Bien possible. En tout cas, la situation pourrait être moins grave qu’on ne le croit.
Les résultats d’une étude de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke révélés mercredi indiquent que le pouvoir d’achat des Québécois a considérablement augmenté depuis 2000. On y apprend également que les progrès se sont poursuivis de 2019 à 2023 pour la plupart des foyers.
Qu’est-ce que ça veut dire? Que nous disposons de moyens supérieurs pour répondre à nos besoins en dépit de la hausse des prix à la consommation!
Oui, je sais, pour mesurer le phénomène, l’analyse d’un groupe de savants cloîtrés dans leur tour d’ivoire ne vaut pas le «ressenti» du quidam intercepté devant le comptoir des viandes chez Maxi, un jour de dévoilement d’affreuses statistiques inflationnistes. «Souriez à l’envers, Madame, c’est pour la “une” du journal!»
Ça parle.
Penchons-nous néanmoins sur cette intéressante étude réalisée par Frédérick Hallé-Rochon, Luc Godbout et Suzie St-Cerny. Sans nier les difficultés de nombreux cas particuliers, le document apporte des nuances quant à la situation générale.
L’inflation et le pouvoir d’achat
Révisons pour commencer deux ou trois concepts. D’abord, une évidence: nous sommes inégaux devant l’inflation. Celle-ci est mesurée à partir de l’indice des prix à la consommation (IPC), lui-même basé sur un panier de produits et services (aliments, logement, transport, etc.) déterminé par Statistique Canada. La pondération des composantes du panier de l’IPC ne correspond pas au poids qu’occupent ces éléments dans chaque ménage. L’inflation affecte différemment les familles en fonction de leur revenu, de leur composition et de leurs habitudes de consommation.
Point connexe intéressant: quand les prix s’emballent, les gens n’attendent pas passivement les conseils de Daniel Germain pour s’ajuster et procéder à des substitutions (se tourner vers des marques moins chères pour des produits courants, s’adonner à la randonnée à raquette plutôt qu’au ski alpin, remplacer le bœuf par le porc…). Ils y pensent tout seuls. Un indicateur méconnu, l’indice implicite des prix (IIP), évalue la consommation finale réelle. L’IIP reflète ces changements de comportements qui atténuent l’impact de l’inflation.
L’inflation traduit la hausse des prix, mais pas la baisse du pouvoir d’achat. Celui-ci dépend en bonne partie du revenu disponible, c’est-à-dire ce qui reste dans les poches des particuliers, après impôts et cotisations sociales. L’équation tient compte des revenus et des transferts gouvernementaux (les allocations, les crédits divers et les aides ponctuelles — les chèques!).
Quand le revenu disponible évolue au même rythme que l’inflation, le pouvoir d’achat se maintient. Vous comprenez le principe.
Je vous épargne les détails de la méthodologie. Disons seulement que le groupe de recherche a accès à des données qui lui permettent d’évaluer l’évolution du revenu disponible médian des Québécois (en dollars constants de 2021, pour éliminer les distorsions produites par l’inflation). Pour leur étude, les universitaires se sont penchés sur six types de ménage : les personnes seules, les couples sans enfant, les couples avec deux enfants, les familles monoparentales, les aînés seuls, les couples d’aînés (les aînés sont subdivisés selon trois tranches d’âge, car des sources de revenus sont accessibles à 70 ans et à 75 ans).
Les chercheurs ont également analysé quatre configurations de foyer où les adultes gagnent le salaire minimum.
Maintenant qu’on a sommairement mis la table, qu’est-ce que ça dit?
Des revenus qui augmentent
Tous les types de ménages analysés ont vu leur revenu disponible s’améliorer avec le temps. Ça s’explique par des augmentations salariales, des baisses d’impôts, des allocations et des transferts gouvernementaux plus généreux.
En 2019, une personne seule a vu son revenu disponible augmenté de 42% par rapport à 2000. Un couple sans enfant : 38,4%; un couple avec deux enfants : 39,6%; la famille monoparentale : 64,4%. Chez les aînés, les revenus ont progressé moins rapidement, car les pensions croissent moins vite que les salaires. L’étude ne tient pas compte de l’épargne, cependant. Dans tous les cas de figure concernant les aînés, il y a néanmoins des gains du revenu disponible variant entre 13,5% et 29,1%, selon les chercheurs.
Les familles à faible revenu ont aussi vu leur situation s’améliorer, leur capacité financière ayant avancé de 22,2% à 44,5%. Insistons : ces données s’appuient sur des mesures en dollars constants de 2021, on parle de véritables progrès.
Durant ce temps, le niveau d’inflation est demeuré relativement faible, si bien que le pouvoir d’achat des ménages québécois a connu un bond considérable pour tous les cas étudiés, incluant ceux au salaire minimum. Les gains se situent entre 13,5% et 64,4%.
Puis vint la pandémie
Les années 2020, 2021, 2022 et 2023 sont hors normes. D’abord, en 2020, le flot d’argent déversé sur les Canadiens a provoqué une augmentation importante du revenu disponible. Ces gains se sont maintenus l’année suivante.
Par la suite, l’inflation s’est mise de la partie. Elle a écorché le pouvoir d’achat de nombreux foyers en 2022, mais ce n’est rien pour affecter significativement les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies. Les chercheurs soulignent que les mesures ponctuelles des gouvernements ont réussi à atténuer le choc. Le pouvoir d’achat des ménages s’est à peine détérioré en 2022 par rapport à l’année précédente, et chez les aînés, il s’est plutôt accru, bondissant jusqu’à 9,5 % pour les personnes seules de 75 ans et plus.
En tenant compte du fait que les gens modifient leurs comportements quand les prix chauffent, on se retrouve devant un portrait surprenant. À l’exception des personnes de 65 ans à 69 ans, seules ou en couples, tous les ménages auront vu leur pouvoir d’achat progresser de 2019 à 2023, dans une fourchette variant 1,2% à 11,5%.
L’année prochaine, on doit oublier l’aide ponctuelle des gouvernements. Cependant, de nombreuses prestations seront indexées selon l’inflation de l’année 2022, sans compter que les tables d’impôt seront ajustées de plus de 6%, ce qui laissera plus d’argent dans les poches des particuliers.
C’est vrai qu’on peut faire le saut devant le prix de la viande, même chez Maxi. Plus discrète, la croissance de notre revenu disponible au fil des ans fait de moins bonnes histoires.