La docteure Marie-Maud Couture, qui était cheffe du département de médecine d’urgence, souligne dans sa lettre de démission : « Les décisions prises par l’établissement, de plus en plus centralisées, sans concertation avec le corps médical, et l’absence de gestion de proximité vont à l’encontre des besoins des patients et de la réalité terrain. »
Des propos qu’on retrouve aussi chez le docteur Benoît Heppell, qui a quitté son poste de chef du département de médecine générale en critiquant le « leadership contrôlant » et la centralisation du pouvoir.
Ajoutons à ces deux départs que la docteure Colette Bellavance avait aussi quitté son poste de directrice des services professionnels à la mi-avril.
On a déjà un système centralisé. Chacune des réformes précédentes a renforcé les directives du ministère au détriment des décisions locales. Le projet de Santé Québec, présentement en études à Québec, va resserrer encore plus cette vis.
C’est un problème qui ressort dans plusieurs enjeux, que ce soit en santé mentale, dans les urgences, en médecine familiale ou dans les services spécialisés, les orientations dictées par le ministère de la Santé s’imposent aux réalités et aux préoccupations du terrain.
Les services offerts sont davantage influencés par les critères qui viennent de Québec que des besoins observés au sein de la population.
Benoît Heppell déplore une incapacité de prendre le pouls du terrain et de les porter jusqu’aux sphères décisionnelles. En tant que médecin gestionnaire, s’il n’a pas d’influence, à quoi bon, se dit-il?
La gestion, ce n’est pas juste une question de paperasse et d’horaires, c’est aussi d’avoir un impact dans les décisions, et c’est justement cet impact que les deux médecins ne ressentaient pas dans leur rôle.
À écouter le témoignage de Benoît Heppell et en lisant la lettre de démission de Marie-Maud Couture, on sent un essoufflement, une désillusion, peut-être. Celle qui vient quand on veut contribuer, apporter un leadership qui fait une différence, mais qu’on se retrouve à davantage avoir un rôle d’exécution.
Marge de manœuvre
On peut se demander quelle latitude ont réellement les directions générales des CIUSSS et des CISSS et ce qui restera lorsque la réforme de Christian Dubé sera mise en place.
Le poids du ministère se fait toujours sentir. À chaque conférence de presse sur un problème – ou un défi! – que le CIUSSS de l’Estrie-CHUS doit dénouer, il y a toujours des contraintes qui viennent d’en haut.
À la défense des directions, leur position est une sorte d’intersection. Une intersection où ça bouchonne facilement.
D’un côté, l’équipe de direction reçoit les orientations et les objectifs du ministère, avec les enveloppes budgétaires prévues, et de l’autre côté, elle reçoit les besoins du personnel, les besoins de la population, la réalité qui ne concorde évidemment pas à ce qui a été planifié.
Les directions doivent faire rentrer des carrés dans des cercles.
Mais ça n’excuse pas tout. À force de faire les contorsions nécessaires pour absorber les différentes réformes depuis 20 ans, les directions sont devenues complices des problèmes.
Je cite le docteur Jean-François Joncas qui œuvre au département de chirurgie et qui s’exprimait sur les ondes de Radio-Canada : « On ne voit plus ça des directeurs d’hôpitaux qui vont se battre becs et ongles pour leur centre hospitalier […] au détriment des politiques énoncées par le ministère, on a maintenant l’impression que ce sont des fonctionnaires nommés […] pour appliquer les règles. »
J’imagine bien quelques directeurs et directrices se défendre de seulement exécuter les ordres, mais leur impuissance devant les décisions du ministère se fait souvent sentir.
De l’ensemble des décisions d’un gouvernement, en fait – les choix en transport, en environnement, en éducation, en logement, en immigration, en pauvreté, tout ça a un impact sur le système de santé.
Plus les ministres en santé se suivent, plus les décisions partent du haut pour s’imposer au reste du réseau. Ce qu’on appelle souvent le top down, mais qu’on pourrait nommer la gestion descendante en bon français.
L’expérience démontre que ce modèle comporte plusieurs failles. Ça mène souvent à des bris de confiance entre les équipes et la direction. C’est plus propice aussi aux déconnexions entre le terrain et la direction. Les relations deviennent impersonnelles – la direction se met à gérer des chiffres plutôt que des collègues ou des situations.
Le leadership collaboratif propose davantage des relations d’égal à égal. Ce n’est pas tout à fait du bottom up – ou de la gestion ascendante –, mais ça permet aux équipes de contribuer aux décisions, de mobiliser les troupes, de créer un lien de confiance, de bâtir des projets en équipe et de créer une réelle dynamique d’échanges. Tout le monde se comprend mieux.
Ça ne signifie pas qu’il n’y aura pas d’initiatives locales, de projets pilotes, de comités régionaux. Le courant de fond demeure.
Malheureusement, ce n’est pas vers ça que se dirige Santé Québec. Le projet de loi prévoit des directions régionales, mais celles-ci devront répondre au ministre, pas à la population locale.
Quel pouvoir et quelle indépendance a une direction régionale lorsqu’elle est nommée par le ministère et que le ou la ministre peut la renvoyer si elle ne répond pas à ses attentes?
Le ministre de la Santé aimerait attirer la crème de la crème, des grosses têtes du privé. Mais pourquoi une personne innovante, brillante, visionnaire et rassembleuse voudrait un poste qui offre si peu de marge de manœuvre?
En ce moment, tous les postes de gestion dans le système de santé ressemblent à une tâche ingrate de gérer des compromis impossibles tout en flirtant avec l’épuisement professionnel.
On le sent dans ses propos, Benoît Heppell a une flamme en lui, une envie de pousser le monde vers le haut, mais il s’est senti étouffé.
La qualité des soins, ça passe aussi par du personnel heureux et du monde qui brille.
Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.