Chronique|

La voie de la discorde à Lac-Mégantic

Presque 10 ans après la tragédie de Lac-Mégantic, la construction de la voie de contournement ferroviaire n'est toujours pas lancée.

CHRONIQUE / Cette année marquera le dixième anniversaire de la tragédie de Lac-Mégantic. Ce drame humain innommable a laissé une cicatrice profonde dans une ville tissée serrée et des blessures impossibles à soigner pour les personnes qui ont vécu le drame de près. 


Même que la douleur est encore vive pour ceux qui ont survécu aux membres de leurs familles, parents et amis pour qui la vie s’est brutalement arrêtée dans la nuit du 6 juillet 2013. 

Au fil des mois et des premières années qui ont suivi le drame de l’explosion qui a rasé la majeure partie du centre-ville, des intervenants locaux, des citoyens et des politiciens ont suggéré que soit déplacée la voie du chemin de fer. On voulait éviter que le train ne repasse par le centre-ville de Lac-Mégantic. 

Le projet de voie de contournement, né dans la foulée de ces démarches de réflexions devait faire office de baume sur une plaie vive autant que pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Une sorte de moyen aussi de ne plus craindre le train, le voir, l’entendre même tellement le traumatisme a été puissant. On le comprend puisque des survivants ont encore à ce jour des images, des sons terrifiants qui viennent les hanter par moment tellement le choc fut brutal. 

S’en sont suivis nombre de rencontres, réflexions, comités, sondages et analyses devant définir un tracé pour cette voie. On se doute bien aussi que les pressions politiques tant sur le gouvernement fédéral que provincial ont dû être insoutenables pour les élus afin qu’aboutisse ce projet de voie de contournement. 

Où en sommes-nous dix ans plus tard?

L’unanimité qui semblait régner depuis si longtemps autour de cette voie de contournement ne semble plus être aussi unanime dix ans après la tragédie. On sait aussi qu’il est passé quelques milliers de trains depuis la tragédie et que rien de tragique ne s’est produit. Et d’ailleurs, comme il ne se fait plus de triage à Nantes, essentiellement la source du drame qui a entraîné le train fou dans sa descente vers Lac-Mégantic, peut-être que certains commencent à y voir un peu moins l’urgence du projet initial de voie de contournement de 12 km? 

Si on ajoute à cela ce qu’il est convenu d’appeler le deuxième drame à venir de Lac-Mégantic, soit l’expropriation pure et simple de propriétaires dont certaines terres sont des joyaux de biodiversité et de milieux à protéger, serions-nous en train de nous demander jusqu’à quel point il faut persévérer dans le projet original d’une grande voie de contournement de 12 km? Une voie qui va inévitablement entraîner une deuxième cicatrice après celle du centre-ville dans le paysage bucolique de Lac-Mégantic et ses environs. 

Encore récemment, plusieurs élus municipaux, provinciaux et fédéraux maintenaient leurs positions en faveur de la voie de contournement. On peut comprendre leur volonté de respecter leur engagement envers les citoyens de Lac-Mégantic, c’est tout à leur honneur.

Mais faut-il vraiment maintenir cette position dans le contexte actuel? Surtout avec les données du jour, les propositions de rechange, les résultats plus que mitigés des négociations entre Services Canada et les propriétaires de même que les enjeux environnementaux de plus en plus en plus documentés surtout depuis les deux, trois dernières années? Maintenir aussi cette position sans égards aux solides arguments du Syndicat des producteurs forestiers du sud du Québec (SPFSQ) au sein de l’UPA-Estrie notamment à propos des rapports en hydrologie qui sont tout sauf rassurants? 

Dans un monde idéal, on s’entend que le drame ne serait pas arrivé. Dans un monde idéal, on s’entend aussi que ce drame n’arrivera probablement jamais non plus dans aucun autre centre-ville. Et Dieu sait s’il en passe des trains dans les centres-villes partout au Canada. Est-ce que dix ans de reprise d’une vie quasi normale pourraient avoir changé la donne? Serions-nous en train de nous dire collectivement que l’explosion des coûts pour une nouvelle voie jumelée aux drames et aux déchirements qui vont inévitablement venir avec les expropriations et le saccage environnemental valent vraiment la peine de maintenir cette position plutôt que d’évaluer un compromis lucide et raisonnable? 

Même si le Fédéral semble tenir mordicus à l’option de la voie de contournement à 12 km, il n’en demeure pas moins qu’il s’est passé dix ans depuis le drame et que les analyses récentes offrent des alternatives crédibles et tout à fait réalisables, et ce, à très court terme. 

D’ailleurs parlant de compromis, la demi-voie proposée par l’UPA-Estrie mérite que l’on s’y attarde le plus sérieusement du monde avant de procéder aux expropriations. En fait, il serait scandaleux de ne pas tenir compte de l’option. Non seulement la demi-voie règle exactement le dossier que la majorité veut régler, soit sortir les trains du centre-ville à tout jamais, mais surtout elle le fait sans se mettre à dos la municipalité de Frontenac. Sans non plus exproprier des honnêtes propriétaires et sans détruire l’environnement naturel dont plusieurs milieux humides qui pourraient ne jamais se remettre de tels travaux d’excavation en profondeur. 

Revenir sur un engagement politique quand ça s’explique et que ça tient la route ne va absolument pas faire en sorte que la population va en vouloir à leurs élus. Au contraire, je pense que les citoyens comprendront que ceux-ci ont eu le mérite de démontrer une grande sagesse, mais surtout un sens du compromis réfléchi et posé. Comprendre que le temps peut-être aura aussi fait œuvre utile. 

Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.