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Lac-Mégantic: les témoins parlent, mais pas les ministres

Une image de l'incendie qui a ravagé le centre-ville de Lac-Mégantic

CHRONIQUE / Avertissement: la série documentaire que vous vous apprêtez à voir risque de faire monter en vous la colère.


Parce qu’il n’y a à peu près rien de réglé depuis que les wagons d’une locomotive, remplis de gaz extrêmement dangereux, a explosé et tué 47 personnes à Lac-Mégantic, le 6 juillet 2013.

Dix ans plus tard, l’industrie ferroviaire se légifère toujours elle-même. Un peu comme si un criminel enquêtait lui-même sur la scène de son propre crime, c’est l’entreprise du train concerné qui s’est chargée de la zone incendiée.

Même si c’est dur, il faut voir Lac-Mégantic – ceci n’est pas un accident, la série documentaire de quatre épisodes de Philippe Falardeau, disponible sur la plateforme Vrai.

L’œuvre, qui arrive quelques mois à peine après la série de fiction de Sylvain Guy et Alexis Durant-Brault, n’est pas un résumé de l’explosion, mais fait la preuve qu’il n’y avait rien d’accidentel dans cette tragédie annoncée.

Des proches des victimes de Lac-Mégantic témoignent dans la série documentaire.

Le premier épisode refait tout le parcours du train mortel et explique que la catastrophe aurait pu être évitée. Co-autrice du livre Mégantic: un train dans la nuit, Anne-Marie Saint-Cerny vulgarise extrêmement bien les lacunes flagrantes qui ont mené à cette tragédie.

On savait que ces citernes, les DOT-111, étaient trop fragiles pour transporter des matières dangereuses. On savait que six d’entre elles avaient été mises de côté parce qu’elles étaient déficientes.

On a su aussi qu’un seul conducteur par locomotive – alors qu’ils étaient quatre jadis –, c’était pour réduire les coûts, même si ça multipliait les risques. Tom Harding, qui ne témoigne pas dans la série pour des raisons qu’on peut comprendre, avait prévenu ses supérieurs du danger.

Une citation m’a frappé, celle du cheminot activiste Ron Kaminkow : « Certains le savaient. Tout comme les compagnies de tabac savaient que fumer tue. Elles ont tout analysé, elles connaissent la composition chimique de ce pétrole. »

Le ministre des Transports de l’époque, Denis Lebel, ne paraît pas bien du tout au deuxième épisode. Ce n’est pas par mauvaise foi du réalisateur; M. Lebel est bien capable de faire ça tout seul.

Rappelons que le gouvernement conservateur de l’époque s’est empressé d’annoncer qu’il n’y aurait pas d’enquête publique, avant même que les cendres ne soient éteintes. Denis Lebel savait d’ores et déjà qu’il n’en avait plus pour longtemps aux Transports et que le dossier serait pelleté dans la cour de quelqu’un d’autre.

Ce qu’il y a de plus ironique dans cette série, c’est que Denis Lebel a refusé d’accorder une entrevue, mais qu’Ed Burkhardt, l’ancien patron honni de la MMA, a bien voulu répondre aux questions.

Ça en dit beaucoup.

Remarquez, Marc Garneau n’a pas voulu donner d’entrevue non plus ni personne de Transports Canada. Sans mauvais jeu de mots, ce dossier est explosif pour ces ex-politiciens.

Quant à Burkhardt, il défend encore ses décisions, avec son rictus de nervosité.

Falardeau lui reconnaît le mérite d’avoir répondu à ses questions, mais il le décrit néanmoins comme un « cowboy » qui plaide pour le moins de règlements possible et qui pense que l’industrie est bien capable de s’auto-réguler.

Le revoir en archives se promener dans la ville après la tragédie, devant une population hostile, a quelque chose de surréaliste.

Bien entendu, on est ému en voyant les proches des victimes raconter comment ils ont vécu les terribles événements. Dont Pascal Charest, qui a perdu ses deux fillettes et leur mère dans la tragédie.

Mais j’ai aussi été très touché de voir Richard Labrie, cet ex-contrôleur ferroviaire, qui était en service cette nuit-là, et qui témoigne de son impuissance. Personne n’aurait voulu être à sa place.

L'ex-contrôleur ferroviaire Richard Labrie était en poste cette nuit-là.

Entendre les communications enregistrées cette nuit-là entre les intervenants donne froid dans le dos, mais met en perspective l’évolution des événements qui ont mené à la tragédie.

Vous reverrez avec bonheur l’ex-mairesse Colette Roy-Laroche, sortie de sa retraite pour témoigner. L’actuelle mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin, y va de cette déclaration au quatrième épisode : « Ça ne peut pas être arrivé en vain ce qu’on a vécu. C’est trop un grand sacrifice. »

Cinéaste de grand talent en fiction – Monsieur Lazhar reste son plus grand film –, Philippe Falardeau transporte son génie au documentaire. Sa série, d’une efficacité redoutable, n’est jamais malhonnête, trop orientée. Les faits parlent d’eux-mêmes, mais Falardeau les souligne avec autant de sensibilité que d’indignation.

Nancy Guerin, coscénariste de la série, Philippe Faladeau et Annie Sirois, productrice.

Le réalisateur ne croit plus qu’une enquête publique sera déclenchée. « Si on n’en aura pas sur l’intervention de la Chine dans nos élections, il n’y en aura certainement pas pour une tragédie qui est arrivée il y a 10 ans.

« Ce qui est intéressant, c’est de savoir qui a tiré la plogue sur l’enquête publique et à quel moment. »

Il espère néanmoins que sa série relance le débat et pousse le gouvernement à soumettre l’industrie ferroviaire à des règles aussi strictes que l’aviation. Pour éviter qu’une telle tragédie se reproduise.

La série a été très bien reçue lorsqu’elle a été présentée à la population de Lac-Mégantic à la polyvalente Montignac le 11 avril dernier.

Produite chez Trio Orange et coscénarisée avec Nancy Guerin, l’œuvre a été nommée dans la catégorie compétition séries documentaires au marché international Canneseries et est présentée au Festival international canadien du documentaire Hot Docs à Toronto.

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