OPINION/ Les travailleurs étrangers temporaires, dont on parle tant dans les officines gouvernementales ces jours-ci, se retrouvent de plus en plus nombreux parmi nos membres dans les usines du Québec. Ils n’ont souvent de temporaires que le nom, puisqu’ils occupent des emplois bien réels et surtout répondent à un besoin permanent.
Dans plusieurs villages et villes en région, cela donne lieu à de belles histoires d’immigration. Leur présence dynamise une région, plusieurs apprennent le français, demandent la résidence permanente et font venir famille et enfants pour faire leur vie ici.
Là où l’intégration est plus difficile, c’est lorsque ces travailleurs étrangers temporaires ne sont que de passage. Ils vivent dans leur coin, se mêlent peu aux autres en raison de la barrière de la langue, vivent séparés de leur famille restée dans leur pays d’origine. Ils sont alors à la merci de l’employeur, puisque leur permis de travail n’est valide que dans un seul établissement. Et l’employeur n’a pas vraiment d’obligation de francisation, ces derniers étant seulement de passage.
Ces travailleurs sont à la merci de l’employeur, qui peut à tout moment révoquer leur permis ou ne pas le renouveler pour un autre terme. Cette précarité peut s’étirer indéfiniment, de renouvellement en renouvellement. Cela devient une main-d’œuvre jetable, précaire, temporaire… de façon permanente!
Même s’ils bénéficient sur papier des droits que leur confèrent les lois québécoises ainsi que nos conventions collectives, dans les faits, ils peuvent difficilement exercer librement leurs droits sous peine de représailles. Trop souvent a-t-on vu certains d’entre eux hésiter à déclarer un accident de travail!
Des espoirs d’immigration déçus
Pire, les espoirs d’immigration permanente s’envolent en fumée. En effet, depuis la révision du programme «Expérience québécoise» par le gouvernement du Québec en 2022, les travailleurs étrangers temporaires moins scolarisés n’ont plus la possibilité d’immigrer au Québec, et ce, même si leur niveau de français était excellent. Ils sont assez bons pour travailler ici, mais seulement comme «cheap labour». Voilà la signification odieuse d’une telle réforme.
Pour les autres, détenteurs d’une formation spécialisée, l’accès à l’immigration demeure très difficile, puisque le niveau de français requis à l’écrit est très élevé, davantage même que celui de plusieurs francophones.
On apprenait cette semaine qu’il y aurait près de 350000 travailleurs étrangers sur des permis temporaires. Pour comprendre l’ampleur du phénomène, précisons qu’il y a 2,875 millions de travailleurs et travailleuses dans le secteur privé au Québec. Les travailleurs étrangers temporaires représentent donc environ 12% de cette force de travail (un peu moins si on considère que certains sont dans le public, notamment comme préposés aux bénéficiaires ou infirmières, par exemple). C’est énorme! On ne parle plus d’un programme marginal. Dans certains de nos milieux de travail, la proportion de travailleurs étrangers temporaires augmente à vue d’œil, jusqu’à représenter parfois près de la moitié des membres.
Une réflexion s’impose. On ne peut collectivement laisser s’installer un tel marché du travail à deux vitesses, qui s’appuie sur la précarité de travailleurs étrangers temporaires. Oui, nos usines ont besoin de main-d’œuvre, et ce besoin n’est pas près de s’estomper. Prenons les moyens pour que ces travailleurs étrangers puissent s’établir parmi nous, dans nos régions, vivre en français avec nous et envoyer leurs enfants à l’école du village ou du quartier.
Dominic Lemieux
Directeur québécois du Syndicat des Métallos (FTQ)