Une partie de la population pourrait rester sur sa faim. Celles et ceux qui veulent protéger leur petit boisé en ville, par exemple, n’y retrouveront pas l’outil recherché. Ce n’est pas le rôle du Plan nature, qui a plus à voir avec les plans d’aménagement, d’urbanisme et de protection d’écosystèmes. Ce sont des lignes directrices qui serviront à élaborer des règlements municipaux.
Pour les petits boisés qu’on peut retrouver au bout d’une rue ou en face de notre appartement, il faudra attendre à l’automne lorsque la Ville proposera sa politique des arbres.
Le Plan nature propose de protéger au moins 45 % de son territoire. En ce moment, les milieux naturels représentent 53 % de son territoire. On comprend donc que la Ville souhaite limiter l’étalement urbain, sans pour autant tout figer. Elle se permet de sacrifier encore quelques secteurs, mais pas sans les identifier. Loin d’être radical, ce plan flirte avec le fameux gros bon sens.
Quiconque a déjà survolé Sherbrooke avec Google Map a pu observer à quel point il s’est construit de nouvelles rues et de nouveaux bâtiments en quelques années. Sur les images satellites, plusieurs espaces verts sont, dans la réalité, devenus une ou plusieurs rues avec des immeubles résidentiels. Et ce n’est pas parce que les images sont si vieilles.
Les données partagées par la Ville de Sherbrooke confirment la tendance. C’est plus de 1000 hectares de milieux naturels qui ont disparu depuis 2002. Pour donner un ordre de grandeur, la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, a souligné que le Mont-Bellevue fait 200 hectares. La région a donc perdu l’équivalent de 5 Mont-Bellevue depuis 20 ans.
C’est beaucoup. C’est en bonne partie du développement immobilier ou commercial. Suffit de penser à tout le développement autour de Lionel-Groulx et le Plateau St-Joseph, on dépasse probablement les 200 hectares. Toutes les nouvelles rues entre King Est et le chemin Lemire, un autre 70 hectares, peut-être. Je n’ai donné que deux exemples. Ça monte vite.
Même si parfois on ne parle que de 5 ou 6 hectares pour un projet, on voit bien que sur 20 ans, ça commence à en faire beaucoup. Il serait plutôt irresponsable de vouloir continuer sans balises.
A priori, les intentions dans le Plan nature proposent le cadre nécessaire pour s’imposer des limites tout en se permettant une petite marge de manœuvre. Là, on a la vision. Il reste à rendre ça concret dans des règlements, un exercice déjà entamé avec un RCI, un processus temporaire le temps d’adopter les vraies règles. Mais c’est là que ça va réellement se jouer. En politique, les intentions sont une chose, les actions en sont souvent une autre.
Trop ou pas assez?
Alors qu’on est en train de vivre du jamais vu en feux de forêt – à lui seul, juin dépasse les habituels bilans annuels. Le Québec a traversé une de ses pires saisons d’inondation. L’Estrie et Sherbrooke n’ont pas été les plus touchées par ces situations, mais il faut vraiment se mettre la tête dans le sable pour se croire à l’abri de ces tumultes. D’ailleurs, la région subit les vagues de chaleur. Les canicules n’épargnent pas l’Estrie. Ni les espèces envahissantes. Ou les tiques. Ou les lacs qui asphyxient.
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À quel point faut-il manquer d’ambition et de vision pour prôner une protection à seulement 30 % du territoire comme l’ont suggéré des conseillères et conseillers indépendants? Il y a quelque chose d’irresponsable de s’inquiéter davantage, en 2023, pour les promoteurs que pour l’environnement.
La rengaine voulant qu’il faut protéger l’environnement sans nuire à l’économie est justement la mentalité qui nous a mis dans la situation trouble actuelle. Faut changer la cassette. Oui au développement économique, mais sans nuire à l’environnement. Il faut inverser la priorité.
Sur les 366 kilomètres carrés de la Ville, 31 % sont considérés comme un secteur urbain, le reste est des zones rurales ou agricoles – ce qui inclut les milieux boisés. Ce n’est pas dans le secteur urbain qu’on peut faire beaucoup de protection, sauf le Mont-Bellevue et le boisé Ascot-Lennox. Petite note, le Bois Beckett n’est pas considéré en zone urbaine – elle s’arrête au bois.
Ne viser que 30 % de protection pour le territoire sherbrookois signifie donc être prêt à sacrifier la moitié des terres agricoles, des bois et des milieux humides qui entourent la zone urbaine. Plusieurs villes rêveraient d’avoir une ceinture verte comme Sherbrooke.
Cette fameuse nature qui ressort lorsqu’on vante Sherbrooke, il faut la préserver pour qu’elle demeure un attrait, un atout, une particularité.
Quand on regarde la zone urbaine, il en reste des coins à développer à Sherbrooke. Un nouveau parc industriel nécessiterait peut-être d’en sortir, mais pour le reste, on est loin de la saturation.
La densité de l’arrondissement des Nations est de 2200 personnes par kilomètres carrés, alors que celui de Brompton-Rock Forest-Saint-Élie-Deauville est de seulement 210 personnes par kilomètres carrés. Sans dire que Brompton ou Deauville doivent rejoindre la densité du centre-ville, il y a clairement beaucoup de marge de manœuvre pour que la densité augmente sans nuire à la qualité de vie de personne, bien au contraire. Oui, je pense à toi, Rock Forest.
Ne serait-ce que rejoindre celle de Fleurimont, à 1105, un arrondissement qui présente justement plusieurs facettes, avec des zones plus denses, très urbaines, des zones mixtes, d’autres plus unifamiliales et d’autres carrément rurales.
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Pour donner une perspective, la densité de Montréal est de 4821 personnes par km². Montréal est une île, elle ne peut pas toujours s’étendre de plus en plus comme beaucoup trop de villes québécoises ou américaines ont tendance à faire. Elle se densifie. Sherbrooke peut aussi se densifier. Doit se densifier.
Le Plan nature est donc une étape importante et cruciale pour l’urbanisme, mais aussi pour la qualité de vie de Sherbrooke. Si la Ville ne se donne pas ces balises, elle ne va que s’étendre encore et encore, répéter les mêmes erreurs que sur le Plateau McCrea ou qu’au Carré Belvédère. Ces balises doivent être contraignantes. Sinon, c’est un exercice futile.
On a traditionnellement fait confiance au marché sans jamais mettre de contraintes dans le développement. L’échec de ce modèle est plutôt frappant. Il est temps de changer la façon de faire.
Je dis ça et pourtant, j’ai quand même l’impression que ce que propose le Plan nature n’est que la base de ce qu’on devrait faire comme société.
On n’a plus les moyens de niveler par le bas. Ce n’est plus le temps de se battre contre un plan de protection des milieux naturels, c’est le temps de le rendre meilleur.
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