Chronique|

La bonne aventure : ces femmes qui incarnaient la modernité

Le quatuor de «La bonne aventure» : Nathalie Gascon, Michelle Léger, Christiane Pasquier et Joanne Côté.

CHRONIQUE / Lise Payette venait de quitter la politique quand elle a eu l’idée de se lancer dans les téléromans, elle qui avait brillé auparavant comme animatrice de radio et de télévision.


Le 14 septembre 1982, elle revient au petit écran, mais derrière la caméra, comme autrice du nouveau téléroman La bonne aventure, que suivront en moyenne 1 148 000 fidèles à Radio-Canada. Jamais l’œuvre, qui s’est étalée sur quatre saisons et 143 épisodes, n’a été rediffusée depuis.

Après avoir repris Des dames de cœur il y a deux ans, voici qu’ICI ARTV décide de remettre La bonne aventure à l’antenne, le mardi à 19h et 19h30, en reprise le mercredi à 10h et 10h30, à raison de deux épisodes de 30 minutes. Ça fera changement du Temps d’une paix et des Belles histoires.



Alors que les dames de cœur franchissaient la quarantaine, les femmes de La bonne aventure arrivent à la trentaine. Un quatuor d’amies d’enfance très soudées, qui incarnent la modernité, à l’image de « la femme libérée » des années 80.

Si Lise Payette a eu l’idée de se lancer dans les téléromans, c’est un peu grâce à sa fille Sylvie, elle aussi devenue autrice.

« Elle voulait trouver un moyen de communiquer avec les gens et les faire réfléchir, les amener à porter un regard différent sur la société. Un après-midi, quand on regardait une série à la télé, je lui ai demandé : “Est-ce que t’as pensé à ce moyen-là? Il me semble que tu serais bonne là-dedans” », m’a confié Sylvie Payette.

L’idée n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde : La bonne aventure est née.



Ces quatre femmes sont Martine (Nathalie Gascon), la leader, qui évoluera plus tard dans le monde de la publicité, Hélène (Joanne Côté), une avocate, Michèle (Michelle Léger), en instance de divorce, et Anne (Christiane Pasquier), la seule des quatre à jouer le rôle de mère au foyer.

« C’était une période où les femmes devenaient de plus en plus indépendantes et allaient sur le marché du travail. Elles se questionnaient sur leur vie amoureuse et le travail », se souvient Sylvie Payette.

L’autrice admet qu’elle avait un faible pour le personnage de Martine, interprété par Nathalie Gascon, une femme forte qui s’affirmait.

« C’était la plus fonceuse du groupe, qui avait un certain caractère. C’est probablement aussi la femme que j’allais devenir aussi. Elle pouvait être dure mais elle n’avait pas le choix, il fallait briser des chaînes. »

Le rôle de Martine allait révéler Nathalie Gascon au grand public.

Même si son nom n’était pas inscrit au générique de ce premier téléroman, Sylvie Payette conseillait sa mère quand elle était à court d’idées.

« Chaque fois qu’elle était coincée ou qu’elle se posait une question sur un personnage, elle m’appelait et on en discutait ensemble. Moi, j’étais déjà une passionnée de téléromans et d’écriture. »



À partir de la deuxième année, la mère et la fille allaient collaborer de plus près, et ce, pour les téléromans suivants, dont Des dames de cœur et Chambres en ville.

« Il n’y a pas beaucoup d’enfants qui ont la chance d’être si près de leur mère. Chaque fois qu’il arrivait quelque chose aux personnages, elle me racontait ce qu’elle avait elle-même vécu, notamment avec mon père. Ça a été de beaux moments pour moi. »

À sa façon, La bonne aventure était très à l’avant-garde, osant aller là où les autres n’allaient pas beaucoup, même dans les années 80. Quand l’autrice a voulu faire prendre une pilule contraceptive au personnage d’Anne, elle s’est heurtée au réalisateur!

« On était à une époque charnière où ces personnages étaient assez à l’avant-garde pour qu’un réalisateur puisse décider qu’il ne voulait pas qu’on montre ça à la télé. Après négociation, maman a réussi qu’on voit au moins Anne sortir la pilule de l’armoire, sans la prendre », relate Sylvie Payette.

Jusque-là bien connue des téléspectateurs par ses rôles dans La Petite Patrie et Du tac au tac, qu’on peut aussi revoir sur ICI ARTV, Christiane Pasquier allait se faire reconnaître encore plus dans la rue quand elle incarnera Anne Demers-Leroux.

« Quand le mari d’Anne est décédé dans la série, les gens me consolaient dans la rue, c’était extraordinaire », m’a confié la comédienne.

Comme elle le raconte dans le livre Un été, trois grâces, Christiane Pasquier avait vu Mme Payette raconter à la télévision qu’elle écrivait une série « pour donner à la femme de trente ans sa juste place dans la société ». Emballée, l’actrice avait écrit à l’autrice, espérant être engagée.

« J’avais un passage à vide dans ma carrière, j’avais l’impression de servir à rien. Quand je l’ai entendue, je me suis dit que ce rôle me donnerait une bonne raison de faire ce métier-là. Et ça a marché. Quand on rencontre le destin à la bonne place! »



Christiane Pasquier et Serge Dupire jouaient un couple uni dans «La bonne aventure».

Anne, son personnage, allait devenir la rassembleuse du groupe. « C’était la plus conventionnelle des quatre », reconnaît l’actrice.

Si on a vu Christiane Pasquier ces dernières années à la télévision, notamment dans Les beaux malaises, Cerebrum et ...Moi non plus!, c’est moins le cas pour ses trois anciennes collègues.

« Nous nous sommes revues il y a deux ans! » s’exclame Christiane Pasquier, heureuse d’avoir pu renouer avec ses trois copines de téléroman, avec qui elle s’est toujours bien entendue.

Même si elle n’en avait pas trop conscience au moment de le jouer, la comédienne sait à quel point le téléroman a eu une certaine influence chez les femmes et leur a permis d’avancer. « En politique, Lise Payette a essayé de changer les choses. Mais elle s’est aperçue que ça allait plus vite en écrivant, c’est pas rien! »

Lise Payette a été mise devant un défi de taille quand l’acteur Serge Dupire, qui jouait Benoît, le mari d’Anne, a informé la production qu’il quittait le téléroman après la première saison pour accepter une offre à l’étranger.

« Nous avions essayé ensemble de trouver une solution. On a finalement décidé qu’il partait en voyage et qu’il ne reviendrait pas. Il mourait noyé. Ça permettait beaucoup plus de choix intéressants pour le personnage d’Anne. C’était intéressant d’amener la question du deuil, subitement, même si c’est très difficile à écrire », relate Sylvie Payette.

Chose inédite : Lise Payette a eu envie, en 1989, de réunir les femmes de La bonne aventure et Des dames de cœur pour illustrer comment ces deux générations peuvent cohabiter, dans Un signe de feu, jamais rediffusé non plus.

Comme pour Des dames de cœur, je suis curieux de voir La bonne aventure, que ma mère suivait religieusement le mardi soir, puis le lundi pour les deux dernières saisons.

« Je pense qu’il faut regarder La bonne aventure comme un tremplin, à une époque où nous étions encore à cheval entre deux moments de notre civilisation, avec des gens encore attachés aux années 60 et ceux qui allaient bientôt créer la société qu’on allait devenir », croit Sylvie Payette.

« Beaucoup de femmes m’ont confié qu’il avait été très important pour elles de voir ces femmes évoluer et de se dire: “ Je peux, moi aussi, espérer évoluer ”. »