{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd1322e20-f731-4156-affe-1dd20ce33eb3.png&width=1024&stripmeta=true","description":{},"email":"pvermot-desroches@lenouvelliste.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd25c27e0-0e1c-4223-a7a8-f59c1e6f5ddd.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Trois-Rivières","name":"Paule Vermot-Desroches","source":"Le Nouvelliste","twitter":"paulevermot"}],"channel":"Paule Vermot-Desroches","chapters":[{"position":0,"text":"

Les gens qui la connaissent vous le diront: partout où elle passe, Lorraine Bolduc sème la bonne humeur. Sourire taquin et air moqueur, pour la femme de 65 ans, c’est un peu sa marque de commerce. La dame qui vient tout juste de prendre sa retraite se sera d’ailleurs employée toute sa carrière à en faire de même dans son milieu de travail, où les sourires se font rares, où les éclats de rire ont du mal à se frayer un chemin à travers les barbelés. C’est à la prison de Trois-Rivières que pendant toutes ces années, elle a réussi à semer un peu de bonheur, là où il se perd trop souvent.

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Du haut de ses 5 pieds 3 pouces - «je rapetisse avec l’âge», lance-t-elle en éclatant de rire - Lorraine Bolduc n’a rien du physique de l’emploi qu'on imagine pour travailler auprès des détenus. Et ce n’était pas sa vocation non plus. Elle n’a jamais postulé pour être agente correctionnelle, encore moins pour mener la vie dure aux détenus à l’intérieur des murs. C’est plutôt à titre d’aide-cantinière que la femme a travaillé les douze dernières années à la prison de Trois-Rivières.

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«C’est un proche qui a travaillé toute sa vie en milieu carcéral qui m’avait parlé de cette opportunité. Il a tellement aimé son métier, il voyait là-dedans une façon de faire une vraie différence. Il m’a dépeint ce milieu avec beaucoup de réalisme, mais aussi avec sa vision, son regard, et ça m’a mise en confiance. J’ai ouvert mes oeillères avant même d’entrer à la prison», fait remarquer celle qui, auparavant, travaillait comme aide à domicile.

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Une opportunité s’est présentée. Elle a postulé. Elle a obtenu l’emploi. À 50 ans, Lorraine Bolduc a changé de vie pour aller travailler auprès de ceux qu’on a trop souvent tendance à oublier. D’abord quelques années à Québec, puis pendant douze ans ici, à Trois-Rivières. Là où elle est née, là où sa famille a toujours été présente.

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En milieu carcéral au Québec, il existe le Fonds de soutien en réinsertion sociale, qui est octroyé à chaque établissement carcéral afin de permettre aux détenus de pouvoir travailler à l’intérieur des murs et d’apprendre, le temps qu’ils purgent leur peine, les rudiments et valeurs du travail bien fait. Que ce soit à la cantine, à la buanderie ou pour toutes sortes de contrats que des entreprises refileront au milieu carcéral pour servir la réinsertion sociale, les détenus qui le peuvent sont encouragés à s’impliquer et à apprendre ce qui leur servira certainement dès qu’ils franchiront les lourdes portes de la prison.

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À travers ce fonds, des civils sont engagés afin de superviser les opérations, d’aider les détenus dans leur cheminement et de s’assurer du bon déroulement des activités. C’est par le biais de ce fonds que Lorraine a atterri en prison... mais seulement de 9 à 5.

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La cantine, dans une prison comme celle de Trois-Rivières, c’est un peu le dépanneur des détenus. En dehors des repas qui seront servis, les détenus auront la possibilité d’acheter certains articles, moyennant un montant d’argent que bien souvent les familles déposent dans leur compte géré par la prison. Des sandales pour la douche jusqu’aux barres de chocolat en passant par le savon, les boissons gazeuses et les petits crochets de plastique à coller sur le mur de leur cellule pour y accrocher la serviette, la liste des biens que l’on peut s’y procurer est vaste. Et quand un détenu est choisi pour venir travailler à la cantine avec Lorraine et sa collègue, c’est la promotion ultime!

