Chronique|

Parler à la légerte

Âgée aujourd’hui de 92 ans, la comédienne Viola Léger, photographiée ici en 2003, a toujours orthographié son nom de famille «Léger» même s’il se prononce «Légère».

CHRONIQUE / En 2014, Benoît Huberdeau, de Sherbrooke, m’écrivait ceci : «Mes oreilles ont tendance à saigner lorsque j’entends des mots inventés... Deux cas récents : une violoniste de renom s’est adressée au parterre en se disant très "privilégière" et un procureur sherbrookois a qualifié une sentence de "légerte", en prenant soin d’hésiter sur la dernière syllabe, afin de s’assurer de commettre la bonne erreur...»


Voici ce que je lui ai répondu le 7 mars de cette année-là.

Je comprends votre désarroi, mais j’ai appris à développer une certaine indulgence, surtout lorsque certaines de ces fautes sont en fait des artefacts de vieux parlers français.

Le féminin «légerte», qu’on entend encore un peu partout (tantôt innocemment, tantôt avec l’idée de commettre volontairement une erreur populaire) entre dans cette catégorie.

Maintenant, d’où vient ce féminin d’apparence illogique?

Il faut d’abord savoir que l’adjectif «léger» ne s’est pas toujours prononcé [légé]. On a longtemps dit [légère] au masculin singulier.

En fait, on le dit toujours. Où ça? Mais en Acadie! Comment prononce-t-on le nom de l’actrice qui a créé le personnage de La Sagouine? Viola [Légé] ou Viola [Légère]? Pourtant, son nom s’écrit bel et bien Léger.

Denis Dumas, dans son livre «Nos façons de parler : les prononciations en français québécois», rapporte d’ailleurs que plusieurs Acadiens ont modifié la graphie de leur patronyme en Légère pour préserver la prononciation d’origine et se distinguer des Léger québécois.

Un poids [légère]

Supposons maintenant qu’au masculin singulier, vous disiez donc «un poids [légère], un repas [légère], un sommeil [légère]»... Comment allez-vous féminiser cet adjectif?

Se pourrait-il que vous décidiez de calquer des adjectifs qui se terminent par le son [ère] au masculin singulier, tels «ouvert, offert, désert, couvert, expert»...?

Tadaaaaa! Les gens qui disent «légerte» imitent tout simplement les féminins «ouverte, offerte, déserte», etc. Leur raisonnement : si [ofère] se féminise en [oferte], alors [légère] doit se féminiser en [légerte], non?

Notez qu’il y avait une autre prononciation en compétition avec [légère]. Certaines personnes disaient en effet [légér], comme, encore de nos jours, on entend des gens parler de leur «pére» et de leur «mére».

Le r final a fini par être abandonné, et c’est pour cette raison que l’on dit [légé] aujourd’hui.

Mais «légerte» n’est pas disparu pour autant et est resté vivant dans la langue populaire. Il faut l’éviter dans la langue soutenue, mais il demeure témoin d’une ancienne prononciation.

Quant à votre violoniste «privilégière», elle s’est peut-être aperçue de son erreur en la disant. C’est fou ce que la nervosité peut nous faire échapper parfois. Au moins, elle ne s’est pas trouvée «privilégerte»!

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Voici une autre chronique datant du 18 janvier 2013, à la suite d’une question de Gérard Lepage, de Sherbrooke.

«J’ai cherché sans succès une traduction acceptable du mot "lift". J’ai trouvé des groupes de mots (exemple : prendre en covoiturage), mais je n’ai pas trouvé comment remplacer "lift" par un seul mot français dans la phrase : "Donner un lift à quelqu’un."»

Je ne connaissais pas le mot «lift», et encore moins l’expression «donner un lift», avant d’arriver à Sherbrooke il y a plus de 30 ans. Dans mon Alma natal, je disais à l’époque «donner un pouce», de la même façon qu’on dit «faire du pouce», dans la langue populaire québécoise, pour «faire de l’auto-stop», et qu’on appelle parfois «pouceux» les auto-stoppeurs.

Effectivement, si vous essayez de traduire «donner un lift» au mot à mot, vous n’aurez pas beaucoup de choix, car il y a très peu d’équivalents dans cette forme-là. Personnellement, j’emploie souvent le mot «occasion». Cela peut sembler vague comme synonyme, mais une fois inséré dans son contexte, le mot prend tout son sens.

«Je cherche une occasion pour me rendre à Québec.»

«Moyen de transport» ou «place en voiture» pourraient aussi se substituer à «occasion» ici, mais c’est un peu plus lourd. Par contre, si vous remaniez un peu votre phrase, il y a des formes encore plus simples, tels les verbes «conduire», «reconduire», «raccompagner», «ramener», «emmener» et «déposer».

Ainsi, au lieu de demander à quelqu’un s’il peut vous donner un «lift» jusqu’à votre travail, demandez-lui plutôt s’il peut vous y conduire, vous y emmener ou vous y déposer. Si vous retournez à la maison, demandez à quelqu’un de vous y raccompagner, de vous y ramener ou de vous y reconduire (ces trois verbes comportent en effet la notion de retour).

La Banque de dépannage linguistique donne plusieurs exemples où, en construisant la phrase autrement, il est possible de se débarrasser du mot «lift».

«Personne ne pouvait me ramener en ville [plutôt que "je n’avais pas de lift pour revenir en ville"].»

«Veux-tu monter? Je passe par là de toute façon [au lieu de "veux-tu un lift?"].»

«Je l’ai fait monter avec moi [plutôt que "je lui ai donné un lift"].»

Votre suggestion, «prendre en covoiturage», est un peu trop pointue pour convenir au contexte ici. Le covoiturage se fait d’habitude sur un trajet routinier, alors que «lift» a plutôt un caractère occasionnel.

Perles de la semaine

On peut dire de ces élèves qu’ils n’ont pas encore eu leur épiphanie...

«Jésus est né en l’an 0 et la nuit de Noël, comme par hasard.»

«Le Christ est le fils de Marie et de Jésus.»

«Les paraboles sont des fables de La Fontaine que Jésus racontait pour faire rigoler ses disciples.»

«Ce qu’on ne sait pas, en fait, c’est que Jésus n’était même pas chrétien.»

«Jésus a fait deux miracles : il a marché sur l’eau et il a marché sur le vin.»

Source : «Le sottisier du bac», Philippe Mignaval, Hors Collection, 2010.


Questions ou commentaires? Steve.bergeron@latribune.qc.ca.