L’établissement de Maricourt se retrouvait devant le tribunal de la RACJ pour une demande de cession de son permis d’alcool. Le permis était autrefois détenu par la compagnie 9324-7534 Québec inc., administrée par Véronique Alarie jusqu’à sa faillite en juillet 2021. Après cet événement, une autorisation d’exploitation temporaire (AET) a été délivrée à la compagnie 9267-1551 Québec inc., administrée par Diane St-Marseille, qui est par moment la belle-mère de Mme Alarie, afin qu’elle puisse opérer le permis d’alcool. Si la cession avait été acceptée par la Régie, Mme St-Marseille aurait obtenu les permis réguliers que possédait Mme Alarie.
Dans un jugement d’une vingtaine de pages rendu lundi dans la journée, les commissaires Louise Vien et Marie-Jeanne Duval font l’étalage de plusieurs facteurs incriminants envers Mmes Alarie et St-Marseille. Les commissaires écorchent les méthodes de gestion des deux femmes, allant jusqu’à dire que l’opération du Camping Havana Resort s’est faite de manière à troubler la quiétude publique.
« Les nombreux manquements tant sous l’exploitation de la titulaire que de celle de la demanderesse, mettent en lumière des manquements graves. »
— Louise Vien et Marie-Jeanne Duval
Ainsi, le jugement fait état d’une cinquantaine de visites des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) « majoritairement pour des plaintes de bruit » entre juin 2017 et octobre 2020, la période où Mme Alarie opérait le camping. Durant cette même période, deux personnes ont quitté le camping en ambulance en raison de leur état d’ébriété avancé. L’une d’elles s’est retrouvée aux soins intensifs.
Les choses ne se sont guère améliorées sous l’administration de Mme St-Marseille, indiquent les commissaires.
« Entre le 22 mai 2021 et le 18 septembre 2021, 41 plaintes de bruit ont été reçues par les policiers. Encore entre le 3 juin et le 4 septembre 2022, six nouvelles plaintes de bruit sont faites à la police », soulignent-elles.
Les policiers ont aussi été appelés à plusieurs reprises lors de cette période pour des comportements violents ou pour assister des clients trop intoxiqués.
Par ailleurs, le jugement note que, tant lorsque le camping était administré par Mme Alarie que par Mme St-Marseille, plusieurs manquements aux mesures sanitaires en vigueur contre la COVID-19 ont été observés. À plusieurs reprises entre 2017 et 2022, les policiers ont aussi pu constater que de la consommation d’alcool se faisait à des endroits non prévus par le permis du camping.
Le tribunal reconnait aussi une opposition citoyenne face à la cession du permis d’alcool. Cinq demandes d’opposition officielle ont été transmises par des citoyens à cet effet. Les citoyens déplorent la question de la perte de quiétude, telle que rapportée par La Tribune en 2021. Ils critiquent aussi divers engagements non tenus du camping à cet égard.
« Les opposants sont crédibles et leurs motifs fondés. Le Tribunal n’a aucune raison de ne pas les croire ni de douter de la volonté exprimée de cohabiter harmonieusement avec le camping voisin. Il reconnait leur exaspération face aux engagements non tenus et leurs réticences face aux nouvelles promesses », croient les commissaires.
S’ajoutent à ces constats divers manquements environnementaux constatés par le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MELCC) depuis 2017. À travers plusieurs autres exemples, le jugement signale la présence de travaux en milieux humides sans autorisation et de branchements illégaux de terrains de camping.
« Compte tenu de tous ces éléments, comme examiné plus haut, le Tribunal est convaincu par prépondérance de preuve que tant la titulaire 9234-7534 Québec inc., que la demanderesse et exploitante temporaire 9267-1551 Québec inc. ont exploité l’établissement de manière à nuire à la tranquillité publique et qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires et efficaces afin d’empêcher les manquements qui s’y sont produits », estiment ainsi les deux commissaires.
