Dans un texte publié en après-midi mardi, Ici Estrie rapporte que les salaires des employés mexicains de BRP sont coupés de 60% par leur employeur - soit environ 550$ par semaine - pour couvrir plusieurs frais de prise en charge. Selon les talons de paie que Radio-Canada a consultés, les travailleurs étrangers toucheraient au final un salaire horaire oscillant entre 5,50 $ à 7,25 $. Nous n’avons pas été en mesure de confirmer cette information.
Une enquête de la CNESST est actuellement en cours par rapport à cette situation chez BRP.
Rejoint par La Tribune, le directeur des ressources humaines et des opérations de l’entreprise a immédiatement rejeté les allégations de Radio-Canada.
«Notre position est la même depuis le début, se défend Carl Beauparlant. On est toujours partis d’une base de comparaison d’un travailleur canadien. Le travailleur canadien paie ses déductions d’impôt, son assurance-emploi, sa régie des rentes. Ensuite, il doit se loger, se déplacer et se nourrir. Évidemment, on a respecté la loi dans les déductions. Mais on ne peut pas comparer un salaire brut avec un salaire net.»
Carl Beauparlant assure que son entreprise a respecté les lois. «Si je prends le salaire d’un employé qui travaille dans l’usine, une fois qu’il a payé son appartement, ses charges sociales, etc., évidemment, il ne lui reste pas 23$ l’heure. On n’est pas à l’aise avec la méthode de calculer le taux horaire brut avec le résultat net dans la poche d’un travailleur mexicain», analyse-t-il.
Le directeur des ressources humaines et des opérations de BRP estime qu’il n’est pas «honnête» de laisser sous-entendre que quelque 2000$ par mois sont destinés au logement et aux frais de nourriture. «C’est là que j’ai de la difficulté. Vous payez des impôts sur votre salaire. Si l’employeur le déduit, est-ce qu’on peut dire qu’on l’a prélevé sur votre salaire? Ça devient une drôle de comparaison. Les impôts sont inclus dans les 2000$. À partir du moment où on dit que 2000$ c’est honteux, ça inclut les charges sociales, le logement, la nourriture, le transport. On fait le ménage, le lavage, on prend charge de tout», assure-t-il.
«Et on est à l’aise avec nos travailleurs canadiens. [...] Le débat pourrait être pris de l’autre côté: les travailleurs canadiens pourraient dire qu’on paie la nourriture et le logement des travailleurs mexicains, mais pourquoi ne le faites-vous pas avec nous?», demande le directeur des ressources humaines et des opérations de l’entreprise.
«De dire qu’on a donné le quart du salaire, c’est de comparer des pommes et des oranges. C’est extrêmement clair pour nous. [...] Il n’y a aucune honte à dire que nous avons été extrêmement raisonnables», affirme M. Beauparlant.
Le représentant de BRP assure par ailleurs que les travailleurs mexicains ont été informés préalablement des différentes déductions qui seraient prélevées sur leur salaire. «Selon la loi, si les travailleurs ne sont pas d’accord avec les déductions, ils peuvent en discuter avec nous. On est tenus de respecter leur position. Ça n’a jamais été le cas, car les conditions ont été établies dès le début. Nous n’avons à aucun moment eu une question et nous sommes très ouverts», assure le directeur des ressources humaines et des opérations de BRP.
M. Beauparlant n’a cependant pas voulu partager avec La Tribune le document illustrant les déductions, puisqu’on «tombe dans la confidentialité et dans la vie privée».
Le directeur des ressources humaines affirme également que l’entreprise n’est pas soumise à l’article 6 du Règlement sur les normes du travail cité par Radio-Canada stipulant qu’un employeur ne peut prélever plus de 2,37 $ par repas, jusqu’à concurrence de 30,91$ par semaine et 29,72$ par semaine pour une chambre.
«Il correspond à un programme de travailleurs étrangers. Je ne suis pas un spécialiste de l’immigration. Mais l’article 6 ne s’applique pas à notre permis de travail et à notre situation, estime-t-il. Il y a des articles dans la loi qui prévoit qu’on peut de faire des déductions avec l’assentiment des employés. La base de tout ça, c’est qu’un employé canadien qui vient travailler tous les jours, il ne peut pas gagner moins d’argent qu’un de ses collègues mexicain au net.»
Pas illégal «mais immoral»
Pour la coordonnatrice d’Illusion Emploi, Manon Brunelle, il n’est pas surprenant que de telles allégations concernant la main-d’œuvre étrangère soient exposées au grand jour. «S’il y a des choses qui ne sont pas illégales, elles sont certainement immorales. On ne peut pas donner un salaire sous le minimum», décrie celle qui travaille entre autres sur le dossier des travailleurs étrangers depuis la fin des années 1990.
«On ne peut pas prendre une ponction faisant en sorte qu’une personne ne reçoit pas le salaire auquel elle a droit, certifie-t-elle. Les frais de loyer et de nourriture seraient terriblement élevés, ce qui est inadmissible. Ce n’est pas normal que les gens fassent venir des travailleurs et décident d’appliquer de telles mesures. [...] Même pour un concierge, un propriétaire ne peut pas décider de le payer moins en échange d’un loyer. C’est une pratique illégale. On doit payer le salaire et après [l’employé] paie ces frais. Et ce n’est jamais aussi élevé.»
Selon Manon Brunelle, les permis «fermés» octroyés aux travailleurs étrangers, permis qui ne permettent d’avoir qu’un seul employeur au Canada, n’aident en rien à prévenir ce genre de situation. «S’ils vivent une situation d’abus, ils peuvent difficilement la dénoncer et essayer de se trouver un autre emploi, car c’est le rapatriement qui les attend», décrit Mme Brunelle, ajoutant que la résidence permanente n’est plus accessible pour les travailleurs étrangers.
L’experte déplore du même coup que les entreprises sont rarement soumises à des inspections et à des suivis. «Je parle d’inspection spontanée : personne ne le sait, tu débarques et tu vas voir dans quelles conditions travaillent et résident les travailleurs. Et tu t’arranges pour avoir un interprète dans leur langue qui peut leur poser des questions», explique Mme Brunelle, n’hésitant pas à comparer ces situations à de l’esclavagisme moderne.
«Je présume qu’il y a beaucoup plus de cas que ceux qu’on entend. [Les travailleurs étrangers] ont peur! Et ils travaillent de six à sept jours par semaine dans certains cas. Quand ont-ils le temps de faire des démarches pour déposer une plainte? On ne travaille pas la nuit et il y a la barrière de la langue», s’insurge la coordonnatrice d’Illusion emplois, soulignant du même coup l’inaction des gouvernements.
«Ce sont plutôt des groupes comme nous qui vont s’occuper du dossier. C’est rarement le gouvernement qui rectifie le tir. Je serais surprise qu’il s’en mêle et qu’il tape sur les doigts de BRP en retournant tous les travailleurs mexicains dans leur pays d’origine», se désole Manon Brunelle.
Le député caquiste de la circonscription de Richmond, André Bachand, a refusé la demande d’entrevue de La Tribune. «Je veux commencer par dire que les allégations rapportées par Thomas Deshaies de Radio-Canada sont inacceptables. Une enquête de la CNESST est en cours et on va attendre les conclusions. C’est important de rappeler que les travailleurs étrangers ont droit à des conditions de travail justes, équitables et sécuritaires. Ils ont les mêmes droits que les travailleurs québécois», s’est contenté de commenter le député dans une déclaration écrite.