, professionnellement et humainement, c’est celui-là. »
Les discours prononcés ce jour-là reconnaissaient la charge contre les femmes. Le mot féminicide était nommé.
« C’était enfin reconnu. Après 30 ans! J’étais vraiment émue. Je me rappelle avoir pensé : peu importe le reste de ma carrière, dans ma vie, j’ai réalisé ça. Me retrouver là, à cet événement commémoratif, c’était pour moi très significatif. Ça me disait qu’au début de ma vingtaine, quand j’ai eu l’instinct de coproduire ce film (réalisé par Denis Villeneuve) et de jouer dedans, j’ai mené les choses de la bonne façon, avec respect et intégrité. J’ai commencé tôt dans le métier, mais dans ma carrière d’adulte, Polytechnique, c’est un maillon important. Le long métrage a fixé des standards pour moi, il a déposé une certaine façon de voir et de travailler. Je ne peux pas aller en deçà de cette manière honnête de m’engager dans les projets, comme comédienne autant que comme productrice. »