Aucune surprise. C’était écrit dans le ciel que les cinq anciens administrateurs s’étaient accaparés les millions de la vente du Faubourg Mena’Sen, mais les cinq détournaient les questions, refusaient de répondre.
Attention, il n’y a eu aucune condamnation de la cour. Ce n’est pas ça. En fait, il n’y a presque rien de nouveau dans le dossier. Sauf un petit détail. Mais un important petit détail.
Dans une décision de la Cour supérieure du Québec, on peut lire que les cinq anciens membres du conseil d’administration « ne nient pas s’être partagé les actifs de Mena’Sen ».
C’est la première fois qu’il y a une confirmation de la seule réponse plausible à la question concernant la redistribution des profits de la vente.
Avec cette toute petite ligne, on a tous les morceaux du casse-tête pour pouvoir juger moralement les actes des anciens administrateurs.
En catimini
La décision de la juge Brodeur résume bien leur stratagème. Le 25 février 2022, les actifs immobiliers de Mena’Sen sont vendus en catimini pour 18 250 000 $.
Le 1er mars, les cinq ex-administrateurs ont modifié les lettres patentes pour modifier le nom et pour retirer la clause indiquant que les actifs seront remis à la communauté lors de la dissolution. Une clause commune aux organismes sans but lucratif et aux coopératives.
Le 11 mars, c’est l’adresse de l’organisme qui change.
Le 4 avril, la corporation publie, sous son nouveau nom, inconnu de tout le monde, un avis de dissolution. La même journée, les actifs sont divisés proportionnellement entre les membres et administrateurs. Mais comme il ne reste que les cinq administrateurs en question, c’est donc divisé entre eux.
Ajoutons qu’il y avait aussi un actif net de 1 305 670 $ à se diviser, en plus des profits de la vente.
Plus de 19 millions $. Pour quelque chose qui ne leur a jamais appartenu. Dans lequel ils n’ont rien investi.
C’est important ce détail. Ce ne sont pas eux qui ont fondé l’organisme en 1976. Et même si c’était eux, puisque c’était un organisme sans but lucratif, ce type d’entreprise n’appartient pas aux personnes fondatrices, mais à ses membres et donc à la communauté.
Pour qu’un tel organisme d’habitation, on parle de 168 logements, n’ait aucun membre excepté les cinq ex-administrateurs, c’est qu’on voulait qu’il en soit ainsi. Ce n’est pas un hasard.
Ils n’auraient jamais pu faire ce tour de passe-passe s’il y avait eu d’autres membres. De telles décisions doivent normalement être approuvées en assemblée générale par les membres. Sauf que si les membres et les administrateurs sont les mêmes personnes, il n’y a plus de remparts pour empêcher une prise de contrôle et un détournement de mission.
C’est important, ça aussi. Il y a bien sûr les millions détournés, mais la mission a également été sabotée.
Si les cinq anciens administrateurs s’étaient intéressés au bien public plutôt qu’à leur compte bancaire, ils auraient trouvé de nouveaux membres, ils auraient approché les locataires pour tâter leur intérêt à s’impliquer dans la gestion, ils auraient contacté d’autres organismes d’habitation similaires. Les options pour passer le flambeau étaient multiples. C’était la voie la plus facile.
Au contraire, ils ont pris un chemin caché, ont agi dans le secret, pour s’approprier les fruits de 46 ans d’implications citoyennes et de fonds publics.
Pour avoir siégé à quelques conseils d’administration d’organismes sans but lucratif depuis une vingtaine d’années, il faut un sacré front pour s’octroyer un tel droit.
Immoral
Le processus judiciaire est encore aux balbutiements. Pour rappel, les Habitations de l’Équerre et d’autres organismes d’habitation de la région se sont tournés vers la cour pour réclamer que les biens du Faubourg Mena’Sen soient retournés à des organismes sans but lucratif, comme cela aurait dû se faire avant que les ex-administrateurs modifient les lettres patentes quelques jours avant la dissolution.
L’autre dossier devant la cour est une action collective contre les anciens administrateurs.
Les deux récentes décisions ont refusé les demandes de la défense, les ex-administrateurs, d’annuler les actions juridiques. Donc les procédures se poursuivent.
Tout indique que René St-Amant, Michel Fortin, Patrick Fortin, Jocelyn Morissette et Serge Dubois ont manigancé pour détourner des millions de dollars dans leurs poches. Toutes les décisions prises à l’hiver en 2022 mènent là.
La seule question qui reste : est-ce que la faille légale qu’ils ont utilisée pour s’approprier cet argent va passer le test des tribunaux?
On verra ce que les tribunaux en pensent. Mais la condamnation morale, elle, est pas mal tombée.
Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.