Ainsi donc, la ministre semble penser que les locataires sont des tricheurs; qu’ils agissent effrontément; qu’ils jouent, ultimement, dans le dos des propriétaires.
Elle s’est de nouveau surpassée, cette semaine, en commission parlementaire sur le projet de loi 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, en déclarant que la cession de bail ne règle pas le problème [de la crise du logement] et contribuerait plutôt à l’amplifier.
Un argument utilisé par la CORPIQ, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, dans le mémoire qu’elle a déposé à Québec pour défendre la position de ses membres.
«La cession de bail s’est transformée en un marché parallèle où la marchandisation des baux est monnaie courante, souvent sans l’accord du propriétaire et le plus souvent par une désinformation alarmante», prétend son président, Éric Sansoucy.
Le problème serait d’une telle ampleur, toujours selon la CORPIQ, que les cessions de bail entre locataires auraient connu des hausses de 10 % en 2021, de 15 % en 2022 et de 25 % au début de 2023.
Investir en immobilier?
On peut faire dire bien des choses aux statistiques. Mise en garde: avant de tirer des conclusions trop hâtives sur ce prétendu phénomène, il faudrait prendre le temps de décortiquer les chiffres avancés par la Corporation.
Il faudrait surtout tenter de comprendre pourquoi la ministre responsable de l’Habitation persiste à dire que les locataires mécontents de leur situation n’ont qu’à s’acheter une propriété!
Souvenons-nous de sa déclaration incendiaire, en juin dernier, à ce sujet. «Qu’ils investissent en immobilier!», a-t-elle déclaré.
Pas de doute, la ministre s’y connaît en immobilier. Faut-il rappeler, comme l’ont rapporté les médias, qu’elle a connu du succès après avoir acquis en 2019 un duplex au montant de 500 000 dollars à Montréal pour le transformer en cinq condominiums? On connaît la suite: chaque unité de condo a été vendue entre 400 000 et 800 000 dollars.
«Elle-même fait partie des spéculateurs immobiliers qui font entre autres – c’est l’une des causes – qu’on vit dans une crise du logement», avait alors réagi la députée Ruba Ghazal, de Québec Solidaire.
Jeter de l’huile sur le feu
Le projet de loi 31 est censé maintenir la cession de bail, mais ça se ferait, dit-on, à des conditions plus équilibrées entre locateur et locataire. C’est du moins ce que croient comprendre les propriétaires.
Les groupes de défense de locataires n’en sont pas tout à fait convaincus. À vrai dire, ils sont plutôt sceptiques. Ils n’ont pas le sentiment que la ministre de l’Habitation saisit tous les enjeux.
Il y a toute la question des augmentations de loyer, parfois abusives, parfois injustifiées. Il y a aussi les propriétaires-investisseurs qui évincent leurs locataires pour remettre les logements «rénovés» sur le marché à des prix beaucoup plus élevés.
L’avocat chargé de cours en droit du logement, David Searle, croit pour sa part que la cession de bail est nécessaire et permet de maintenir les loyers à des niveaux respectables.
Chose certaine, les opinions divergent selon qu’on s’adresse aux propriétaires, aux locataires, aux partis d’opposition à l’Assemblée nationale... et à la ministre chargée de l’Habitation.
La Commission de l’aménagement du territoire, qui vient d’amorcer l’étude du projet de loi 31, a prévu trois jours de consultations et d’audiences.
Taux d’occupation
En résumé: ceux qui sont branchés sur le monde de l’habitation et qui suivent les grandes tendances savent, eux, qu’avec un taux d’inoccupation des logements de moins de 2 %, le rapport de force des locataires n’a jamais été aussi anémique. À titre de comparaison, le taux d’inoccupation était de 3 % en 2021.
Il y a moins de logements disponibles sur le marché locatif, à moins de payer des prix de fou pour un 4 et demi. L’offre est faible et la demande demeure soutenue. Conséquemment, le prix des loyers augmente.
Il ne faut toutefois pas mettre tous les propriétaires dans le même panier. Ils sont, pour une très vaste majorité, sensibles à la réalité des locataires.
«Ça fait 25 ans que je possède un duplex et je n’ai jamais eu d’ennuis avec mes locataires, m’a confié un propriétaire qui a requis l’anonymat. Je fais en sorte que mon monde se sente respecté.»
Dans le débat qui fait rage sur l’accès à la propriété, il déplore que la ministre France-Élaine Duranceau «jette de l’huile sur le feu» en mettant en opposition les locataires condamnés à rester «à loyer» et les propriétaires, qui ont su investir dans la brique et le mortier.
«On n’a pas besoin de ça, nous, les propriétaires, insiste-t-il. Ce qu’on souhaite, c’est une meilleure harmonie dans nos relations. On loue nos logements à des gens qui aimeraient un jour acheter une propriété, mais qui n’en ont pas les moyens, et qui, pire encore, n’en auront probablement jamais.»
S’il y a une crise du logement, c’est aussi parce qu’il y a une rareté de... logements. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) réclame la construction de 4500 logements sociaux et de 13 400 logements abordables par année.
Pour cela, il faudra que Québec et Ottawa en viennent à une entente, et ce, rapidement. Il y a 900 millions de dollars sur la table.
Qu’est-ce qu’on attend pour bouger? Le logement, ce n’est pas un luxe, c’est un droit. À la condition qu’il soit abordable.
Parce que ce n’est pas tout le monde, madame la ministre, qui a les moyens de s’acheter un petit condo ou un bungalow à 400 000 dollars, même à Drummondville!