Une neuvième pointe de flèche à cannelure, de même que plusieurs morceaux d’outils en pierre taillée sont venus s’ajouter aux trésors du site, renforçant ainsi le portrait que dressent les archéologues de ce lieu et de ses occupants. Il s’agit toujours des traces humaines les plus anciennes qui soient connues au Québec.
« Je n’ai même pas besoin de m’acheter un 6/49, j’ai gagné à la loterie ! C’était en 2008 qu’on avait trouvé la dernière pointe à cannelure » s’exclame l’archéologue Claude Chapdelaine, qui est également responsable des toutes premières découvertes du site, en août 2003.
Comme l’explique l’ancien professeur à l’Université de Montréal, un peuple de l’époque paléoindienne, descendant de la première vague de migration en Amérique du Nord, était de passage de façon saisonnière dans la région du lac Mégantic afin d’y chasser le caribou, alors présent en grand nombre dans le secteur.
« Ils devaient rester ici au minimum un mois, décrit M. Chapdelaine. Peut-être plus. Le meilleur moment pour chasser le caribou, c’est à la fin de l’été et au début de l’automne, parce qu’il est gras : il a mangé tout l’été. En venant ici, ils savent qu’il y a du caribou, mais il faut qu’ils l’interceptent. Ils veulent repartir le dos chargé de quartiers de viande dont une bonne partie est déjà séchée sur place. »
À l’approche de l’hiver, ceux-ci retournent vraisemblablement dans l’actuelle Nouvelle-Angleterre, sait-on grâce à la provenance des matériaux identifiés composant les artéfacts. « Quand ils retournent chez eux, ils continuent à chasser le caribou, mais il est plus dispersé dans les bois, donc plus difficile d’accès. Mais tous les autres gibiers sont là : castor, probablement cerf de virginie aussi. Ils devaient pêcher, puis trapper le porc-épique et le rat musqué. »
« Je les appelle les Paléoindiens du bassin hydrographique de la Kennebec, poursuit le spécialiste. Ici, la région du Méganticois est connectée à ce bassin-là par la rivière Dead. Il n’y a pas de canots, pas de pyrogues, donc ce sont des grands marcheurs, mais on est convaincus qu’ils se servent du réseau hydrographique pour s’orienter et qu’ils développent une mémoire photographique. »
À l’époque, la région du lac Mégantic est une grande toundra, alors que celle-ci a déjà disparue au Maine, en raison du réchauffement du climat. « Vous allez au plus bel endroit de l’époque, et c’était ici, sourit l’archéologue. Une belle terrasse bien drainée, au-dessus de la rivière aux Araignées. Il n’y a pas d’arbres et ils devaient voir facilement le lac Mégantic à partir d’ici. »
Une grande importance pour la nation Abénakis
Dimanche, une délégation spéciale des Abénakis d’Odanak s’est rendue sur le site Cliche-Rancourt afin d’en apprendre davantage sur le passé de ses lointains ancêtres, mais aussi pour lui offrir un tout nouveau nom et le lier à tout jamais à son héritage. En collaboration avec la Corporation du Patrimoine archéologique du Méganticois, ceux-ci ont ainsi rebaptisé les lieux le « Site archéologique Cliche-Rancourt Mamsalhabika ».
L’anthropologue et membre de la nation Abénakis Nicole O’Bomsawin explique que Mamsalhabika, qui signifie « araignée », a été choisi en raison de la rivière du lac aux araignées, mais aussi pour sa beauté et son symbole important. « Ça fait référence à cette petite bête qui tisse des toiles, des amitiés, des filets. La signification, ce n’est pas juste la bête, mais c’est aussi le passage. On pensait que c’était un nom choisi pour le lieu que nos ancêtres ont sans doute fréquenté. »
Après le passage des Paléoindiens, les environs seraient demeuré d’une grande importance pour des peuples autochtones. Comme l’explique le chef de la nation Abénakis d’Odanak, Richard O’Bomsawin, le secteur était l’un des grands endroits de réunion pour les différents membres de la Confédération Waban-aki.
Cette dernière rassemblait, avec les Abénakis, les Passamaquoddys, les Míkmaqs, les Penawapskewi et les Malécites, qui évoluaient en partie au sud de l’actuelle frontière américaine.