« Qui plus est, continuent-elles, les nombreux manquements tant sous l’exploitation de la titulaire que de celle de la demanderesse, mettent en lumière des manquements graves, dont des actes de violence et des clients fortement intoxiqués. Les problèmes de bruit, bien que pris en charge de façon sérieuse par la demanderesse, perdurent depuis le début de l’exploitation du camping. Il en est de même pour les non-conformités à la [Loi sur la qualité de l’environnement] ou à l’un de ses règlements.»
Les commissaires abordent plus particulièrement le cas de Mme St-Marseille, précisant que le fait que les problèmes qui étaient « clairement identifiés » sous l’administration de Mme Alarie se soient répétés alors qu’elle exploitait le camping avec une AET démontre qu’elle ne « possède pas la capacité d’exercer avec compétence et intégrité » les activités permises avec un permis d’alcool.
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Faux bénéficiaire et crime organisé
Mais ces nombreux manquements à l’environnement, la sécurité publique et la quiétude du voisinage ne sont pas les seuls éléments ayant poussé le tribunal a rejeter la demande de cession de permis du Camping Havana Resort.
Bien que son nom n’apparaisse nulle part sur quelconque document officiel du Camping, les commissaires ont établi que la demande ne bénéficierait qu’à un tiers parti, Dominic Perrier.
M. Perrier est le fils de Mme St-Marseille et père de Laurence et Ariane Perrier, toutes deux actionnaires dans la compagnie de leur grand-mère. Il était aussi, jusqu’à la faillite, le conjoint de Mme Alarie.
« Il est manifeste que M. Perrier a toujours été présent dans la gérance de l’établissement tant sous l’exploitation de la titulaire que celle de la demanderesse. Bien que dans chacun des cas, il n’occupe pratiquement jamais une fonction officielle », affirme le jugement.
Dominic Perrier est si présent, sans vraiment l’être, que sa mère et ses filles ne manifestent pas les connaissances nécessaires à la bonne gestion du camping.
« Bien sûr, les sœurs Perrier sont très engagées dans l’entreprise, tout comme leur grand-mère, Mme Diane St-Marseille, administratrice unique de la demanderesse, qui est omniprésente sur le site. Mais dans les faits, il ressort clairement que les activités financières d’importance du Camping Club Havana relèvent du père. Les actionnaires et l’administratrice n’ont aucunement été associées ni à l’achat ni à la recherche de financement de l’entreprise. Elles ignorent d’ailleurs les données liées à cet achat et au financement des projets du camping », lit-on dans le jugement.
« Pendant ce temps, ajoute-t-on, Dominic Perrier est sur le site en tout temps, s’occupe d’à peu près tout, alors que son nom n’apparaît nulle part. Il agit, semble-t-il, de façon bénévole, en étant logé, nourri avec un accès aux véhicules du camping. Selon les propos de Mme Ariane Perrier, M. Perrier ne reçoit pas de paie “ mais il prend de l’argent quand il en a besoin ”. Il bénéficie donc grandement de l’entreprise de la demanderesse.»
Cette situation, aux yeux des commissaires, porte clairement à croire que la demande de cession a été faite au bénéfice de M. Perrier.
Par ailleurs, la SQ s’est officiellement opposée à cette demande de cession dès sa déposition précisément car elle croit que M. Perrier entretiendrait des liens avec Gianpietro (JP) Tiberio, proche – ou ancien proche – du clan Rizzuto et des Hell’s Angels. « Selon l’information policière partiellement divulguée parce qu’il s’agirait d’une enquête en cours, M. Perrier aurait entretenu des liens d’affaires avec M. Tiberio dans l’exploitation d’une entreprise de remorquage », précise le jugement.
Avec certains bémols, le tribunal dit ne pas ignorer ces allégations, bien qu’elles soient vivement contestées par l’avocat du camping et les filles de Dominic Perrier.
L’avocat du Camping Havana Resort, Jocelyn Belisle, n’a pas retourné l’appel de La Tribune lundi en début de soirée. Cette situation survient alors que la direction du camping s’apprête à tenir, mercredi, une conférence de presse pour revenir sur une enquête de Radio-Canada sur les conditions des travailleurs migrants de l’établissement.
L’établissement a 30 jours pour porter appel à la décision.