« Vous avez ravagé la vie des deux victimes qui sont ici présentes dans la salle de cour. Vous avez ravagé la vie de deux enfants, de deux adolescents, et encore aujourd’hui votre crime ravage la vie de ces deux adultes. Aucune peine, ni la peine que j’ai rendue aujourd’hui n’effacera les séquelles qu’elles ont eues, qu’elles vivent et qu’elles vivront encore. J’espère toutefois que la finalité de ces longues procédures judiciaires, difficiles physiquement et moralement, apaisera un peu leurs souffrances. Pour ces motifs, la cour condamne monsieur Morin à une peine globale de détention de six ans, lui interdit d’avoir des armes à feu pour une période de 10 ans, lui ordonne de s’enregistrer dans le registre des délinquants sexuels pour une période de 20 ans, ordonne un prélèvement de son ADN et lui interdit de communiquer directement ou indirectement avec les deux victimes pendant sa détention. »
Pendant les 30 minutes qu’a duré la lecture de la décision, l’accusé a écouté la juge les bras croisés sur sa poitrine, puis a pris le chemin des cellules, les mains menottées dans le dos, sans rien dire.
La juge Boillat s’est ainsi rendue aux arguments de la procureure aux poursuites criminelles et pénales, Nicole Ouellet, qui demandait une peine globale de six ans. L’avocat de la défense, Pierre Gagnon, proposait quatre ans, compte tenu de l’âge de son client, l’absence d’antécédents judiciaires et le risque faible de récidive.
Le problème, c’est que Jean-Marc Morin n’a pas aidé sa cause après avoir enregistré ses plaidoyers de culpabilité. Il a tenté de diminuer sa responsabilité en attribuant une partie aux victimes, affirmant que c’est lui qui avait cédé aux avances des deux adolescents. « L’accusé ne prend pas pleinement conscience de la gravité de ses gestes ni de leur impact négatif sur les victimes qui, selon lui, désiraient les contacts », a dit la juge.
D’ailleurs, l’agent de probation qui avait rédigé son rapport présentenciel avait noté que ses regrets faisaient davantage référence aux impacts que l’affaire avait eue sur son image personnelle et professionnelle et non sur les victimes, ce qui a eu l’air de déplaire à la juge Boillat. « Il y a une distorsion cognitive de l’accusé. Il croit à un consentement et se déresponsabilise et se montre dénigrant et méprisant envers ceux-ci. » Elle a aussi souligné que M. Morin avait profité de sa grande renommée comme professeur de chant pour avoir une emprise sur ses deux victimes, car être choisi par lui comme étudiant était vu comme un privilège.
Depuis l’arrêt Friesen de la Cour suprême en 2020, les agressions sexuelles sont considérées comme de la violence faite aux enfants et dans ce cas, la juge a estimé que l’accusé y est parvenu grâce à la contrainte et à la manipulation, car les victimes étaient vulnérables. Il a agi de façon planifiée et préméditée en utilisant un stratagème de massage pour augmenter la performance des cordes vocales. Il s’agit d’un étranger qui établit une relation de confiance. Un professeur renommé qui abuse aussi de la confiance des parents des victimes. Il y a eu de multiples agressions et les conséquences sont importantes.
En revanche, elle note le plaidoyer de culpabilité qui a évité un procès, et le risque de récidive amoindri par son âge. Cet âge, a rappelé le juge, doit être pris en compte de façon limitée comme l’a indiqué l’arrêt Edgar Fruitier.
La juge Boillat a relevé qu’en matière d’agression sexuelle sur des mineurs, la jurisprudence fait état de sentences moyennes de deux ans moins un jour jusqu’à six ans, avec une concentration pour des peines de trois à quatre ans.
Compte tenu des faits et des impacts que les agressions continuent d’avoir sur les victimes, la juge estimé qu’une peine de deux ans consécutifs pour chacune d’elles, pour une sentence globale de quatre ans comme le demandait la défense, n’est pas suffisante pour rencontrer les principes de dénonciation et de dissuasion. « L’emploi d’une force de nature sexuelle sur un enfant est hautement blâmable sur le plan moral, car le délinquant sait ou devrait savoir que ça fera beaucoup de mal à l’enfant », a cité la juge, rappelant que ceux-ci représentent notre avenir et sont les personnes les plus vulnérables de notre société.
Il ne faut pas que dénoncer, en a-t-elle conclu, il faut que cela se reflète aussi dans les sentences. « La poursuite explique, à juste titre, qu’une peine de quatre ans consécutifs sur chacun des chefs, pour un total de huit ans, est la peine appropriée et le tribunal est d’accord. Mais étant donné son âge, il faut constater que cette peine sera excessive, car il aurait 92 ans à sa sortie. Compte tenu de l’ensemble des facteurs, le tribunal conclut qu’une peine de six ans est juste et appropriée. »
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