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Un « ordre de toasts » au Tim grâce à des Philippins

Patrick et son épouse (à gauche) ont reçu à souper les sept Philippins fraîchement débarqués aux îles. À droite, sa fille Christina et son mari Alex.

CHRONIQUE / C’est une métaphore, presque une parabole. Depuis une dizaine de jours, les Madelinots peuvent commander un « ordre de toasts » avec leur café au service à l’auto, grâce à deux nouveaux employés que le patron a réussi à dénicher.


Aux Philippines.

Le patron, Patrick Chevarie, en a fait l’annonce sur Facebook : « Bonne nouvelle, clientèle du Tim Hortons! Nous servons des toasts (rôties pour les Français) depuis ce matin. Nos deux premiers Philippins sont déjà arrivés et en formation! » Pour les bagels, il faudra attendre encore, cinq autres Philippins sont débarqués jeudi en renfort. Tous les espoirs sont permis, on pourra peut-être même commander un sandwich et, qui sait, revenir s’asseoir et jaser dans la salle à manger.



Y prendre un café le dimanche matin.

Pour qu’un premier client puisse avoir des toasts la semaine dernière, il a fallu un an. Un an de démarches d’une compagnie privée de recrutement avec qui Patrick a fait affaire pour aller débusquer à l’autre bout du monde des employés qu’il n’arrive pas à trouver aux Îles. « J’ai fait 30 entrevues par Zoom, j’en ai embauché 10. »

Encore fallait-il loger tout ce beau monde. « En plus d’avoir la pénurie de main-d’œuvre aux îles, on a une pénurie de logements. Il a fallu que j’achète une maison, que je la rénove, pour qu’ils aient une place pour rester. Ça m’a coûté autour d’un million, juste pour la maison, plus quelques centaines de mille pour la firme de recrutement. »

Tout ça pour faire rouler son Tim.



Elle est là, la métaphore. La pénurie de main-d’œuvre est telle qu’il faille recruter sur un archipel d’Asie du Sud-est pour offrir du pain grillé. Pour satisfaire les clients qui s’ennuient de l’époque où le commerce roulait 24 heures sur 24, qu’on pouvait aller y savourer une soupe, un beigne, siroter un café en se mettant à jour dans les derniers potins.

Cette époque, c’était il y a sept ans. « Ma dernière bonne année, c’était 2016. En 2017, au début juillet, j’ai perdu une dizaine d’employés d’un coup, ça ne s’est pas amélioré depuis », se désole Patrick. Très vite, il a été placé devant des choix difficiles. « En 2017, on a perdu les nuits, en 2018, on a enlevé les soupes, les sandwichs. »

Il a essayé de recruter jusqu’en 2019, puis il s’est résigné. « Un moment donné, je me suis dit, on va travailler avec les employés qu’on a, c’est le commerce qui va s’adapter. Si tu essaies toujours de revenir à ce que c’était avant, tu brûles tes employés. » Il lui en restait une quinzaine sur les 45 qu’il avait avant. « J’ai des employés extraordinaires, j’ai travaillé avec eux. »

Avec les employés qu’il avait, Patrick a calculé qu’il pouvait ouvrir une quarantaine d’heures, du lundi au vendredi de 6 h à 14 h, au service à l’auto seulement. « J’ai maximisé l’auto autant que possible. Mais est-ce que j’étais rentable? Non. Pour la survie du commerce, il fallait plus que ça. »

Surtout qu’il a dû fermer son Subway et son A&W, faute de bras.

Il espère rouvrir le Subway l’été prochain.



C’est là que les Philippins arrivent dans l’histoire. Patrick a entendu parler de cette solution par un autre franchisé, la pénurie de main-d’œuvre n’étant pas l’apanage des Îles-de-la-Madeleine. « La firme s’occupe de tout de A à Z, moi je fais les entrevues et je paye. »

Il l’admet, ça lui a « coûté un bras ».

Déjà avant lui, l’industrie de la pêche s’était tournée vers des travailleurs étrangers, ils sont quelques centaines, des Mexicains surtout, à venir sur l’archipel quelques mois par année pour donner un coup de main à la transformation des fruits de mer et des poissons. Les Philippins, eux, sont aux Îles pour un bon bout, ils ont un contrat de trois ans.

« Déjà, il y en a qui parlent de faire venir leur famille. On aura peut-être une communauté de Philippins aux Îles! »

L'intégration des deux premiers Philippins s'est très bien passée avec les autres employés qui tiennent le fort depuis des années.

Mais pour le moment, l’heure est à leur francisation, une condition sine qua non, évidemment, pour qu’ils puissent s’intégrer à la communauté. « Il y a une étape de passée, mais c’est un nouveau défi qui commence. Ils apprennent super vite, il y en a qui commencent à parler un peu en français, alors qu’ils parlaient juste anglais en plus de leur langue quand ils sont arrivés. »

Pour le mot toasts, ça va.

Patrick a été un des premiers en 2016 à ressentir les effets de la pénurie de main-d’œuvre, un peu comme le canari dans la mine. « Maintenant, tout le monde est confronté à cette réalité-là. On voit de plus en plus de commerces, de restaurants, qui sont obligés de diminuer leurs heures d’ouverture ou de réduire leur menu parce qu’ils manquent de personnel. Ça ne m’étonnerait pas que, d’ici deux, trois ans, ils aillent aussi à l’international. »

J’ai jasé avec Patrick jeudi avant-midi, il attendait impatiemment l’arrivée des cinq nouveaux Philippins, avant les trois derniers à l’automne. La morosité des dernières années fait place à l’espoir. « Ça va merveilleusement bien avec les employés » qui étaient en poste, se réjouit Patrick. « Ça prend habituellement six semaines pour former un employé pour un Tim Hortons, eux, ils sont formés en deux semaines. C’est incroyable! »



La patience des clients devrait être bientôt récompensée.

Mais il y a plus, il y a une communion humaine. « Ce que j’ai d’abord aimé, chez les Philippins, ce sont leurs valeurs. Ils sont croyants et ils ont aussi des valeurs de respect, des valeurs dans le travail et des valeurs familiales très fortes. C’était très important pour moi, les valeurs humaines, ce sont ces qualités que je cherchais. »

Quelques heures après leur arrivée jeudi, il les a accueillis comme il se doit, en les invitant à souper chez lui, aussi avec les deux premiers Philippins, pour faire plus ample connaissance. Ils ont pris une première photo, tout le monde ensemble, avec Patrick et sa famille.

Ils en font maintenant partie.