La question du foncier agricole et du développement de l’agriculture à l’échelle de petites communautés intéresse depuis longtemps la professeure au département de géographie de l’UQAM Mélanie Doyon. Celle qui s’est notamment déjà penchée sur l’utilisation des terres agricoles par les villégiateurs dans la MRC de Memphrémagog n’a pas non plus manqué de remarquer les grands enjeux d’accès à la terre pour la relève : les terres sont trop chères en plus d’être souvent de trop grandes tailles, puisque la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles interdit leur division en plus petits lots.
Dominique Desautels, conseillère régionale pour le service de maillage ARTERRE en Estrie, tente chaque jour d’aider des aspirants agriculteurs à réaliser leur projet. Même si ce n’est pas l’avenue préférée des aspirants, elle encourage les propriétaires à louer leur terre à la relève s’ils ne l’exploitent pas. « Les deux tiers des propriétaires qui se sont inscrits à ma banque souhaitent mettre leur parcelle en location », remarque-t-elle.
Le hic, c’est que les propriétaires ont souvent de nombreuses conditions et qu’ils sont très peu friands de la location à long terme, constatent Mmes Desautels et Doyon. L’impasse demeure, particulièrement pour les productions fruitières ou si des investissements doivent en plus être faits pour la remise en culture.
Mais entre Rimouski et Rivière-du-Loup, une MRC pense bien avoir mis le doigt sur la parfaite solution.
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Un incubateur repensé
Le projet du Motel Agricole, dans la MRC des Basques, offre depuis l’an dernier à sa relève agricole de s’installer sur une portion de sa grande terre, qui comporte aussi les bâtiments et équipements nécessaires à la production et à la transformation, en échange d’un loyer. Mais à l’inverse du modèle d’inspiration des incubateurs agricoles, qui demande aux entreprises de libérer au suivant après quelques années, les pensionnaires peuvent y demeurer tant qu’ils le souhaiteront.
« Nos jeunes n’ont pas d’argent pour démarrer leur carrière, explique Bertin Denis, préfet de la MRC des Basques. Ça ne les empêche pas d’avoir des idées aussi formidables, convaincues et déterminées que nous on avait dans notre temps. On a voulu trouver une façon de leur donner une chance de réaliser leurs ambitions, et d’aller au bout de leur folie. Sur ce côté, on a bien réussi. »
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En 2022, trois producteurs se sont établis au Motel agricole, qui a été installé à Notre-Dame-des-Neiges, tout près de Trois-Pistoles. Cette année, deux se sont déjà ajoutés, et d’autres sont également en discussion. « On a de la place pour au moins 30 producteurs, ça fait son chemin. On a fait une grande campagne de promotion », note M. Denis, ajoutant que la MRC a également décidé d’y planter une framboiseraie cette année.
« Chemin de croix »
Ce modèle de projet a ainsi permis de contrer l’enjeu de la location à long terme, mais aussi de contourner le principe de grandes superficies agricoles défendu par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ).
« La CPTAQ, dans le monde agricole, c’est nécessaire et obligatoire, établit M. Denis. Sauf que quand vient le temps de faire de la modulation, de penser autrement ou de sortir de la boîte, c’est bloqué. C’est un chemin de croix pour venir à bout de leur faire comprendre quelque chose. »
« C’est un des projets très regardés, insiste Mélanie Doyon. Peut-être que le Motel agricole, dans un sens, c’est le premier endroit où on offre quelque chose qui soit plus intéressant. Le grand principe du Motel peut certainement être reproduit, avec des adaptations qui conviendraient à chacun des milieux. Au Québec, les gens sont très habitués à cette idée de propriétaire exploitant, on n’est pas beaucoup dans la location. Il y a peut-être quelque chose au niveau de la façon dont les gens envisagent les choses qui doit être travaillée, modifiée. »
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Interrogé sur la reproductibilité du projet, M. Denis sourit. « En fait, on constatait un certain retour à la terre et on espérait que ça provoque un fort retour dans notre région. Finalement toutes les MRC du Québec sont en train de vouloir nous copier », lance-t-il.
La MRC a réussi à financer le démarrage du Motel agricole avec le Fonds régions et ruralité du gouvernement provincial, et prévoit que le projet sera éventuellement autonome financièrement.
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Pas assez de ressources
Pour Mélanie Doyon, le soutien financier manque tout simplement pour aider les municipalités à atteindre leurs objectifs. « Les MRC reçoivent des subventions pour des PDZA, et on a récemment ajouté les Plans de communautés nourricières. C’est intéressant, ces planifications-là, pour la réflexion que ça permet. Sauf qu’il y a un angle mort. On n’a pas nécessairement tant de moyens pour les mettre en œuvre. Ça fait longtemps, et c’est la même chose dans d’autres domaines, comme le communautaire. On a des subventions par projet spécifique, mais pour payer la personne qui va faire les demandes de subventions et qui va le faire marcher au quotidien, il y a beaucoup moins de facilité. Pourtant, ca reste un peu central pour le maintien des projets. »
Samuel Comtois, agronome et directeur adjoint du service-conseil Pleine Terre, qui accompagne les MRC dans la planification de leurs plans de développement de la zone agricole (PDZA), croit que des actions sont nécessaires aux paliers supérieurs. « Oui, l’opérationnalité finale devra passer par les MRC, parce que je pense que c’est le gouvernement de proximité qui est le plus efficace pour agir, mais elles ne peuvent pas agir en ce moment. Les seuls endroits où elles peuvent agir, ce sont les microparcelles pour des projets qui, à mon avis, n’ont aucune rentabilité. Il faut que le gouvernement leur donne des pouvoirs », dit-il, évoquant notamment une meilleure capacité à exiger des redevances sur les terres agricoles non exploitées.
Et lorsque des projets naissent finalement dans un milieu, il faut également se montrer prudent, explique Mme Doyon, citant notamment des recherches américaines. « Il faut juste faire attention de ne pas tomber dans le piège et que ça devienne une agriculture qui est seulement accessible à une population très nantie. Je ne suis pas contre ça que les gens veulent payer cher pour des aliments qu’il considèrent mieux. Mais il faut aussi que les projets qui soient mis en place servent autre chose que juste ces personnes-là et soient une source de plus grande justice sociale, de justice écologique. »
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« Pourquoi on ne traiterait pas l’agriculture comme on traite la forêt ? »
La MRC des Basques a été la première à faire l’inventaire et la caractérisation de ses terres agricoles non exploitées au Québec, avant d’instaurer son propre programme de remise en culture des terres en friche. Après deux ans, elle avait récupéré 500 acres sur les 1200 identifiés.
« On a fait école au Québec, confie M. Denis. Mais c’est une question de choix et on ne peut pas tout choisir. Nous, on a choisi l’agriculture comme cheval gagnant. On n’a pas l’ambition d’avoir des industries et des services gouvernementaux. La MRC a été créée à l’origine par les défricheurs, les bûcherons. C’est cette industrie primaire là qui apporte plus de 50 % des revenus des familles dans notre MRC. »
« Il y a une politique qui donne un montant d’argent au Bas-Saint-Laurent pour cultiver la forêt privée, continue-t-il. On donne jusqu’à 1400 $ par hectare. En agriculture, il n’y a rien, rien‚ rien. Pourquoi on ne traiterait pas l’agriculture comme on traite la forêt ? La forêt donne des vraies récoltes aux 80 ans. Pourquoi, en agriculture, où on a des récoltes une, deux, trois, quatre fois par année, on ne pourrait pas donner une aide semblable pour s’assurer que notre capital agronomique soit mis en valeur comme la forêt ? »