En entrevue avec La Tribune dans un café du centre-ville de Sherbrooke, il n’a pas fallu beaucoup de temps – sept minutes, pour être précis – à Réjean Hébert pour aborder, de son propre gré, l’imposante réforme à venir de l’actuel ministre de la Santé, Christian Dubé. Et il semblait avoir oublié les bons mots à l’égard de celle-ci chez lui.
« Je ne donne pas cher de la réforme qu’on est en train de subir actuellement, car elle s’inscrit dans la même lignée que la dernière, celle de Gaétan Barette, qui a été un échec sur toute la ligne. C’est comme si on n’avait pas pris acte des problèmes qu’ont causés les réformes Barette et, il y a plus longtemps, Couillard et on continue dans cette tendance centralisatrice. »
— Réjean Hébert
Il faut dire qu’il n’a jamais été friand des réformes en santé. Ministre pendant seulement 18 mois, il n’a pas pu mener à terme plusieurs de ses projets. Il assure toutefois que, même s’il en avait eu le temps, il ne se serait jamais adonné à une réforme de la structure du réseau de la santé, à la manière des Drs Couillard et Barrette et de M. Dubé.
« Pour moi, ce n’est pas la structure qui était le problème, mais son fonctionnement. Changer la structure ne veut pas nécessairement dire changer le fonctionnement. Il était évident qu’il fallait améliorer le fonctionnement de la première ligne, des soins à domicile et de la prévention avant de tout reconstruire une nouvelle fois », indique celui qui a été député de Saint-François pour le Parti québécois de 2012 à 2014.
Réjean Hébert attribue cette soif de réformes par les ministres de la Santé à une certaine méconnaissance des rouages, du fonctionnement et de l’historique du réseau de la santé québécois. Il note d’ailleurs dans son livre que « [c]omprendre le système de soins et surtout l’histoire de son développement sont des prérequis essentiels à assembler avant d’apporter des modifications afin d’avoir des chances raisonnables d’améliorer son efficacité ».
« On a eu des dirigeants médecins et maintenant des dirigeants issus du domaine de l’administration et je ne pense pas qu’ils possèdent ce recul-là. D’ailleurs, c’est le grand drame des trois dernières réformes : elles n’ont pas été précédées d’une période de réflexion, d’une commission ou d’un groupe de travail qui a fait une réflexion en profondeur du réseau de la santé. Au 20e siècle, c’est ce qu’il passait, mais là, il n’y a pas de période comme ça, malheureusement », croit-il.
« De prendre l’exemple de l’Alberta, notamment, qui possède aussi une Agence santé comme ce que veut créer M. Dubé, et de le transposer à la situation québécoise sans faire d’adaptation, pour moi, c’est mal comprendre l’évolution de notre système de santé, continue le Dr Hébert. Il ne s’agit pas d’une usine qui fournit des meubles : chaque client a besoin d’une solution différente. »
Mais après 20 minutes d’entrevue, assez parlé des réformes – pour le moment, du moins. On pourra y revenir.
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L’envie d’être utile
L’ancien ministre ne revient pas dans la discussion publique avec son nouveau livre que pour critiquer. Au contraire!
Le premier chapitre se veut un résumé de l’histoire du système de santé québécois. Sur une vingtaine de pages, Réjean Hébert s’affaire à rendre accessible cette histoire à monsieur et madame Tout-le-Monde. Ancien chroniqueur mensuel pour La Tribune et l’ensemble du réseau des Coops de l’information en plus de signer ponctuellement des textes dans La Presse, il affirme que son livre se veut avant tout un recueil, avec certaines bonifications, de ses chroniques. Or, il s’est fait un point d’honneur de contextualiser chaque sujet évoqué.
