Chronique|

Boules à mythes

Dans le tout premier épisode de <em>Série noire</em>, en 2014, le personnage de François Létourneau (le plus à droite sur le canapé) remettait en question l’usage du verbe "s’avérer" dans une phrase pourtant correcte sur le plan syntaxique.

CHRONIQUE / Le 7 mai 2016, je répondais à cette question de Roger Garant, de Lac-Mégantic : «J’ai entendu de la part d’un animateur télé que l’on venait de déboulonner un mythe après une expérience scientifique. La phrase suivante disait que l’on venait de démystifier la situation. Aurait-on dû dire que l’on venait de démythifier la situation? Je n’ai pourtant jamais entendu quelqu’un dans les médias utiliser le terme "démythifier", alors que "démystifier" est utilisé à profusion.»


Effectivement, un mythe et une mystification étant deux choses différentes de prime abord, on suppose que de détruire un mythe, ce n’est pas «démystifier». L’erreur est très courante dans les médias et la population en général. Mais elle n’est peut-être pas si mauvaise que ça...

En fait, je crois que la plupart des gens utilisent «démystifier» tout simplement parce qu’ils ignorent que le verbe « démythifier » existe. Mais oui! Et s’il existe, c’est que le verbe «mythifier» existe aussi. Il veut dire «transformer en mythe» ou «donner une dimension plus grande que nature», explique la Banque de dépannage linguistique.

«La sublime Ursula Andress a contribué à mythifier le bikini.» 

«Rongeur craint et détesté par les adultes, la souris a été mythifiée aux yeux des enfants par Walt Disney.»

La mystification, elle, est moins vertueuse. Mystifier quelqu’un, c’est le berner en abusant de sa crédulité, en s’amusant à ses dépens. C’est aussi «tromper en déformant la réalité». C’est pourquoi on désigne parfois les magiciens et illusionnistes comme des mystificateurs, même s’ils n’ont pas d’intention malveillante.

Là où ça se corse, c’est que le verbe «démystifier» a le sens de «détromper (en parlant d’une personne)» et de «priver de son mystère, de son attrait en montrant sous son vrai jour».

Voilà qui n’est pas très loin de la définition de «démythifier» («supprimer le caractère mythique de»), car un mythe peut être également une tromperie. «Démystifier» pourrait donc se justifier selon la situation. Mais la plupart des ouvrages de difficultés considèrent qu’il faut faire la distinction.

Personnellement, j’ai aussi tendance à garder une porte ouverte selon le contexte. Par contre, si un journaliste vient de parler de déboulonner un mythe, il doit logiquement utiliser le verbe «démythifier».

S’avérer suivi de... rien

Le 11 mars 2017, Normand Fortin, de Sherbrooke, me questionnait sur l’usage du verbe «s’avérer» : «Dans ma vie antérieure, il me semble généralement avoir lu le verbe "avérer" suivi d’un complément ou d’un qualificatif. Exemple : Les tests se sont avérés négatifs, la situation s’est avérée exacte. Je constate de plus en plus que l’on n’ajoute plus de complément ni de qualificatif (les résultats se sont avérés). Les deux possibilités sont-elles acceptables?»

Votre question me fait penser au premier épisode de la télésérie «Série noire», diffusé par Radio-Canada en janvier 2014. Démolis par la critique montréalaise, les deux auteurs héros de cette histoire vont rencontrer leur productrice, qui tente de leur remonter en moral en leur tendant les commentaires plus positifs qui ont été écrits dans les médias régionaux, dont le Courrier de l’Estrie.

Le personnage de François Létourneau lit alors un extrait à voix haute : «L’intrigue sinueuse, déculpée (sic) par l’environnement musical, s’est vraiment avérée. C’est même pas une phrase complète! S’est avérée quoi? »

J’étais dans la salle pour le visionnement de presse et j’avais bien envie de dire : «Il est où, le problème?»

Bien sûr, «déculpée» est un barbarisme de «décuplée». Quant à la tournure «s’est vraiment avérée», elle est affreusement pléonastique, parce que «s’avérer» employé seul veut dire «être reconnu comme vrai, être confirmé», explique la Banque de dépannage linguistique. C’est comme si l’auteur avait écrit : l’intrigue a vraiment été reconnue comme vraie.

Mais pour répondre à votre question : oui, on peut recourir au verbe «s’avérer» sans le faire suivre d’un adjectif, d’un infinitif ou d’une proposition. 

«Les résultats se sont avérés» signifie donc «les résultats ont été reconnus comme vrais». «L’intrigue s’est avérée» veut dire «l’intrigue s’est confirmée» (bon, ça reste bancal quant au sens, mais il n’y a pas d’erreur de syntaxe).

Le seul bémol, c’est simplement que plusieurs ouvrages de référence considèrent cette forme comme littéraire ou désuète.

Toutefois, comme je le mentionnais dans une chronique sur le même sujet en 2012, cette tournure fait un fabuleux retour dans les médias depuis quelques années. Les journalistes du Québec l’utilisent souvent aujourd’hui. D’ailleurs, le fait que vous me demandiez comment employer ce verbe (et non comment le définir) prouve que vous tombez dessus fréquemment et qu’«avérer» n’est pas aussi rare que le prétendent certains dictionnaires.

Vrai ou faux?

On doit simplement faire attention à deux formules encore très critiquées : «s’avérer vrai» et «s’avérer faux». Puisque, pour plusieurs, l’idée de vérité est intrinsèque à ce verbe, «s’avérer vrai» apparaît comme un pléonasme et «s’avérer faux», comme une contradiction.

La Banque de dépannage linguistique estime toutefois qu’il ne faut plus être aussi intransigeant aujourd’hui. Selon elle, «s’avérer», lorsqu’il est suivi d’un adjectif, perd son sens initial et veut plutôt dire «être, se révéler, se montrer». «S’avérer vrai» équivaut donc à «être vrai, se révéler vrai».

Pour ma part, j’ai tendance à me ranger du côté des plus critiques, parce que je trouve un peu compliqué que «s’avérer» garde l’idée de vérité lorsqu’il est employé seul, mais que cette notion disparaisse dès qu’il précède immédiatement un adjectif.

Perles de la semaine

Quelques mots d’enfants pour Noël, extraits de la Zone des parents d’Ici.radio-canada.ca.

«Maman, quand je vais être grande, je vais m’appeler comment?»

«Je dois arrêter de courir, je suis tout dessoufflé!»

«Maman, j’adore le ballet, et quand je serai grande, je serai une grande balayeuse.»

«Papa, as-tu une montre waterplouf, toi?»

«Je veux suivre des cours de cuisine. — Ben moi, je veux suivre des cours de salon!»

Questions ou commentaires?
Steve.bergeron@latribune.qc.ca