La violence des propos dans l'espace public à la suite des révélations de Catherine Fournier, victime d'agression sexuelle de la part de l'ancien député Harold Lebel, est inquiétante. Et pour Geneviève Paquette, elle soulève des questions sur l'éducation à donner à son adolescente. — C’est dans ce contexte que j’éduque une adolescente : une culture qui place les hommes, leurs droits et leurs désirs sexuels dans le haut de la pyramide du pouvoir. Comment éduquer une jeune femme dans cette culture, la culture du viol, est complexe, voire paradoxal!
Depuis que ma fille a commencé à se déplacer, à parler, à interagir dans ce monde qui est le nôtre, je tente de suivre cette enfant forte, fière, énergique et volontaire, tant bien que mal je dois l’avouer, et très souvent, au pas de course. J’ai voulu l’éduquer en lui disant toujours et encore que le monde lui appartenait, mais que… Parce qu’il y a un mais.
Ce mais se matérialise, par exemple, quand je refuse qu’elle prenne l’autobus seule tard le soir. Elle se sentait dévalorisée par mes propos, car elle veut être autonome, elle est forte et fière vous disais-je : « Tu ne me fais pas confiance! » me disait-elle. Je lui répondais : « Ce n’est pas envers toi que je manque de confiance ». Je lui ai expliqué la nature de mes inquiétudes, tout en la rassurant sur le fait que la majorité des personnes qui composent notre société sont bonnes et l’aideront dans des moments difficiles. Je n’ai pas eu le choix de lui dire que certaines d’entre elles sont mal intentionnées et qu’il est très difficile de les identifier et de les neutraliser et que parmi elles, il y a certains hommes qui veulent prendre le pouvoir sur les femmes, en les forçant à répondre à leurs désirs sexuels qu’ils considèrent comme des droits. Je l’ai aussi informée de la possibilité qu’elle puisse demander à la personne qui conduit l’autobus de ville de débarquer entre deux arrêts pour être plus près de la maison, pour être dans un lieu où elle se sent plus en sécurité parce que bien éclairé ou parce que moins isolé, par exemple. Je lui ai enseigné le bon vieux truc des clés entre les doigts, le poing serré que nous connaissons toutes…
Pire, je vais vous confier que plusieurs fois depuis qu’elle est en âge de pouvoir se défendre, nous révisons ensemble comment résister verbalement ou physiquement à une agression. J’ai éduqué tous mes enfants à crier, à se débattre, à viser les yeux, les parties intimes, à se défendre s’ils faisaient face à une agression. La fin justifie les moyens. J’ai aussi éduqué ma fille au fait que bien que le risque qu’elle soit agressée par un inconnu existe, les adolescentes et les femmes risquent plus de se faire agresser sexuellement par une personne connue de leur entourage. Subir un tel événement de la part d’une personne connue de son entourage lui demandera beaucoup de courage, d’abord pour y survivre et aussi pour s’en défendre, peu importe les moyens qu’elle aura pris pendant et après, car son silence, son dévoilement ou sa dénonciation brisera l’ordre établi, ébranlera les croyances populaires et elle sera considérée alors comme une paria par certaines personnes.
Je lui dis que le monde lui appartient et du même souffle, je lui dis que le monde ne lui appartient pas. Je lui dis que j’aurais aimé pouvoir lui dire qu’elle était libre d’aller et de venir partout, tout le temps, mais que je ne peux pas et surtout, je lui dis que peu importe comment elle réagira si un jour, elle est agressée, ce ne sera jamais de sa faute et que les moyens qu’elle aura déployés incluant les perdre, seront légitimes et valides. Elle aura fait du mieux qu’elle aura pu dans une situation qui ne devait pas et ne devrait pas lui arriver.
Je lui répète toujours et souvent : je serai toujours là pour toi, pour te soutenir, pour t’écouter, pour t’aider! Je lui ai fait cette promesse au bout d’un quai seule avec elle par une belle soirée d’été alors que j’étais enceinte de son frère et qu’elle avait trois ans et quelques. Je sais que jamais je ne faillirai à cette promesse. Elle le sait aussi. Et elle sait que nous sommes plusieurs à être là, des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, dont plusieurs font partie de son entourage très proche, à faire ce qu’on peut, toujours et encore, pour que les femmes soient libres.
Geneviève Paquette
Sherbrooke