Récit d’une histoire toute sherbrookoise…
C’était le 12 juin 2008. La date est gravée dans mes souvenirs. Mon idée lancée à la direction du Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke quelques mois plus tôt d’inviter Robert F. Kennedy Jr en ville à titre de conférencier pour une activité bénéfice se concrétise enfin. Ayant réussi ce coup de filet grâce à mon réseau de contacts aux États-Unis , je suis en charge d’aller le chercher et de m’occuper de lui pour la journée. J’attends patiemment à l’aéroport de Burlington au Vermont qu’il apparaisse à la sortie de la porte d’embarquement.
Au premier regard, j’ai vraiment l’impression de voir un mélange entre son père et son oncle tellement la ressemblance est frappante. La démarche, la mimique, je n’en reviens pas. Je découvre surtout sa voix éraillée caractéristique d’une dysphonie spasmodique (spasmes de la corde vocale), un spasme intermittent des muscles laryngés qui induit une anomalie vocale et dont Kennedy est atteint.
Pour quelqu’un qui a étudié en histoire à l’Université de Sherbrooke et qui se rappelle ses cours d’histoire des États-Unis avec le prof Gilles Vandal, avoir Robert F. Kennedy Jr devant soi est comme un cours d’histoire en accéléré.
Après le fils de John F. Kennedy, JFK Jr, surnommé John-John, mort dans un mystérieux accident d’avion au sud du Connecticut et que l’Amérique voyait déjà président des États-Unis, Robert F. Kennedy Jr est de loin le Kennedy qui fascine le plus les Américains. C’est lui aussi qui fait rêver ces derniers de revoir un jour la famille Kennedy à la Maison-Bl,anche. Après tout il est l’héritier du clan, l’aîné aussi, mais par-dessus tout, le Kennedy qui dispose du plus grand potentiel pour être président des États-Unis. Et tout cela malgré des travers qui en font un personnage polarisant capable des meilleures idées, mais aussi des pires. C’est pourquoi plusieurs parlent de RFK Jr comme d’un être rempli de paradoxes et de contradictions. Et s’il plonge, la campagne électorale sera tout sauf reposante pour ses adversaires démocrates autant que républicains.
Le clan Kennedy se raccroche d’ailleurs toujours à lui aujourd’hui, même si plusieurs de ses frères et soeurs, cousins et cousines, neveux et nièces ont pris leurs distances depuis qu’il s’est lancé dans une attaque interminable frisant l’obsession à propos de la vaccination et la mainmise de ‘’Big Pharma’' sur nous tous. Ceux qui suivent son parcours savent que RFK Jr est passé maître dans l’art de susciter la controverse notamment par ses positions contre toutes formes de vaccination faisant de lui l’antivax par excellence. On le connaît aussi comme un environnementaliste de luxe qui prend les causes de pollution de rivières et des lacs à bras le corps poursuivant les plus grands pollueurs du monde et qui ont fait de lui un avocat commandant un salaire de plus de 2 millions par an pour des batailles épiques contre les plus grands pollueurs du monde, lui conférant par ailleurs une fortune personnelle de plus de 60 millions de dollars.
Le plus âgé des enfants Kennedy a appris jeune qu’il devrait vivre avec un destin qu’il n’a pas choisi et qui ne l’enchantait absolument pas. Et lorsque je lui ai demandé ce jour-là s’il envisageait déposer sa candidature à une course à la présidence des États-Unis, la réponse a pris un peu de temps à venir. Cela m’a laissé croire que même le non qu’il m’a servi après quelques secondes d’hésitation a été suivi d’une longue justification sur la manière de changer le monde sans vendre son âme pour devenir un élu et dépendre des dons des militants et des grosses corporations qui manipulent l’économie et saccagent notre environnement. Et malgré sa réponse, impossible de ne pas penser qu’il ne se lancerait pas un jour dans la course. Un peu comme s’il n’avait pas le choix.
La route entre Burlington et Sherbrooke nous a paru courte tellement nous avons discuté de tout et de rien, du meilleur et du pire aussi. Je me souviendrai toujours de ce débat animé entre nous à propos de l’hydro-électricité. Je lui parlais de ma ville, Sherbrooke, qui bénéficiait grandement des barrages au fil de l’eau que nous avons su préserver et développer tout au long de la rivière Magog. Pour lui, l’énergie hydro-électrique l’horripile toujours au plus haut point même s’il a adoré la gorge de la rivière Magog que le maire de l’époque, Jean Perrault lui a fait découvrir tel un gamin ouvrant son sac de billes devant son meilleur ami tellement les deux étaient contents de marcher ensemble sur le bord de la rivière. Il considère l’hydro-électricité comme loin d’être verte à cause des terres inondées et s’oppose au développement des barrages avec force partout où il passe. Il m’a d’ailleurs rappelé sa dernière visite au Québec en 2004 alors qu’il fut invité par la Fondation Rivière, co-fondée par Roy Dupuis, à manifester en canot sur la rivière Magpie afin de combattre le développement des barrages hydro-électriques.
Mais la plus importante conversation de la journée entre lui et moi a sans doute été celle à propos du village de Barton au Vermont. RFK Jr reçoit un appel de son épouse Mary Richardson qui lui demande où nous sommes rendus. Comme ce dernier m’avait demandé de passer par les routes sinueuses du Vermont plutôt que par l’autoroute, nous passons le village de Barton au moment de l’appel. Mary lui répond que sa famille y a longtemps eu un chalet de ski.
Et Barton, dans ma tête de Sherbrookois un peu amateur de controverses moi-même, rime essentiellement avec le site du Barton Fair. Cette exposition agricole annuelle qui se tenait en août de chaque année et reconnue surtout pour ses soirées olé, olé avec ses spectacles d’effeuilleuses et autres services connexes. Ces soirées qui ont été à l’origine de tellement de mariages brisés dans les années 70 et 80 et particulièrement au sein de l’élite sherbrookoise et estrienne. Je raconte à Kennedy avec beaucoup d’ironie et d’humour, certaines de ces histoires de couples brisés. Et tout à coup, je sens Kennedy incrédule. Il doute de mes histoires. Il rappelle Mary. « C’est vrai toutes ses histoires de sexe à propos de Barton, Mary? » Surprise elle-même, elle lui répond oui en riant. Je suis tout à coup un peu gêné, mais je sens qu’elle l’est elle aussi à l’autre bout de la ligne dans sa maison de Mount Kisco près de New York. Et soudain le paradoxe JFK Jr ressort. Il éclate de rire et se promet d’introduire ce sujet lors de son discours au Théâtre Granada. C’est ça aussi JFK Jr. Et moi d’appréhender tout à coup le regard du maire Perrault si jamais Kennedy tient parole.
En tout cas, si jamais Robert Kennedy Jr devient président des États-Unis, nous pourrons au moins dire que le Président connaît très bien notre ville et certains de ses travers les plus croustillants!