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«Cantinier, c’est LE poste convoité, parce qu’ils vont travailler avec deux filles», lance-t-elle en nous laissant entendre son rire légendaire! Mais elle précise d’emblée: «Mais c’est toujours fait dans le respect. D’ailleurs, ça fait partie des critères principaux pour venir travailler avec moi: la propreté et le respect», souligne-t-elle. Bah, il y en a bien certains qui ont déjà posé des questions, à savoir si elle avait un conjoint. Mais dans ce temps-là, avant même qu’elle ne dise quoi que ce soit, ce sont les autres gars qui ont tôt fait de ramener l’individu sur le droit chemin. Lorraine, les gars, vous la respectez!

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Au fil du temps et à force d’apprendre sur le tas, on a ajouté certains critères au job de cantinier. Comme celui de savoir lire. Rudimentaire lorsqu’on travaille dans un tel service, mais qui a, une fois, joué des tours à Lorraine, qui en parle encore avec un certain trémolo dans la voix.

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«J’avais eu un cantinier une fois, il avait tellement de misère et au bout de trois semaines, on a dû se rendre à l’évidence que ça ne faisait pas. Il ne savait pas bien lire et commettait tellement d’erreurs que ça nous retardait dans notre travail. J’ai dû lui dire qu’il n’était pas à sa place, qu’il devait aller travailler dans d’autres emplois dans la prison. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a dit. Il me regardait en disant: «Tu viens de me confirmer ce que mon père m’a toujours dit, que je ne suis qu’un vaurien», relate-t-elle, en essuyant une larme.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"«Ce sont des humains comme toi, comme moi. Si tu ne crois pas en la réhabilitation, si tu ne crois pas qu’ils peuvent s’en sortir un jour, tu n’es pas à ta place» - Lorraine Bolduc.","contentType":"image","credits":"STÉPHANE LESSARD","position":10,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F7b608566-6652-4078-9919-bf623ce9a023.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":11,"text":"

Car il faut bien mal connaître Lorraine pour croire qu’elle a, un jour, voulu rabaisser qui que ce soit. «Pour travailler à la prison, il faut aussi croire qu’il y a du bon en chaque personne. Tous ces prisonniers, ils ont tous été corrects avec moi. Ce sont des humains comme toi, comme moi. Si tu ne crois pas en la réhabilitation, si tu ne crois pas qu’ils peuvent s’en sortir un jour, tu n’es pas à ta place», lance-t-elle avec conviction.

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Ce même homme, visiblement brisé par une enfance difficile, est venu lui serrer la main le jour où il a été libéré. Parce que malgré ce léger accrochage, il avait toujours gardé pour elle un profond respect.

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Comme cet autre prisonnier, celui qui faisait «du temps» pour la première fois, et qui revenait à la cantine en pleurant à chaque fois qu’il avait eu une visite de sa conjointe et de ses deux enfants. La séparation d’avec ses proches aura été une punition assez sévère pour le convaincre de changer, de devenir meilleur.

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«Le jour où il a été libéré, il est venu me voir avant de partir et m’a dit: ‘‘Regarde-moi bien, car tu ne me reverras plus jamais ici’’», se souvient-elle avec un large sourire.

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Il est d’ailleurs déjà arrivé que Lorraine croise, à l’extérieur des murs, des ex-détenus avec qui elle avait déjà travaillé. Lorsque cela se produit, elle n’initie rien. Si la personne a changé de vie et a voulu tourner la page complètement, mieux vaut détourner le regard et ne pas lui rappeler sa vie «d’avant». D’autres fois, comme ce jour où elle faisait son épicerie, elle entendra un homme crier son nom à l’autre bout de la rangée et venir lui dire à quel point il est content de la voir, et à quel point il est fier de s’être repris en main.

