En 2018, un membre des Forces armées canadiennes a dénoncé au ministère que des peines prononcées lors de procédures en cour martiale n’étaient pas exécutées en temps opportun ou n’étaient pas exécutées du tout.
Ni le commissaire ni la Défense nationale n’a voulu en dire davantage sur cette situation, mais selon le rapport rendu public par Joe Friday mardi, le ministère a attendu 43 mois après la conclusion de l’enquête au sujet de cette plainte pour publier ses conclusions.
La directive en place stipule pourtant que lorsqu’une divulgation interne mène à un cas fondé d’acte répréhensible, l’information doit normalement être rendue publique 60 jours après sa constatation.
Les conclusions de notre enquête sont troublantes. Les fonctionnaires doivent pouvoir faire confiance à la haute direction.
— Joe Friday, commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada
De 2015 à 2020, trois cas d’actes répréhensibles fondés au sein du ministère et des Forces ont été étudiés à l’interne, mais aucun n’a été rendu public avant 2021 ou 2022, ce qui enfreint la loi.
Le commissaire a constaté que des actes répréhensibles ont été jugés fondés par la Défense nationale après avoir reçu des plaintes de fonctionnaires, mais qu’elle ne les divulguait pas et n’informait parfois pas le dénonciateur des conclusions de l’enquête.
«Les lanceurs d’alerte ont été laissés dans l’ignorance et n’ont eu d’autre choix que de faire une divulgation à nouveau, cette fois au sujet des personnes mêmes qui étaient censées faire la lumière sur les actes répréhensibles», affirme M. Friday.
Les lanceurs d’alertes sont des fonctionnaires qui sont témoins d’actions inappropriées dans les ministères et qui prennent les moyens pour les dénoncer.
Qui plus est, le commissaire Friday doute que le ministère ait ultimement rendu publique cette information s’il n’avait pas lancé son enquête à ce sujet.
«Les circonstances entourant les retards et la longueur de ceux-ci quant à l’accès du public aux informations suggèrent que la mauvaise gestion de ces dossiers était également plus qu’un acte répréhensible insignifiant ou une faute légère», écrit Joe Friday dans son dernier rapport à titre de commissaire à l’intégrité du secteur public.
Le ministère accepte les recommandations
Par courriel, le ministère de la Défense nationale affirme qu’elle s’engage à «favoriser un environnement dans lequel les employés ont confiance pour divulguer des actes répréhensibles».
Elle soutient également qu’elle adoptera les trois recommandations du commissaire Friday.
Ainsi, elle dit vouloir offrir une meilleure formation à ses dirigeants et employés sur l’application de la loi, faire un audit cyclique du programme de divulgation interne pour vérifier le nombre de divulgations, d’enquêtes lancées et de cas fondés d’actes répréhensibles et de mieux évaluer sa gestion.
«Nous travaillons avec diligence pour améliorer nos délais de clôture des enquêtes. Nous avons réalisé certains progrès en développant de meilleurs outils administratifs pour améliorer les processus de notification et en établissant un suivi et des rapports plus ciblés sur les enquêtes», écrit le ministère.
Des «cachettes» qui font mal
En entrevue, la présidente de Whistleblowing Canada Research Society, Pamela Forward, ne mâche pas ses mots à l’endroit du gouvernement. Elle estime que ce rapport est un exemple de plus des délais et des cachettes qui existent dans la haute direction de la fonction publique fédérale.
«La façon dont ces affaires sont traitées par les dirigeants est une indication du niveau d’éthique dans notre organisation. Si nos organisations, particulièrement les gouvernements, se permettent d’agir de manière non éthique et illégale sans responsabilité, vous opérer dans un climat non éthique qui rend les gens malades», explique Mme Forward.
Mais ce rapport survient aussi alors que les parlementaires sont saisis du projet de loi C-290 que parraine le bloquiste Jean-Denis Garon. Celui-ci tente de réformer la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles pour mieux protéger les fonctionnaires qui sont témoins de comportements irréguliers dans la fonction publique.
En entrevue au Droit, M. Garon affirme que le rapport du commissaire Friday vient mettre en lumière la culture du secret et de «cachoterie» qui existe dans l’appareil fédéral lorsqu’un employé du gouvernement fait une dénonciation.
«C’est inquiétant et je pense que le gouvernement devrait s’en inquiéter […] Dans le régime actuel, des situations comme ça, ça va se reproduire. Et en n’agissant pas, le gouvernement les accepte», soutient M. Garon.
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Le projet de loi C-290, qui ne s’appliquerait pas à la Défense nationale en raison de son statut particulier dans la fonction publique fédérale, garantirait plus d’options aux fonctionnaires qui portent plainte pour assurer qu’elle soit entendue.
Le gouvernement fédéral a des réserves relatives à certaines dispositions de ce projet de loi. N’empêche, le secrétaire parlementaire de la présidente du Conseil du Trésor, Greg Fergus, répète depuis des mois que le gouvernement veut son adoption avec certaines modifications.
Ottawa a néanmoins annoncé dans les derniers mois la mise sur pied d’un groupe d’experts qui doit lui recommander la bonne approche à suivre pour moderniser cette loi que plusieurs observateurs jugent désuète.
Les libéraux ont même l’intention de déposer un autre projet de loi en 2024 après avoir reçu ces recommandations.