Travailleurs mexicains sous-payés chez BRP : le politique doit se mouiller

BRP a fréquemment recours à de la main d'œuvre étrangère.

POINT DE VUE / Cette semaine, une excellente enquête du journaliste Thomas Deshaies de Radio-Canada a permis de mettre en lumière la réalité de 160 travailleurs mexicains exploités et abusés par BRP de Valcourt qui ont fait appel à des employés de leurs usines de Querétaro et de Ciudad Juarez au Mexique pour contrer la pénurie de main-d’œuvre au Québec.


Pourtant, il y aurait eu une récente vague de licenciement de travailleurs chez BRP. Comment est-ce possible de mettre à pied des personnes et en même temps alléguer une pénurie de main-d’œuvre? L’entreprise se défend en prétextant que les employés mis à la porte ne répondaient plus aux attentes de l’entreprise, quelle coïncidence…

Les sommes perçues par BRP, soit environ 60 % du salaire, serviraient à couvrir les frais d’hébergement, de transport, de repas, de divertissement, etc. Cela représente environ 2000 $ par mois par personne. C’est illégal, immoral et nettement abusif.

La dénonciation des cas d’abus concernant les travailleurs étrangers temporaires ne cesse d’augmenter. Plusieurs parlent de la COVID ou de la pénurie de main-d’œuvre comme la cause principale de ces abus. Pourtant, cela existait bien avant, et malheureusement, certains employeurs se comportent comme au temps de l’esclavagisme où les travailleurs étaient considérés comme un bien ou un actif de leur compagnie.

Oui, ils sont payés, mais ils sont sous-payés dans bien des cas. Ils font très souvent de très nombreuses heures sans que le temps supplémentaire soit convenablement rémunéré ou sans recevoir des congés en compensation.

Oui, ils sont hébergés, mais bien souvent à plusieurs dans des conditions atroces et déplorables avec de nombreux lits superposés dans des chambres grandes comme un placard, sans avoir accès à un salon ou une véritable cuisine. Ils ont accès à une seule salle de bain avec peu d’eau chaude pour se laver. Le chauffage est souvent inadéquat et il y a de la moisissure.

L’accès à une main-d’œuvre étrangère semble être un vrai buffet ouvert pour des employeurs peu scrupuleux qui y voit la possibilité d’avoir une main-d’œuvre servile, docile, captive et ignorante de ces droits. […]

Si seulement nous pouvions nous cacher la face en prétextant que nous n’étions pas au courant.

Notre organisme a mené une campagne en 2010 nommée «Les travailleuses et les travailleurs migrants, une question de dignité!» et effectué une tournée des députés dans plusieurs régions du Québec pour les informer et les sensibiliser à leur réalité et trouver des solutions. Nous avons remis un document avec 18 recommandations à mettre de l’avant pour améliorer leurs conditions de travail et de vie. Ce n’est donc pas parce que le milieu politique n’est pas au courant que les choses persistent toujours. […]

L’exemple de BRP choque, mais on réagit vivement sur le coup et cela retombe dans l’oubli et la situation perdure. Le politique doit se mouiller. Si nos gouvernements acceptent que des personnes viennent travailler ici dans le cadre de différents programmes et par le biais d’agence de recrutement, ils doivent leur garantir une vie digne et décente.

Il faut vérifier les intentions et les besoins réels de l’entreprise avant d’accorder des permis.

Il faut octroyer des permis ouverts pour que les personnes puissent quitter leur employeur abusif et trouver un autre emploi […].

Il faut des inspections spontanées pour vérifier l’état des milieux de vie.

Il faut un suivi sur les heures de travail effectuées. Il y a des cas où on rapporte avoir travaillé deux ans sans aucun congé […].

Il faut des formations à l’arrivée des travailleurs étrangers pour les renseigner, les informer et les aider à comprendre les ressources existantes et les recours éventuels.

Il faut un accès à des interprètes dans leur langue pour les accompagner au besoin lors d’une visite médicale, pour le dépôt de plaintes, etc.

Il faut un registre connu et accessible des employeurs ayant été reconnus coupables d’infractions.

Il faut de la volonté politique pour mieux encadrer l’utilisation des différents programmes existants.

Il faut le courage politique de retirer aux employeurs fautifs le droit d’avoir recours à ces programmes à vie et leur faire payer des amendes substantielles lorsqu’ils sont reconnus coupables […].

Il faut une volonté réelle de reconnaître l’apport essentiel des travailleurs étrangers à la collectivité par les biens et services que ces personnes produisent, en plus de favoriser leur intégration en leur permettant de pouvoir vivre et s’établir ici.

Alors là et seulement là, on pourra parler d’une migration économique réussie sans porter le poids d’une culpabilité face à notre inertie collective.

Manon Brunelle

Coordonnatrice d’Illusion Emploi Estrie