Dans la région, les données concernant les élèves en difficulté appelés à sauter la sixième année, parce qu’ils ont déjà doublé une année au cours de leur primaire, diffèrent grandement d’un centre de services scolaire à l’autre. Au CSS Chemin-du-Roy, l’an dernier, 21 élèves sur les 1716 inscrits en secondaire 1 arrivaient directement de la 5e année du primaire, soit environ 1,22%. En dix ans, ces taux ont varié d’une année à l’autre, entre 0,91% (2020-2021) et 2,47% (2018-2019).
Au CSS de l’Énergie, en 2021-2022, huit élèves sur 964 étaient dans la même situation, soit 0,8% de la clientèle admise en secondaire 1.
Par contre, du côté du CSS de la Riveraine, la pratique semble beaucoup moins répandue, alors qu’un seul élève est passé de la 5e année au secondaire en 2019-2020, mais aucun autre depuis.
Dans tous les cas, les élèves qui passeront directement au secondaire sans terminer la sixième année iront dans des classes adaptées, et non au programme régulier, une réalité qui, selon des experts consultés par Le Nouvelliste, a un impact direct sur le taux de diplomation au secondaire, mais également sur l’estime pour plusieurs de ces jeunes.
Or, bien qu’on parle de l’«obligation» de terminer son primaire en six ans, cette disposition n’est pas coulée dans le béton armé, et les directions d’école disposent d’un droit de regard qui peut mener à une dérogation si l’on croit qu’il est davantage dans l’intérêt du jeune de poursuivre en sixième année, et donc de terminer son parcours en sept ans plutôt que six.
Partout, on insiste sur le fait que ces décisions sont prises au cas par cas, en collaboration avec l’équipe-école et en communication avec les parents de l’élève. «Si on va de l’avant avec une telle mesure, c’est qu’on a la conviction que ça va donner de bons résultats pour l’élève», fait savoir Isabelle Bourque, porte-parole du CSS de la Riveraine.
«Nous devons tenir compte d’un paquet d’éléments autres que les résultats scolaires. On prend aussi en considération le développement social du jeune, la puberté, l’aspect psychologique de la décision... Ce n’est pas juste une question académique, mais ça tient compte de l’ensemble des éléments qui constituent le développement du jeune», fait savoir Luc Galvani, directeur général du CSS Chemin du Roy.
Pour le spécialiste de la réussite académique et de l’adaptation scolaire, le docteur Égide Royer, c’est une pratique à baliser. Le spécialiste a toujours prôné que l’intervention qui se fera le plus tôt possible sera la plus bénéfique possible sur le long terme. Or, il faut aussi savoir se montrer flexible tout au long du parcours scolaire, et de fournir l’encadrement nécessaire au jeune pour maximiser ses chances de réussite. À tout le moins, de s’en donner les moyens...
Les chiffres actuellement disponibles démontrent en effet, selon Dr Royer, que les jeunes qui sautent directement de la 5e année du primaire à une classe adaptée au secondaire présentent un taux de diplomation minime au secondaire. Pour lui, cette donnée démontre que la mesure, si elle n’est pas mieux balisée, ne fait pas de sens. «On constate la difficulté d’apprentissage, on constate qu’il y a peu de chances de réussite au secondaire, alors on l’envoie tout de suite au secondaire. Vous serez d’accord avec moi que ça sonne mal», mentionne celui qui en appelle à plus de souplesse du système, que ce soit par de l’encadrement ou du tutorat, par exemple, lors de la sixième année pour les élèves qui en auraient besoin.
Autrement dit, il n’y aurait pas de mal à considérer terminer son primaire en sept ans si ça pouvait nous assurer, en bout de ligne, que l’élève terminera son parcours scolaire avec un diplôme.
En ce qui concerne le taux de réussite aux examens de français, alors là, Égide Royer estime qu’il est temps de revoir en profondeur la façon dont on enseigne la lecture et l’écriture au Québec. Cette grande réforme, elle est également souhaitée par Line Laplante, orthopédagogue et professeure à l’UQAM, spécialiste des difficultés en lecture et en écriture et titulaire de la Chaire de recherche sur les apprentissages fondamentaux en littératie.
Selon Mme Laplante, plusieurs recherches menées à la fois au Québec et aux États-Unis démontrent l’importance de l’enjeu de la réussite des premiers apprentissages. On peut même parfois détecter les risques de décrochage scolaire dès l’entrée de l’élève à l’école, en lien avec les difficultés ou les retards qu’il présente.
Comment peut-on alors revoir complètement la façon dont on enseigne le français? Certains enseignants et enseignantes mettent déjà de l’avant de très bonnes pratiques, croit Line Laplante, mais le tout doit être mieux précisé et mieux défini dans le programme éducatif du ministère. Qu’on cesse de mettre de l’avant les objectifs d’apprentissage et qu’on valorise davantage les habiletés et les connaissances.
Par exemple: dès le préscolaire et même à la maternelle 4 ans, apprendre l’alphabet aux enfants en apprenant à la fois le nom des lettres et leur son. Une mesure inscrite dans le nouveau programme éducatif depuis 2020, mais qui ne l’était pas il y a quelques années. On cherchera aussi à faire une plus grande place à la lecture pour le plaisir, ou encore en l’adaptant au contexte réel, comme d’aller lire des informations dont on a besoin.
Évidemment, le contact de la nouvelle génération avec les écrans et la communication écrite par textos par exemple a un certain impact sur les résultats que l’on connaît aujourd’hui, mais la spécialiste est d’avis que si on met en place des bases suffisamment solides dès le départ, l’élève sera en mesure de repérer les formes orthographiques incorrectes lorsqu’il texte, par exemple. Bref, si en amont, on offre une meilleure maîtrise du français, on n’empêchera pas les textos succincts et mal orthographiés, mais on arrivera certainement à ce que le jeune sache, au fond de lui, que cette orthographe n’est pas celle à prioriser ailleurs.