Son corps se met à transpirer, ses mains tremblent, une pression s’exerce au niveau de sa boîte crânienne dans laquelle s’incruste la douleur, son cœur bat de plus en plus vite...
L’homme sait alors ce qu’il lui reste à faire.
«Je m’isole pour laisser la tempête se calmer.»
Jacques Mailhot a eu 61 ans le 5 décembre. L’avant-veille de son anniversaire, il a dû passer la journée au lit, un masque sur les yeux pour se protéger de la clarté susceptible de déclencher une autre migraine. Noirceur et tranquillité ont été au programme de sa journée.
«Je reste dans ma boîte», a-t-il dit à ses deux sœurs qui l’hébergent depuis le mois d’août. Leur frère a quitté précipitamment son Texas d’adoption pour rentrer au bercail, à Shawinigan. Jacques y demeurera le temps nécessaire. Il est ici pour prendre soin de lui et se reprendre en main.
Le bagarreur sur la patinoire livre cette fois une bataille contre ses démons intérieurs.
Jacques Mailhot m’accueille dans une maison entièrement décorée aux couleurs du temps des Fêtes. Au moment de prendre la photo pour cette chronique, l’homme s’installe tout naturellement à côté d’un de ses chandails qui a été encadré et accroché au mur.
Le hockey, c’est sa vie. Pour le meilleur et pour le pire.
En 1988-89, Jacques Mailhot a disputé cinq matchs dans la Ligue nationale de hockey, avec les Nordiques de Québec. Le reste de sa carrière s’est déroulé aux États-Unis, au sein de différentes ligues professionnelles. Au total, le Shawiniganais d’origine a porté les couleurs d’une vingtaine d’équipes jusqu’à sa retraite, à l’aube de ses 40 ans.
Jacques Mailhot le dit d’emblée: on ne l’a jamais embauché pour compter des buts. On faisait appel à lui pour neutraliser l’adversaire avec ses poings.
Jacques Mailhot s’est battu des centaines de fois et a passé quelques milliers de minutes au banc des punitions. Sur la patinoire, il était le dur à cuire, celui dont le rôle consistait à laisser tomber les gants à la première occasion.
L’homme en paie aujourd’hui durement le prix. Des coups sur la tête, il en a donné beaucoup et en a reçu autant. Trop.
Victime de nombreuses commotions cérébrales qui ont été banalisées ou même ignorées, Jacques Mailhot vit avec d’importantes séquelles physiques et psychologiques.
«Viens voir», dit-il en m’invitant à le suivre dans une pièce où le tiroir d’une commode est rempli de contenants de médicaments.
«Je prends onze pilules par soir.»
Pour soulager ses maux de tête et ses douleurs musculaires, pour traiter l’insomnie, la dépression, l’anxiété, les crises de panique...
«Tout cela, à cause du hockey... C’est une sentence à vie», lâche-t-il avant de reprendre le récit de sa vie.
Jacques Mailhot est le sixième d’une famille de huit enfants, le premier gars après cinq filles qui ont veillé sur lui comme des «mères poules», ajoute-t-il avec affection.
«J’ai été choyé, même encore aujourd’hui», raconte le grand sportif qui garde de précieux souvenirs de ses samedis passés sur la patinoire extérieure. Lui et son frère plus jeune s’y échangeaient la rondelle pendant des heures avant de rentrer, heureux, pour écouter la Soirée du hockey avec leur père.
Comme beaucoup de p’tits gars de sa génération, Jacques a fait partie d’une équipe de hockey dès son plus jeune âge. «Je n’étais pas le plus habile des patineurs, mais il paraît que j’avais une grande détermination.»
Cette ténacité lui a permis de gravir les échelons, même lorsque certains ont tenté de se mettre en travers de son chemin.
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Le défenseur avait 17 ans au moment de manger sa première raclée contre un adversaire de deux ans son aîné.
«Ça a été une bagarre à sens unique. J’ai reçu beaucoup de coups.»
Jacques est rentré à la maison le visage tuméfié et la confiance ébranlée.
«Je ne voulais plus jouer au hockey. Je ne voulais plus aller à l’école.»
Son père a alors dit cette phrase au jeune homme blessé dans son orgueil: «Si tu baisses pavillon aujourd’hui, tu baisseras toujours pavillon dans le futur.»
Jacques a remis ses patins avec l’objectif de prendre sa revanche. Ce moment est arrivé lors de dernière joute de la saison, en croisant le fer avec le joueur qui l’avait déjà humilié.
«Je l’ai ramassé d’aplomb. Mes anciens coéquipiers m’en parlent encore.»
Ce jour-là, Jacques Mailhot s’est découvert un talent de bagarreur et s’est rapidement fait un nom dans le monde du hockey. Les équipes se sont succédé pour retenir ses services de «policier», celui qui contribue à la victoire des siens en se battant à mains nues pour protéger ses coéquipiers, provoquer l’adversaire, changer l’allure de la partie...
Son chandail sur le mur est celui des Falcons de Fresno, une équipe de la Californie. Sa carrière s’est terminée ici. Un joueur de l’équipe adverse avec qui il s’était battu quelques semaines auparavant l’a solidement frappé au visage avec son bâton de hockey.