« Nos frères et sœurs pouvaient traverser les rivières et nous rencontrer ici, relate M. O’Bomsawin. À cette époque, nous venions tous de loin. Cela pouvait donc prendre six ou sept mois avant que la réunion se réalise. Plusieurs personnes arrivaient à l’avance et s’installaient. C’est pourquoi on pouvait parfois retrouver ici 1000 personnes en même temps, et 500 à un autre moment. »
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Les environs s’ont d’une autant plus grande importante puisqu’ils ont été le théâtre de la toute dernière réunion de la confédération Wabanaki, dans les années 1600. « Il y a eu des conflits au sujet de la guerre [qui commençait avec les colons], dit le chef. La réunion consistait à déterminer si nous allions prendre part à cette guerre. Finalement, nous avons décidé de ne pas nous en mêler et la confédération a été brisée. »
Les Abénakis d’Odanak travaillent actuellement à rétablir les ponts avec les nations anciennement membres de cette confédération, afin de remettre cette dernière sur pied. « Je vais demander à la municipalité de tenir la toute première réunion ici même, sur le site. Je crois que ce serait important de le faire », note M. O’Bomsawin.
On remballe tout
Vingt ans après les premières importantes découvertes du site, le professeur Claude Chapdelaine tire officiellement sa référence. « Je suis très fière de dire que ce site appartiendra à une autre génération d’archéologues. Il n’est pas fini, et tous les arbres ici sont les gardiens de ce qu’il reste à fouiller », raconte-t-il.
S’il s’estime satisfait des informations collectées dans cette zone, il croit que dans cinq ou dix ans, d’autres archéologues en quête de nouvelles réponses pourraient bien y trouver leur compte.
Cette dernière série de fouilles aura néanmoins permis de fouiller 20 mètres carrés supplémentaires, soit au-delà de ses attentes, pour un total de 290 mètres carrés explorés jusqu’à aujourd’hui sur le site. Un point chaud a même été trouvé la semaine dernière, où une centaine d’éclats ont pu être sortis de terre, soit plus que ce qui a été trouvé dans l’entièreté du reste du secteur.
Dimanche après midi, l’équipe, qui est également dirigée par l’archéologue du Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke, Éric Graillon, a ainsi enfoui ses impressionnants trous afin de ramener le site à son état originel.
M. Chapdelaine entend prendre les prochains temps pour produire sa synthèse définitive des fouilles depuis leur tout début. Un documentaire d’une quinzaine de minutes est également en production afin de s’ajouter à l’exposition Clovis, peuple chasseur de caribous, actuellement présentée à la gare patrimoniale de Lac-Mégantic.
Celui-ci souhaite que le site demeure protégé et qu’il soit bien mis en valeur d’un point de vue touristique dans le futur, vu son grand intérêt historique. La Corporation du Patrimoine archéologique du Méganticois offre déjà depuis quelques années des visites sur réservation et a même mis sur pied différentes stations informatives destinées au public.
Des artéfacts importants
Qu’ont de si spécial les artéfacts du site ? Comme l’explique M. Chapdelaine, les pointes à cannelure, qui sont caractérisées par des dépressions en leur centre de chaque côté, ont été inventées dans la grande région des plaintes de l’Ouest, dans les environs de l’actuel Nouveau-Mexique.
La première ayant été découverte près d’un village nommé Clovis, c’est aujourd’hui le nom qu’on leur attribue ainsi qu’à son peuple créateur qui les utilisait comme arme de chasse, attachées à une lance de bois. « Tous les autochtones en Amérique du Nord sont descendants directs des Clovis », avance M. Chapdeleine.
Ceux-ci auraient tranquillement migré vers le nord-est en explorant le territoire ainsi qu’en suivant des troupeaux de bêtes, comme les bisons.
Pour le moment, le site Cliche-Rancourt est le seul du Québec à avoir révélé de telles pointes et à prouver leur passage il y a 12 000 ans.
D’ailleurs, une autre pointe de flèche, cette fois sans cannelure, a été trouvée cette année sur le site. Celle-ci appartiendrait à un période légèrement moins éloignée de l’ère paléoindienne.
Des outils en pierre comme des grattoirs, un perçoir, un biface et même un éclat utilisé pour son côté tranchant ont aussi été dénichés dans les dernières semaines. « Tout ce qu’on a, c’est de la pierre taillée », indique-t-il, précisant que peu d’autres matières qui pourraient avoir été laissées derrière auraient très peu de chance de s’être conservées.
La grande majorité des artéfacts extraits du site sont fabriqués en chert rouge Munsungun, originaire du Maine, tandis que quelques pièces sont en rhyolite beige du mont Jasper, au New Hampshire.