C’est au cœur de l’agora intérieure de l’école secondaire La Ruche qu’Ophélie Vigneault, une élève de cinquième secondaire, a dévoilé le projet produits d’hygiène féminine (PHF), qui mijote au conseil étudiant depuis plusieurs années. L’initiative est le fruit de l’implication de sept adolescentes, un concept qui a mis plus d’un an avant de se concrétiser.
« Le projet PHF est une initiative qui est nécessaire dans notre école. Le but est de rendre accessible et sans tabou les produits menstruels. »
— Ophélie Vigneault
À La Ruche, 8, c’est l’indice de défavorisation selon le milieu socioéconomique, un des plus élevés sur l’échelle du ministère de l’Éducation. « Pour une famille dans le besoin, c’est une dépense de plus à couvrir », ajoute la porte-parole du projet.
En moyenne, une personne menstruée débourse 6000 $ en produits menstruels, au cours de sa vie au Canada, selon un rapport du Syndicat national des employés publics et généraux (NUPGE).
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Le comité assure que la gratuité, l’ouverture et l’accessibilité sont les critères maîtres du projet. « Si c’est normal d’avoir le papier de toilette gratuit dans les lieux publics, pourquoi en serait-il autrement pour les produits d’hygiène », poursuit Ophélie Vigneault devant ses collègues de classe.
Un distributeur de produits menstruels gratuits a été mis à la disposition dans la salle de bain principale de l’école secondaire. Les élèves qui en ont besoin pourront également se procurer du matériel au secrétariat et auprès d’intervenants sur place. Et les élèves du comité s’assureront que le dispositif soit toujours rempli, à l’aide de dons des partenaires ou des élèves qui désirent contribuer.
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« Nous souhaitons aussi encourager la solidarité féminine. Entre personnes menstruées, c’est important de se soutenir. »
— Ophélie Vigneault
Quand les femmes peinent à s’acheter des produits menstruels, certaines vont opter pour du papier de toilette ou du papier à main, continue-t-elle. D’autres vont même conserver leur serviette sanitaire ou leur tampon trop longtemps, au risque de développer des infections.
C’est plus de 19 % des personnes menstruées au Québec qui ont eu recours « occasionnellement » à ce genre de moyen alternatif, indique une enquête du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF).
« Je trouve que [le projet] est vraiment important. Je trouve aussi que c’est important que ce ne soit plus tabou. Pas seulement pour les filles et les jeunes, mais aussi pour les professeurs qui sont mal à l’aise de parler de [menstruation] », ajoute Clara St-Pierre, une élève de quatrième secondaire du comité.
« On essaie de rendre ça commun et normal », ajoute Ophélie Vigneault.
Des produits durables
Le projet PHF s’inscrit aussi comme un outil de sensibilisation auprès des adolescents de La Ruche. Les jeunes filles du comité ont sollicité la Maison de la famille Memphrémagog pour offrir des ateliers à l’école sur les chocs toxiques et mettre à disposition des produits menstruels écologiques gratuits pour les élèves.
L’organisme communautaire offre déjà aux femmes un remboursement de 50 % des coûts sur les coupes menstruelles, les sous-vêtements menstruels et les serviettes hygiéniques lavables, pour un maximum de 100 $ par personne.
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La gratuité des produits menstruels, « c’est quelque chose de faisable », selon Ophélie Vigneault. « On peut pousser l’idée », ajoute celle qui espère voir l’initiative se répandre à l’échelle provinciale.
La MRC du Granit a d’ailleurs lancé mercredi le projet Les bobettes rouges, qui vise notamment à offrir aux femmes de 10 à 20 ans de la région des produits menstruels lavables gratuits. Il s’agit d’un projet pilote déployé par la MRC en collaboration avec la Société de développement économique du Granit et la Constellation du Granit.
Le Québec en suspend
« On n’est pas à reculons. En fait, il y a beaucoup de choses en préparation qui ne sont pas encore en place, mais en cours », assure Mila Zielinski, chargée des partenariats pour la campagne le Fil Rouge du RQASF.
« On a beaucoup de volonté, mais on attend toujours un geste politique », ajoute-t-elle. Plusieurs municipalités au Québec offrent des subventions sur les achats des produits menstruels jetables ou lavables, précise-t-elle. Mais c’est plutôt une loi interministérielle qui est primordiale pour lutter contre la précarité menstruelle, selon elle.
Selon un rapport du Conseil du statut de la femme du Québec, 12 à 34% de la communauté québécoise ont dû sacrifier l’achat de produits menstruels pour se procurer un autre produit essentiel comme de la nourriture.
Il y a des enjeux de santé et de dignité quant à la précarité menstruelle, insiste Mila Zielinski. « Quand des personne ne peuvent pas s’offrir les produits, elles se mettent à l’écart et s’isolent. C’est une question de participation sociale au sens large et de santé mentale », poursuit-elle.
« Vraiment, pour arriver à la fin de la précarité menstruelle, il n’y a rien de mieux que la distribution gratuite des produits. »
— Mila Zielinski
C’est l’Écosse qui a notamment parti le bal avec le Period Products Act, voté l’an dernier. En février, l’Espagne a d’ailleurs autorisé les congés menstruels en milieu de travail. Une école secondaire à Ravenne, dans le nord de l’Italie, a récemment autorisé un tel congé pour les élèves, possible deux fois par mois. Dans le même ordre d’idée, les écoles publiques en Colombie-Britannique sont tenues d’offrir des produits menstruels gratuits pour les élèves depuis 2019.
Ce n’est pas les initiatives inspirantes qui manquent pour que le Québec emboîte le pas, lance Mila Zielinski. Dans son plan 2022-2027 pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le gouvernement du Québec assure vouloir « rendre accessibles les produits menstruels jetables aux filles et aux femmes vivant en ressources intermédiaires et de type familial ».
Ottawa a accordé l’an dernier 25 M$ sur deux ans pour un projet pilote national pour le Fonds d’équité en matière de produits d’hygiène féminine, qui vise notamment à aider financièrement des personnes à se procurer des produits menstruels.
« C’est complexe, mais c’est franchissable. Il y a plein de pays qui l’ont mis en place, et j’espère qu’au Québec ça va être le cas bientôt », termine Mila Zielinski au téléphone.