« J’ai toujours pensé que l’information devait précéder l’opinion, c’est-à-dire que quand on émet une opinion, on doit d’abord informer. [...] Pour moi, c’est une démarche qui respecte l’intelligence du lecteur. C’est beau de donner son opinion, mais il faut être capable de la baser sur un fait. Pour savoir apprécier le réseau de la santé dans son état actuel, il faut savoir comment il s’est rendu là. Pourquoi nos docteurs ont des privilèges qui n’existent pas ailleurs ? Dès qu’on le sait, on peut comprendre l’enjeu et se faire une opinion », expose-t-il.
« Un ami et collègue, André-Pierre Contandriopoulos, m’a convaincu qu’il serait intéressant de regrouper mes chroniques pour les rendre facilement accessibles au public qui veut s’informer sur le réseau de la santé, continue-t-il. Je me suis dit que je ne ferai pas uniquement un recueil de chroniques, car je trouvais d’autant plus pertinent qu’on puisse situer ces écrits-là dans le contexte des systèmes de santé canadien et québécois. »
Ce souci pédagogique n’est pas inconnu au rôle de professeur que le Dr Hébert occupe à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. À plusieurs reprises pendant l’entretien, il répète le bonheur que lui procure la transmission de ses connaissances à ses étudiants.
C’est que Réjean Hébert a lui-même été ce jeune étudiant passionné en quête de savoir. Issu d’une famille modeste, il raconte dans son livre que sa mère lui répétait souvent qu’il devait faire « fructifier ses talents ». Pour l’aider à y arriver, l’auteur confie qu’elle a usé de beaucoup d’ingéniosité.
Car après le chapitre où il explique le pourquoi et le comment du réseau de la santé, le gériatre de carrière s’attarde à sa propre genèse. Il évoque comment le cadet d’une famille de trois enfants, fils d’un cheminot « à peine lettré » et d’une femme appelée à occuper divers petits emplois pour arrondir les fins de mois a pu devenir un pionnier en gériatrie au Québec et ministre au sein du gouvernement de cette même province.
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La géria-quoi?
En abordant ce parcours, il aurait été possible de parler longuement de son implication scolaire, de cette fois où il s’est improvisé ingénieur en construisant un terrain de soccer à Lévis ou de son passage au décanat de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Mais on laissera cela aux bons soins des lecteurs.
Là où le parcours de Réjean Hébert prend réellement un tournant unique, c’est dans son choix de carrière. Au début des années 1980, quand il a commencé son parcours en médecine, la gériatrie était pratiquement inexistante au Québec, si bien qu’il a dû suivre sa formation en France. Médecin de famille de formation, il affirme encore à ce jour être devenu « gériatre par accident », le plus bel accident de sa carrière.
« La gériatrie n’existait pas. Quelque part, il fallait être un peu naïf pour se lancer dans quelque chose du genre, mais il fallait que quelque chose se fasse. Je n’avais aucune idée au début de ce que ç'allait m’ouvrir comme portes dans ma carrière, mais j’étais curieux de me lancer là-dedans », se souvient-il.
Et ce courage un brin naïf l’aura servi lui, mais aussi l’ensemble de la population, alors qu’il créa, avec ses collaborateurs de la première heure, le Centre de recherche sur le vieillissement de Sherbrooke (CdRV), un institut qui deviendra l’Institut gériatrique de Sherbrooke (IUGS) et la maîtrise et le doctorat en gériatrie à l’UdeS, notamment. Malgré les bons souvenirs qui surgissent en rétrospective, le Dr Hébert rappelle que rien n’était donné au départ, lors de ses débuts à l’Hôpital D’Youville.
« J’ai été choyé de faire ce métier-là et de pouvoir créer des choses qui continuent à évoluer encore aujourd’hui. [...] Mais il y a eu plusieurs écueils. Le doyen de l’époque, par exemple, m’avait dit “Dr Hébert, vous ne serez jamais un chercheur”. J’ai une tête de cochon et maintenant, ce même doyen est devenu un allié, mais ça prouve que ce n’était pas gagné. Le directeur de D’Youville à l’époque s’était toutefois montré d’une grande aide, nous trouvant un petit budget de démarrage pour nos recherches et nous donnant même quelques petits locaux, qui étaient d’anciennes toilettes », indique l’ancien ministre.
