La saga du Mont-Sainte-Anne en 15 dates

Même si la montagne du Mont-Sainte-Anne lui appartient, le gouvernement du Québec n’a aucun pouvoir sur ce qui se passe dessus.

La chute d’une télécabine au Mont-Sainte-Anne rappelle la complexité de l’entente de propriété qui prévaut pour la station de ski de Beaupré. À commencer par le gouvernement du Québec qui, même si la montagne lui appartient, n’a aucun pouvoir sur ce qui se passe dessus.


Samedi matin, avant l’ouverture du centre de ski alpin, l’une des gondoles rouges du remonte-pente L’Étoile filante s’est décrochée du câble d’acier pour aller s’écraser plusieurs mètres plus bas, dans la piste enneigée. Aucun passager, aucun blessé.

Mais cet incident, qui aurait pu avoir des conséquences tragiques, constitue un autre épisode dans la longue et spectaculaire saga qui marque le Mont-Sainte-Anne depuis des décennies.

Par l’entremise de sa Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq), le gouvernement québécois est propriétaire de la montagne comme telle. Mais il demeure malgré tout à la merci de l’opérateur, l’entreprise albertaine Resorts of the Canadian Rockies (RCR), pour encore 70 ans.

«La Sépaq est propriétaire du tréfonds du terrain du Mont-Sainte-Anne, mais n’a aucun droit de regard quant à la gestion qui est effectuée par l’exploitant de la montagne», confirme au Soleil le porte-parole de la Sépaq, Simon Boivin.

Le Grand dictionnaire terminologique définit le tréfonds comme le «bien immeuble qui est le sous-sol; autrement dit, [le] sol sous la surface».

Bail de 99 ans

À la suite de la privatisation survenue en 1994, «la durée de l’entente qui concerne les terrains de la montagne est de 99 ans et son échéance prévue est 2093», précise M. Boivin.

Pour ce qui est des terrains du pourtour de la montagne, espaces qui comprennent entre autres le centre de ski de fond du rang Saint-Julien et qui font l’objet d’une seconde entente aussi signée en 1994, la Sépaq tente en ce moment devant le tribunal d’en récupérer les pouvoirs d’exploitation sur-le-champ. Ce deuxième contrat arrive à terme en 2029.

Mais pour la station de ski alpin, le gouvernement Legault et son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, se retrouvent devant une impasse. Ils doivent décider d’investir ou pas 50 millions $ dans la mise à niveau des équipements, condition imposée par RCR pour mettre 50 millions $ de sa poche.

Ce genre de bourbier n’a rien de neuf pour la station qui comptera bientôt 80 ans d’histoire.

Automne 1943

Quelques amis skieurs explorent et défrichent les lieux pour y établir une première véritable piste. La première compétition aura lieu à l’hiver 1946, les participants devant remonter à pied.

Janvier 1966

Inauguration de la station de ski alpin, qui compte déjà 10 pistes et quatre remontées mécaniques, dont la seule télécabine de l’est du Canada. La station appartient à la municipalité de Beaupré.

Février 1970

La Ville de Beaupré transfère les actifs au gouvernement du Québec, sans compensation.

Mars 1985

Le gouvernement crée la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq), entre autres pour gérer le Mont-Sainte-Anne (MSA).

Juin 1994

Le gouvernement libéral, dirigé par Daniel Johnson qui remplace un Robert Bourassa affaibli par la maladie, privatise la station. Le groupe d’acheteurs est formé de la compagnie américaine Club Resorts, actionnaire majoritaire, ainsi que de Développement Bromont, qui a déjà la station de ski Bromont.

Le montant annoncé de la vente est d’abord de 20,3 millions $.

Développement Bromont appartient à la famille Désourdy, que l’on dit proche du Parti libéral du Québec. Le groupe Mont-Saint-Sauveur et la vancouvéroise Intrawest, qui possède déjà le Mont-Tremblant, auraient aussi fait des offres.

Après avoir été porté au pouvoir en septembre 1994, le Parti québécois demande à des experts indépendants de réviser la transaction. La firme conclut que le MSA n’a pas été vendu assez cher, mais que tout est légal et que l’on ne peut pas conclure à une influence partisane.

Le comité affirme que le prix net payé pour le centre de ski est en réalité de 9,3 millions $.

Automne 1998

Club Resorts, seul propriétaire après avoir racheté les parts de la famille Désourdy, parle d’un projet d’investissements de 500 millions $ pour le MSA. Intrawest se montre de nouveau intéressée à acheter la station, tout comme l’homme d’affaires Charles Sirois. La Société générale de financement (SGF) serait aussi dans le portrait.

Le même Charles Sirois qui fondera la Coalition avenir Québec (CAQ) avec François Legault, une douzaine d’années plus tard.

Été 1999

La compagnie albertaine Resorts of the Canadian Rockies (RCR), alors propriété de Charles Locke, achète de Club Resorts pour un prix non dévoilé. On parlerait de 20 millions $. RCR est déjà propriétaire de la station Stoneham, aussi dans la région de Québec, depuis 1998.

Mars 2001

Après avoir refusé une offre d’achat de Charles Sirois et Bruno Roussin, copropriétaires de l’hôtel Château Mont-Sainte-Anne, RCR se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers.

Juillet 2001

Murray Edwards, qui a fait fortune dans le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta, vient renflouer Charles Locke et RCR. M. Edwards prendra le contrôle de RCR deux ans plus tard. Il est aussi l’un des propriétaires des Flames de Calgary, dans la LNH.

Avril 2008

Entente entre RCR et la Sépaq sur l’interprétation d’une clause du contrat de vente portant sur l’évaluation marchande des terrains du parc du MSA. La cause durait depuis quatre ans. RCR parle de nouveaux projets d’investissements privés de 150 millions $.

Février 2020

Le 21 février, un arrêt brusque des télécabines blesse de nombreux skieurs. Le 11 mars, un deuxième incident similaire force l’évacuation de la remontée.

Un an plus tard, un tribunal autorisera un recours collectif contre la station en lien avec ces événements.

En mars 2022, le MSA poursuit à son tour Hydro-Québec et cinq entreprises concernant ces arrêts brusques des télécabines.

Novembre 2020

Naissance de l’organisme à but non lucratif Les Amis du Mont-Sainte-Anne, présidé par Yvon Charest.

Automne 2021

Création du mouvement Avenir Mont-Sainte-Anne, avec les porte-parole Alex Harvey et Mario Bédard.

10 décembre 2022

Chute d’une télécabine avant l’ouverture de la station. La Régie du bâtiment du Québec entame une inspection générale des installations dès le lundi suivant.

13 décembre 2022

Avenir Mont-Sainte-Anne estime qu’«il serait injustifiable de donner 50 millions $ à un mauvais citoyen corporatif» et réclame à nouveau un changement d’opérateur.