Chronique|

L’art de rire de soi

L'humoriste Rafaële Bolduc a lâché plusieurs blagues sur le ministre Pierre Fitzgibbon, photo à l'appui, lors de son spectacle au Dr. Mobilo Aquafest.

CHRONIQUE / Ceux et celles qui disent qu’on ne peut plus rien dire ou qu’on ne peut plus rire de tout devraient aller faire un tour au festival Dr Mobilo Aquafest, à Montréal. Iels – oui je fais exprès – verraient qu’on peut faire des blagues sur les queers, sur la santé mentale et pas mal d’autres sujets « controversés ».


S’il n’était pas trop tard, j’aurais conseillé d’aller voir c’est quoi un spectacle de drags. Ça n’aurait absolument rien eu à voir avec les lectures jeunesses qui font la manchette, mais ça aurait surement aider à saisir bien des affaires. Rien de mieux que se frotter à un sujet pour comprendre.

J’aurais probablement aussi suggéré à certaines personnes d’aller voir le spectacle de Zack Poitras, vendredi dernier. Dans cette heure de stand up, Zack a largement parlé de ses propres questionnements sur son identité non binaire, mais aussi de ses amants qui jurent être straight tout en ayant une aventure avec lui.



Avec la complicité d’un public très majoritairement queer – sondage par applaudissements à l’appui – Zack a enchainé les blagues sur ses impasses, ses doutes, ses joies, ses désirs et ses frustrations en tant que personne qui se sent tantôt homme, tantôt femme, tantôt autre, dans un monde qui voudrait qu’il choisisse son camp.

Probablement que certaines personnes trouveraient quelques blagues trop vulgaires, que ce soit lorsqu’iel parle de sexe ou de drogue, mais tout ça m’apparait beaucoup moins vulgaire qu’un humoriste qui se cache derrière le deuxième degré pour régler ses comptes ou de ces humoristes qui traitent leur blonde de « folle » avec tous les clichés sexistes qu’on a entendus mille fois.

Je ne dis pas qu’on ne peut plus faire de blagues sur les relations hommes-femmes, je dis qu’il y a certaines blagues sexistes qu’on a déjà entendues trop souvent. Je me permets de citer (approximativement) un extrait du spectacle de Rafaële Bolduc au Mobilo : « Tout ce qu’on demande aux humoristes, c’est d’être drôle, original et de ne violer personne. »

C’est un truc qui me dépasse dans ce faux débat sur les blagues qu’on pourrait ou qu’on ne pourrait pas faire : pourquoi insister pour refaire les mêmes blagues? Elle est où cette ambition d’être original?



J’ouvre aussi cette parenthèse. Les humoristes qui veulent encore utiliser le mot en N, qui veulent rabaisser les personnes trans, qui veulent continuer les blagues sexistes, vous pouvez. Mais les gens ont aussi le « droit » de souligner que les blagues sont racistes ou transphobes. Avoir le « droit » de dire un truc ne signifie pas être immunisé contre la critique du public. Des salles ont aussi le droit de refuser de s’associer à certains propos. Ou des diffuseurs. Et lorsque plus personne ne voudra accueillir ces humoristes, ils lanceront leur podcast « sans censure » comme les autres.

Zack Poitras s'ouvre sur ses propres questionnements sur son identité et son look.

Ce n’est pas comme si tous les sujets du monde avaient déjà été abordés en humour. Rafaële Bolduc a consacré une bonne partie de son spectacle sur ses troubles alimentaires. Ses suivis avec l’équipe médicale, sa dépression, sa vision décalée d’elle-même, et c’était drôle. Original et pertinent.

Pas de rabaissements, pas de sucre casser sur son dos, simplement de l’autodérision bien dosée sur son parcours et sur les absurdités du système, mais aussi de la santé mentale. Une partie du public réagissait fortement sur certaines blagues, parce qu’elle se reconnaissait. Ça a fait du bien à plusieurs dans la salle.Ça démontre deux choses. On peut rire de tout, ce n’est qu’une question d’angle. Et beaucoup plus de gens qu’on pense ont eu des troubles alimentaires.

Même si Rafaële Bolduc traine une photo de Pierre Fitzgibbon, les deux humoristes ne prétendent pas faire de l’humour politisé ou « intelligent », et pourtant, par les enjeux abordés, même si parfois c’est collé à leur quotidien, on touche des enjeux sociaux actuels. Mine de rien, tout ça était bien plus politique que certains spectacles se prétendant politisés, mais qui servent les mêmes blagues habituelles, remplaçant juste mononc’ Roger par le nom d’un chef de parti.

Les émotions des deux comiques ne se sont pas limitées à un seul segment – comme le fameux numéro touchant où l’humoriste partage un émotif fait vécu. C’était un jonglage constant entre les blagues, la vulnérabilité et l’assurance, comme l’est la vie. Dans une industrie souvent trop lisse, ça fait du bien aussi ce côté authentique.

Si je faisais une vraie critique, je mentionnerais quelques inégalités, un rodage à fignoler, mais ça fait aussi partie du charme de la proposition. Il y a un petit côté « à la bonne franquette », celui de ne pas faire semblant d’avoir du budget, mais qui permet de créer une complicité avec le public, où la présence du quatrième mur n’est pas toujours claire.



C’est peut-être ça qui ressort du Dr Mobilo Aquafest, au-delà de sa proposition parfois décalée – mais pas toujours, on y retrouve Katherine Levac, Guillaume Wagner et Catherine Éthier au travers des Fuck la culture du viol, Tranna Wintour ou Sexe Illégal – un côté très humain qui est difficile de retrouver dans les gros festivals d’humour.

Le festival se poursuit jusqu’au 10 juin.

Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.