Lambton tente de faire passer un terrain de Domtar en zone agricole à son insu

On voit relativement souvent des municipalités faire des demandes d’exclusion de terrain à la zone agricole à la CPTAQ pour permettre des projets de développements, mais plus rarement des demandes d’inclusion, et encore plus rarement à l’insu de leur propriétaire. C’est ce qu’à fait Lambton à deux reprises en 2021 et 2022.

À deux reprises en moins d’un an, la municipalité de Lambton s’est adressée à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) pour faire inclure dans la zone agricole, à l’insu de leur propriétaire, des terrains jusque-là zonés «blanc». 


La plus récente tentative vise une terre forestière de 109 hectares appartenant à la papetière Domtar, dans le rang 8 de la petite municipalité du Granit.

L’entreprise a été informée de la demande de la Municipalité par la Fédération de l’UPA-Estrie, qui a été appelée à émettre sa recommandation dans le processus décisionnel de la CPTAQ.

«On a été un peu surpris par la démarche parce qu’on n’en avait pas entendu parler», souligne Éric Lapointe, surintendant de gestion des terrains privés et des opérations forestières chez Domtar.

«Nous on travaille avec environ 70 municipalités, et c’est une démarche un peu inhabituelle. À ma connaissance, et ça fait une vingtaine d’années que je suis ici, c’est la première fois qu’on vivait ce genre de demandes de la part d’une municipalité sans en être informés.»

L’affaire n’a pas été plus loin puisque la CPTAQ a rejeté la demande de la Municipalité le 1er novembre dernier, soulignant entre autres qu’elle n’en saisissait pas bien les motifs et qu’elle n’était pas convaincue qu’elle permettrait une mise en valeur du potentiel agricole de la superficie visée.

«On n’était pas favorable au changement de zonage, et on n’a pas vraiment eu à le faire valoir parce que la CPTAQ (…) a refusé la demande, reprend Éric Lapointe. Mais on veille dans ce dossier-là et on surveille la position de l’UPA et de la CPTAQ.»

Une bonne partie du bois prélevé sur les terres de Domtar s’en va à l’usine de Windsor pour être transformée en papier fin, tandis que le bois plus noble est acheminé dans des usines de bois d’œuvre.

Zones blanches vs zones vertes

Au contraire des zones blanches (résidentielles, commerciales et industrielles), les zones vertes (ou agricoles) sont frappées de règles plus strictes d’exploitation et de développement visant à protéger le territoire et les activités agricoles de la province. En zone verte, par exemple, la construction d’une maison ou l’aménagement d’un chemin doit être approuvé par la CPTAQ qui a seule l’autorité pour permettre une activité autre qu’agricole.

Dans l’autre cas défendu par Lambton en ce moment, celui de Sylvain Richard et de sa fille Marie-Ange, l’inclusion de 4,1 hectares dans la zone agricole permanente viendrait ainsi entraver un projet de camping rustique déjà connu, relatait La Tribune en juillet dernier.

Or après avoir été d’abord autorisée par la CPTAQ, puis rejetée en appel, la demande sera entendue par le Tribunal administratif du Québec en février.

À la Municipalité de Lambton, on maintient que ces démarches devant la CPTAQ visent à mieux refléter les activités réelles qui ont cours sur son territoire.

«Les municipalités sont responsables de l’aménagement de leur territoire. Elles peuvent ainsi déterminer dans quel secteur de leur territoire certaines activités sont permises, encadrées, limitées ou voire interdites», explique le conseiller au développement économique et aux communications de la municipalité Pierre-Luc Dussault.

«Le fait que le zonage reflète mieux la situation réelle et les activités permet de pérenniser à long terme cet usage sur cette partie du territoire et permet à la Municipalité de mieux encadrer et planifier son développement», ajoute-t-il.

L’usine Domtar de Windsor est propriétaire de terres à bois dans quelques 70 municipalités en Estrie, en Beauce et au Centre-du-Québec.

Dans 70 municipalités de la région

Exploitant une usine de papiers fins à Windsor, Domtar est propriétaire de plus de 160 000 hectares de terres à bois dans 70 municipalités en Estrie, en Beauce et au Centre-du-Québec.

«La partie du bois qui est de la pâte vient à notre usine pour faire du papier et la partie bois de sciage va à différents clients de l’Estrie et de la Beauce dépendamment si c’est du résineux ou du feuillu», détaille Éric Lapointe.

À Lambton, sauf une parcelle de 6,39 hectares dont on reconnaît le potentiel acéricole, le reste des 109 hectares repose sur des sols au potentiel agricole «plutôt faible», recouvert par des milieux humides et «ne pourrait constituer à lui seul une entité agricole viable», écrit la CPTAQ dans sa décision.

«Les gens se mêlent entre les activités forestières et agricoles, entre autres à cause de l’érablière et parce que la mise en marché du bois relève des syndicats et des offices des producteurs de bois lesquels relèvent de l’UPA», réagit M. Lapointe.

«La sylviculture est une activité agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) au même titre que les autres types de culture, soutient Pierre-Luc Dussault. La demande était donc pour refléter le fait que ce lot est utilisé à des fins agricoles (sylviculture) et que la Municipalité souhaite que cela demeure ainsi dans la planification de l’aménagement de son territoire.»

Quoi qu’il en soit, la Municipalité de Lambton n’a pas l’intention de contester ce refus de la CPTAQ, assure M. Dussault.

Quant au fait qu’elle n’avait pas avisé Domtar de ses intentions ni pris soin de s’assurer que sa démarche n’entravait pas les projets de la papetière sur ces 109 hectares, la Municipalité maintient qu’elle est dans son droit.

À sa décharge, dans les observations de la CPTAQ, il est aussi précisé que la Municipalité «a tenté à quelques reprises de contacter monsieur Éric Lapointe de chez Domtar, mais sans succès ni retour d’appel».

«Ce n’est pas une obligation [de l’aviser], fait valoir à ce propos Pierre-Luc Dussault. Lors de l’étude de la demande, les parties intéressées peuvent faire valoir leur approbation ou opposition à la demande. C’est ce qui a été fait dans le cas présent.»

Compte tenu de la tournure des événements, Domtar ne lui en tient pas rigueur pour cette fois-ci, mais s’est assurée de passer son message.

«On maintient de bonnes relations avec les 70 municipalités avec lesquelles on travaille, dit Éric Lapointe. On suit la réglementation, on suit les dossiers, et on tient à avoir une bonne communication avec elles. C’est aussi ce qu’on a demandé à Lambton. La prochaine fois que vous avez un dossier similaire, appelez-nous, et on va regarder ce qu’on peut faire.»