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La réalité est la même chaque jour où un prisonnier passe devant les libérations conditionnelles. Il quitte la cantine sans savoir si c’est finalement sa dernière journée de travail. S’il revient avec le sourire, on lui serrera la main pour une dernière fois, en lui souhaitant de tout coeur de ne plus jamais revenir. S’il revient avec les yeux pleins d’eau, on sait qu’il en aura pour une bonne semaine à ne pas être concentré, à faire des erreurs dans ses commandes... bref à devoir digérer la nouvelle, en attendant une prochaine chance.

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«Quand ça arrive, il n’y a pas grand-chose à faire, sinon de l’encourager à reprendre le travail en lui disant qu’il aura une autre chance la prochaine fois. Pendant qu’il travaille à la cantine, il se change les idées, ça passe le temps. C’est bénéfique pour eux, en même temps de leur apprendre l’importance du travail bien fait, de choses qui leur serviront au moment où ils seront remis en liberté», ajoute Lorraine.

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Comme cet ancien prisonnier, croisé au hasard d’un road-trip dans une autre région, alors qu’il lui a servi le café au restaurant. Ça aura pris à Lorraine quelques secondes avant de le reconnaître. Lui, par contre, n’a jamais oublié le visage de son aide-cantinière. «Il voulait changer d’environnement. À Trois-Rivières, il baignait toujours dans les mêmes patterns, avec les mêmes mauvaises fréquentations et les mêmes mauvaises habitudes. Il est parti ailleurs, il a refait sa vie. Il ne voulait plus faire de temps, et il a réussi. J’étais vraiment contente de constater ça», se souvient-elle.

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Et lorsqu’un détenu revient, après avoir été libéré? «Ce n’est pas mon travail de juger. Il y a une personne qui est là pour ça, et ça s’appelle un juge. Quand j’étais à la cantine, je ne savais jamais pourquoi les prisonniers étaient en dedans. Parfois, il y en a certains qui se confiaient. Mais pour moi ça ne change rien. Ce que je veux c’est qu’ils remplissent les critères, qu’ils apprennent à bien travailler et qu’ils le fassent dans le respect», mentionne-t-elle avec une telle résilience.

","type":"paragraph","contents":[],"photos":[]},{"caption":"«Merci de m’avoir donné ma chance et d’avoir eu autant de fous rires ensemble. Grâce à toi, j’ai réussi à sortir de cette prison dans ma tête», a écrit un prisonnier à Lorraine Bolduc, le jour de son départ à la retraite.","contentType":"image","credits":"STÉPHANE LESSARD","position":20,"type":"photo","url":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F0b393d82-8d95-45f6-8d37-8ac0b6b1867e.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","contents":[],"photos":[]},{"position":21,"text":"

Alors dans une ambiance qui peut parfois être lourde, c’est à coup de blagues et de chansonnettes poussées chaque jour que Lorraine a pu apprivoiser cet environnement, a pu alléger l’atmosphère, en donnant parfois l’espoir aux prisonniers que le bonheur, il existe partout. À travers ses yeux de civile, certains d’entre eux se délectaient de quelques histoires le lundi matin, entendant parler de ce qu’elle avait fait durant la fin de semaine. Un spectacle du Cirque du Soleil, une randonnée dans la nature. Les yeux de Lorraine voyaient pour eux. Elle pouvait leur donner l’espoir de ce qu’ils seraient en mesure de voir et de toucher dans quelque temps.

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Et un de ces jours, il y a un mois exactement, c’est Lorraine qui a franchi la porte pour une dernière fois. Pour une retraite bien méritée, après avoir changé tellement de vies à sa façon. Ce matin-là, son dernier matin de travail, une petite lettre l’attendait à la cantine. C’était son cantinier du moment, celui qui n’allait pas franchir les barbelés ce jour-là avec elle. Il avait de beaux mots pour elle. Parce qu’elle avait réussi à amener du positif dans cette période sombre de sa vie.

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«Grâce à toi, j’ai réussi à sortir de cette prison dans ma tête», peut-on lire sur cette lettre, gardée précieusement.

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Un bout de papier qui la suivra pour le reste de ses jours. Un bout de papier à saveur d’un petit bout de vie.

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Comme tous ces petits bouts de vies qu’elle a pu changer, un sourire à la fois.

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