«Il a été arrêté et accusé de voies de fait», raconte le numéro 44 pour qui le mal était plus profond que l’entaille au visage.
«Ça m’a traumatisé. Après, j’avais peur d’aller sur la glace. Je n’étais plus du tout le même joueur.»
Jacques Mailhot ne parlait jamais de ses symptômes ressentis après une bagarre. Le mot «commotion» n’était pas prononcé par lui ou les soigneurs qui se contentaient de demander au gars visiblement étourdi: «Sais-tu où tu es?»
«À l’aréna», répondait Jacques Mailhot en obtenant la permission de retourner dans l’action.
L’homme gardait le silence sur ses vertiges, migraines et vomissements qui l’accablaient de retour chez lui ou dans sa chambre d’hôtel.
Jacques Mailhot a pris sa retraite au terme de la saison 1998-99. Il est demeuré au Texas où il s’est marié et a été conseiller dans un magasin d’équipements électroniques.
«J’ai commencé à éprouver des difficultés au niveau de mon comportement. J’avais des sautes d’humeur.»
Avec ses proches comme au travail, un rien l’irritait, le mettait en colère, puis il remettait le couvercle sur la marmite.
Jacques Mailhot a divorcé en 2013, est revenu en Mauricie où il s’est acheté une maison, mais six mois plus tard, l’homme retournait vivre aux États-Unis où on lui a diagnostiqué une dépression.
«Je n’avais plus le goût d’avancer...»
Jacques Mailhot évalue à «cinq ou six» le nombre de commotions cérébrales qu’il a subies annuellement pendant les quatorze années de sa carrière de joueur professionnel. Faites le calcul, c’est énorme.
Les contrecoups de ces assauts répétés l’ont poussé au bord du suicide.
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C’était en 2015, un peu avant Noël. Jacques vivait seul avec Jojo, son petit chien qui, par chance, s’est faufilé sous la clôture pour aller s’aventurer sur le terrain de la voisine.
C’est en lui rapportant son Yorkshire que la femme a aperçu les deux armes sur la table de Jacques qui n’était pas au meilleur de sa forme.
«Viens, on va aller faire un tour de voiture», lui a-t-elle proposé avant de le conduire à l’hôpital. L’homme a été gardé en observation pendant trois jours avant d’obtenir son congé pour venir passer le temps des Fêtes à Shawinigan.
«Tu viens nous voir, mais tu dors tout le temps», lui disaient ses sœurs qui ignoraient que leur frère souffrait autant.
«J’étais une bombe à retardement», reconnaît Jacques qui, de retour chez lui, a décidé d’aller consulter des médecins et spécialistes, notamment un neurologue.
«Je voulais savoir ce qui se passait avec moi.»
Mais une blessure au cerveau n’est pas aussi apparente qu’un bras fracturé. «C’était difficile pour moi d’expliquer comment je me sentais dans ma tête.»
On lui a prescrit des médicaments pour aller mieux, mais aucune de ces pilules ne peut faire disparaître complètement ses symptômes.
«C’est la raison pour laquelle je suis ici...»
Jacques a rencontré l’amour en 2018. «Un coup de foudre», dit-il au sujet de sa fiancée avec qui il coulait des jours heureux jusqu’à ce que l’orage éclate en lui une fois de trop.
«Va te faire soigner», lui a demandé sa conjointe qui n’en pouvait plus de subir ses excès de colère. Apeurée, elle lui a dit de partir au mois d’août dernier, après avoir contacté les policiers.
Jacques Mailhot ne se souvient pas de tout ce qu’il a dit ou fait, comme d’avoir troué le mur avec son poing, ou d’avoir menacé l’agent de police avec son bâton de hockey. Une chose est cependant claire dans son esprit: cela ne pouvait plus continuer ainsi. Pour lui et pour les autres.
«J’ai décidé de me prendre en main. J’ai beaucoup de travail à faire pour m’en sortir. Les douleurs seront toujours là, mais je trouve des moyens pour les contrôler», affirme Jacques Mailhot qui participe à une étude internationale sur le lien de causalité entre certains sports, les impacts à la tête et l’encéphalopathie traumatique chronique. À son décès, il a prévu faire don de son cerveau à des fins scientifiques.
Depuis son retour à Shawinigan, à raison de trois fois par semaine, Jacques consulte en visioconférence un psychologue et un psychiatre en plus de participer aux rencontres d’Accord Mauricie, un organisme d’entraide pour les hommes aux prises avec des comportements violents.
«Parler, c’est extérioriser ce que je ressens en dedans, ce que je ne faisais pas avant», dit-il avec reconnaissance pour ses sœurs qui sont une source de réconfort, tout comme ses nouveaux coéquipiers.
Jacques Mailhot chausse de nouveau les patins. Il joue dans une ligue de garage avec des retraités dont l’unique but est d’avoir du plaisir. C’est parfait pour lui. Ça aurait dû être comme ça depuis le début.
«Si j’avais su à l’âge de 20 ans que j’étais pour me retrouver avec tous les problèmes que j’ai aujourd’hui, je n’aurais pas joué au hockey.»
À tout le moins, pas au risque de sa santé et de sa vie.
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