Chronique|

On encourage les explosions de coûts

Le chantier routier des Grandes-Fourches, à Sherbrooke, connaît, comme bien d’autres projets, des dépassements de coûts.

Chaque fois qu’on annonce un dépassement de coûts pour un projet, j’imagine une partie de la population simplement hausser les épaules. «Eh! Encore une fois!» Ça n’étonne plus personne.


Bien que la liste des projets qui n’ont pas eu de dépassements de budget soit plus courte à faire, elle demanderait peut-être plus d’énergie, parce qu’ils seraient plus durs à trouver.

Que ce soit à Sherbrooke, à Montréal, à Gatineau, au gouvernement du Québec ou au fédéral, il y a (presque) toujours de nouveaux frais, des surprises, des sous-estimations, des bonifications. 

Comment tout ça est devenu aussi banal? 

Le conseiller municipal de Sherbrooke, Paul Gingues, a bien raison de lever un drapeau rouge. «Tous ces projets ont connu des hausses de coûts qui n’ont absolument rien à voir avec les informations sur lesquelles les membres du conseil ont été appelés à prendre leur décision», a-t-il déclaré dans un communiqué.

L’élu souhaite que la Ville de Sherbrooke fasse une «révision complète du processus d’évaluation» des projets. Pour que le conseil municipal puisse prendre des décisions plus éclairées. 

Est-ce que ce serait suffisant? Il y a une série de procédures ou de façons de faire qui nous mène à ces inévitables dépassements de coûts.

Le plus bas soumissionnaire

Le gouvernement Legault avait promis de modifier la Loi sur les contrats des organismes publics qui a cette règle du plus bas soumissionnaire. Une règle qui est critiquée de plusieurs côtés. Mais le gouvernement ne l’a finalement pas fait.

Les chambres de commerce trouvent que cette règle freine l’innovation – et probablement les profits aussi. Les villes ou les ministères se sentent coincés d’accepter des offres qui ne sont pas toujours les plus intéressantes. 

Avec cette règle, les institutions doivent parfois mettre de côté des offres plus écologiques, plus porteuses ou plus innovantes, juste parce que l’autre offre est, sur le coup, moins cher. 

Cette pratique encourage aussi à jouer avec les risques. Pour obtenir un contrat, il ne faut pas se surprendre si certaines soumissions minimisent certains écueils, certains frais, certaines vérifications ou mettent carrément de côté certains scénarios qui pourraient venir avec une facture. Comme découvrir de l’amiante dans un édifice qu’on veut rénover. Ou prévoir une marge trop mince pour les imprévus. 

On mise trop souvent sur les scénarios les plus optimistes. C’est facile enlever des frais sur une soumission sur la simple idée qu’il y a juste une chance sur deux que la dépense se fasse. Sauf que si la dépense doit finalement se faire, ça devient un dépassement de coûts. Et plus une soumission joue ce jeu, plus on risque de défoncer un budget.

La vision à court terme

Ce n’est pas tout à fait étranger à cette règle du plus bas soumissionnaire, puisqu’elle peut limiter les possibilités d’avoir une vision à long terme. Parce que les projets à long terme viennent avec une plus grosse facture, mais quand on regarde le coût sur 50 ans, ça nous reviendrait souvent moins cher de prendre une soumission plus salée. 

Mais la vision à court terme, c’est aussi une manière de gérer. Parfois, c’est clairement un manque de vision politique, mais parfois, c’est aussi lié au sous-financement du municipal ou des programmes publics. 

Par exemple, sur cinq ans, ça va évidemment coûter moins cher d’acheter une paire de bottes à 300$ qui va vraiment durer cinq ans qu’acheter chaque année une paire de bottes à 70$. Surtout que cette paire plus cheap va peut-être même pas toffer l’année. Allo, dépassement de coûts! 

Sauf que cette évidence frappe parfois le mur du budget. Quand on n’est pas capable de sortir plus que 70$, la vision à long terme prend le bord. Ce n’est pas différent dans nos projets publics. Le sous-financement crée parfois ces obstacles et ça vient avec un coût. 

Le sous-financement

Le sous-financement ne limite pas seulement les possibilités de faire des projets plus aboutis ou plus durables, il empêche aussi de voir les risques. 

Il n’y a pas seulement dans l’exécution des travaux qu’on prend les plus bas soumissionnaires ou qu’on limite les dépenses, on le fait aussi dans l’évaluation des projets, dans les inspections, dans les tempêtes d’idées, dans l’expertise interne. 

Autrement dit, on ne veut pas trop dépenser non plus quand vient le temps d’évaluer les besoins, de réfléchir aux solutions, d’examiner les risques, d’évaluer les scénarios ou d’assurer un suivi serré.

La Ville de Sherbrooke, comme les autres villes, fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui donne, mais si elle pouvait vraiment se payer les services d’inspection et d’entretien à la hauteur des réels besoins, l’état du stationnement Webster n’aurait peut-être pris personne par surprise. On l’aurait vu venir. Même chose pour l’amiante dans l’ancienne centrale de police. Ou estimer l’ampleur de la contamination d’un terrain.

Évidemment qu’on a de mauvaises surprises, on ne se donne pas les moyens de bien faire chacune des étapes. La rigueur budgétaire, tel qu’elle est appliquée, pousse dans cette mauvaise direction.

L'opinion publique

Personne en politique n’aime arriver avec de grosses factures. Les projets qui ne coûtent pas trop cher ont généralement un meilleur accueil, font moins peur.

On est tannants, les journalistes. Une des premières questions qu’on pose est toujours : combien ça va coûter? On le sait que cette question dérange. Quelquefois, on sent le malaise, les courbettes pour donner l’impression que la facture est petite.

Faut pas s’en surprendre, le reproche le plus commun dans les projets publics, à tort ou à raison, est que ça coûte trop cher. 

Les mairies et les ministres ont donc cette manie de minimiser, lors des annonces, l’impact financier des projets. Un tic qui joue souvent des tours à ceux et celles qui en abusent. 

Le grain de sable

On peut sans aucun doute améliorer les procédures pour les travaux à Sherbrooke, comme le plaide Paul Gingues, mais ça ne règlera probablement pas grand-chose. La société au complet a cette philosophie où l’on tente de tout optimiser, dans toutes les étapes. Et il suffit d’un petit grain de sable dans l’engrenage pour que tout déborde.

En théorie, sans grain de sable, tout va bien aller. Mais il y a presque toujours un grain de sable qui se pointe.

Et dès que ça déborde, ça vient avec une facture «imprévue».