DOSSIER SANTÉ NUMÉRIQUE | Une société française veut réaliser le méga projet de Québec

Les médecins ont souvent une vision tronquée de leurs patients.

EXCLUSIF - La société française Dedalus a répondu à l’appel d’offres de Québec afin d’obtenir le contrat qui lui permettra de mettre en place le Dossier santé numérique dans deux régions pilotes de la province. Sa soumission prévoit un partenariat avec la compagnie montréalaise Medfar Solutions, ont appris les Coops de l’information.


Largement dominante chez nos voisins du Sud, l’entreprise américaine Epic a aussi manifesté son intérêt pour le projet, mais il est impossible de savoir si elle a déposé une offre. Une porte-parole du géant américain a indiqué qu’elle n’avait «aucun commentaire à faire pour le moment». D’autres entreprises pourraient aussi avoir déposé des propositions lors de l’appel d’offres, qui s’est terminé le 13 mars.

Québec est à l’étape de sélectionner deux entreprises, parmi celles qui auront soumis une offre, afin d’avoir un «dialogue compétitif» entre les deux projets. Dans un dossier d’une telle complexité, Québec n’est pas soumis à l’obligation de choisir le plus bas soumissionnaire.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux devrait avoir choisi, d’ici la fin du printemps, l’entreprise avec laquelle il se lancera dans l’aventure de la numérisation de ses données en santé.

Des centaines de logiciels différents coexistent dans le réseau de la santé, ce qui complique la tâche des professionnels et des médecins. (Archives La Tribune)

Le méga projet du Dossier santé Québec doit mettre fin aux aberrations causées par les dédales informatiques du réseau, d’abord dans deux régions pilotes, soit aux CIUSSS de la Mauricie-Centre-du-Québec et du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Le système recherché devra remplacer plusieurs centaines de systèmes d’information déjà existants.

Il s’agit d’un projet phare du Plan santé déposé par le ministre Christian Dubé, il y a un an. Si le projet-pilote est concluant au bout de 24 mois, il sera graduellement étendu à l’ensemble de la province. Le projet global devrait coûter entre 1,5 et 3 milliards, selon les estimations actuelles.

Quand un patient se présente à l'urgence, souvent le médecin n'a accès qu'à une petite poignée de données sur les antécédents de son patient.

Éviter de partir d’une feuille blanche

La société Dedalus a choisi de s’allier à l’entreprise montréalaise Medfar Solutions, déjà bien implantée au Québec comme fournisseur de dossier médicaux électroniques. Fondée en 2010 par deux ingénieurs, Medfar Solution détient déjà 55% des parts du marché dans la clientèle de la première ligne au Québec, typiquement les groupes de médecine familiale, explique son président-directeur général Elias Farah.

«Nous connaissons les besoins du système de santé au Québec. Notre offre permet de ne pas implanter le Dossier santé numérique à partir d’une feuille blanche», soutient M. Farah.

Le président-directeur général de Medfar Solutions Elias Farah se réjouit de son entente avec Dedalus dans le projet de Dossier santé numérique.

Troisième éditeur mondial en données de la santé —les deux autres entreprises étant américaines — la société française Dedalus a aussi conclu des partenariats avec d’autres entreprises déjà établies au Canada, comme Deloitte, AWS et Petal.

«Si l’aventure prend forme, c’est clair pour nous que nous allons créer un Dedalus Québec le plus vite possible, avec toutes les ressources qui seront nécessaires», explique en entrevue Frédéric Vaillant, directeur général délégué de Dedalus France.

«Notre approche est de s’entourer d’expertises locales pour comprendre la culture locale. Pour qu’un projet fonctionne, c’est important de comprendre les us et coutumes des pays où on implante des systèmes», soutient M. Vaillant.

L’entreprise française croit avoir mis en place «les moyens nécessaires» pour passer au second tour de l’appel d’offres affiché par le ministère de la Santé et des Services sociaux, explique M. Vaillant, sans cacher son enthousiasme face au défi offert au Québec.

L’entreprise déjà présente dans une cinquantaine de pays — mais pas au Canada — évalue actuellement le projet à 80 millions d’euros (117 millions $CAD) sur dix ans, pour les deux régions tests.

«Le projet demandera des investissements considérables au départ. Nous allons aussi accompagner les établissements dans la gestion du changement: ça fait partie de notre offre de services. On embauchera autant qu’il le faudra», explique Frédéric Vaillant, précisant qu’il n’y aura pas de défi linguistique puisque l’entreprise occupe déjà une large part du marché de la France.

L’entreprise Dedalus a été condamnée en avril 2022 à une lourde amende de 1,5 millions d’euros (2,2 millions $CAN) par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à la suite d’une fuite de données de santé. Peu après la condamnation, Dedalus a assuré au quotidien Le Monde avoir, « dès la révélation de la cyberattaque en 2021 », «déployé toutes les mesures possibles» pour «identifier d’éventuelles vulnérabilités» et avoir travaillé à «remédier aux manquements relevés par la CNIL» par plusieurs moyens.

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Un outil disponible en attendant

Le Dossier santé numérique imaginé par Québec permettra-t-il de connecter tous les acteurs du réseau, partout en province, qu’ils œuvrent au public ou au privé, sans oublier les applications connectées?

«Ça n’arrivera jamais», lance le Dr Jean-François Éthier, codirecteur du Groupe de recherche interdisciplinaire en informatique de la santé (GRIIS).

Le projet actuel imaginé par Québec vise la communauté médicale (hôpitaux, groupes de médecine familiaux, pharmacies, services sociaux), mais il ne concerne pas les cliniques privées de physiothérapie, par exemple, ou les applications connectées comme les glucomètres.

D’autant plus qu’il faudra faire preuve de patience: le projet-pilote dans deux des 16 régions sociosanitaires n’est pas encore lancé et doit durer deux ans.

C’est pourquoi le GRIIS a imaginé une solution prête, disponible, certifiée et accessible en source libre: la Plateforme apprenante en recherche en santé et en services sociaux (PARS3).

Certifié par le ministère en avril 2022, cet outil permet de faciliter le transfert d’informations entre les dossiers médicaux électroniques.

«Ça crée une sorte d’entrepôt virtuel de données. Avec cette solution, ce n’est plus nécessaire de mettre les données au même endroit ou d’utiliser un seul système. C’est une solution simple, développée au Québec, basée sur les besoins des intervenants de la première ligne», dit-il.

La solution PARS3 pourrait être intégrée en attendant l’arrivée du Dossier santé numérique et même servir d’outil pour améliorer le méga projet. Le ministère de la Santé a participé au financement de cette solution développée en collaboration avec l’Université de Sherbrooke. Elle sera considérée dans le cadre du projet de Dossier santé numérique, assure un porte-parole du MSSS.