Preuve que cet acharnement a été fructueux, le CdRV fait toujours œuvre utile, l’IUGS existe encore et les programmes de gériatrie se remplissent aisément. Soulignant humblement que le crédit ne lui revient pas, Réjean Hébert se dit tout de même fier du chemin parcouru par la profession.
« On a été des pionniers extraordinaires, la petite gang de gériatres du début. Je me considère comme privilégié d’avoir été à l’origine de ça et je suis fier de voir le développement de la discipline. D’ailleurs, en termes de soins et de sensibilisation de la société envers la réalité des aînés et du choc démographique qui nous attend, les gériatres sont plus que jamais essentiels », opine-t-il.
Ce qui nous ramène à la politique.
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Prendre soin des vieux
S’occuper des aînés et les reconnaître comme un rouage essentiel de notre société a été – et demeure – le combat d’une vie pour Réjean Hébert. Il estime qu’à travers la perception sociale et certaines politiques en place, ce groupe démographique est victime d’une véritable ségrégation, qui se dissimule parfois sous un voile de bienveillance. Il n’a d’ailleurs jamais caché cette vision dans ses chroniques ou dans ses interventions médiatiques.
Il aurait voulu, comme ministre, réaliser quelques innovations pour marquer des points dans ce combat. Or, déplore-t-il, le mandat très court de son gouvernement ne lui a pas permis de faire ce qu’il aurait voulu. Son plus grand regret, qu’il confie porter à ce jour, est celui de l’assurance autonomie, qui avait comme but d’offrir des soins à domicile de manière plus élargie aux aînés du Québec.
Il regrette aussi que le ministre de la Santé qui lui a succédé, Gaétan Barrette, n’ait pas poursuivi la même vision. Bien que les mots « soins à domicile » reviennent de plus en plus dans la bouche des membres du gouvernement caquiste, il se montre dubitatif quant au potentiel du plan Dubé sur ce point précis.
Mais pas que sur ce point précis. Une cinquantaine de minutes après l’avoir abordé une première fois, alors que l’entrevue tire à sa fin, Réjean Hébert revient sur le projet de loi 15.
« La volonté de shaker les colonnes du temple, comme l’a lui-même dit le ministre, je trouve que c’est une expression malheureuse. Le temple est tellement fragile que la dernière chose que tu veux faire, c’est la shaker, sous peine qu’il s’écroule. Ce n’est vraiment pas une bonne idée, pas actuellement. »
— Réjean Hébert
Une bonne idée, ajoute le Dr Hébert du même souffle, serait d’entamer le chemin vers la décentralisation. Redonner du pouvoir aux CLSC – « un bijou » dont le Québec se « prive » –, sortir les organisations comme les centres jeunesse ou les CHSLD des CISSS et des CIUSSS et garder ces structures uniquement pour la coordination hospitalière, par exemple. Car si le ministre Dubé assure que son plan amorcera une certaine décentralisation, Réjean Hébert voit plutôt en la création d’une Agence santé une centralisation de plus et une tentative de déresponsabilisation du ministre.
Après une heure et quart de discussion, le café est terminé depuis longtemps. Une dernière question s’impose toutefois. Est-ce que cet homme, ex-ministre qui n’a pu réaliser tout ce qu’il souhaitait, qui a tenté un retour en politique au fédéral en 2019, qui a encore plusieurs opinions fortes et qui a toujours ce désir d’influencer envisage de se lancer à nouveau dans l’arène politique ?
Léger rire. « Non », tranche-t-il clairement. Pas de politique partisane, s’empresse-t-il d’ajouter, car, tant qu’il le pourra, il apparaît clair que le Dr Hébert continuera de faire valoir ses idées à la population et aux décideurs.