Je pense pour l’heure que l’idée est non seulement innovante, mais pourrait aussi devenir un modèle à dupliquer. Pas tant parce que la Ville joue au promoteur immobilier, ce qui n’est pas vraiment dans sa description de tâche et qui, ma foi, me plaît un peu moins, mais plutôt parce que le créneau du logement social n’a que très peu de portes de sortie quand vient le temps de faire des acquisitions pour le construire tout en devant faire valoir une offre commercialement acceptable.
Je suis de ceux qui pensent que dans le cas des logements sociaux, il faut certainement prendre tous les moyens possibles pour réussir de tels projets. Cependant, il faut aussi mettre en place des balises solides pour éviter les abus et les dérapages. D’abord parce que nous savons bien que nous ne pourrons pas toujours, et pour chaque projet qui nous arrive, acheter des terrains avec les taxes des citoyens pour les transférer sans compensation à des organismes sous le seul principe de la «contribution du milieu».
Ensuite parce que ce modèle ne va pas faire que des heureux. D’ailleurs, pas sûr que tous les CPE en place à l’heure actuelle et ceux qui seront bientôt en construction ne vont pas se mettre à chercher eux aussi à obtenir un terrain gratis ou alors un fort soutien de la part de la ville. La «contribution du milieu» est justement l’un des concepts à baliser si on ne veut pas perdre le contrôle des finances de la ville qui sont déjà bien mal en point.
Car le jeu peut aussi devenir dangereux pour les citoyens de Sherbrooke. Imaginez. Il faut faire une offre avec un montant substantiel sans payer trop cher pour ne pas être critiqués par la suite. Surtout, il ne faut pas donner l’impression que parce que c’est la ville qui paye, le prix n’a pas d’importance.
Dans ce cas-ci, je pense que l’on était béni des dieux parce que le vendeur est une paroisse, une paroisse avec une fabrique qui mettait ses valeurs en premier tout en cherchant le meilleur prix possible. C’est donc un vendeur qui pouvait effectivement jouer la carte de ses valeurs en souhaitant, par exemple, que le futur projet respecte certains objectifs comme celui de ne pas convertir le bâtiment en situation gênante ou déplacée.
Toujours dans le cas de la paroisse, avouons qu’elle est quand même chanceuse d’avoir obtenu la plus haute mise pour le terrain et la bâtisse. Bravo pour elle. Par contre, les promoteurs privés qui sortent l’argent de leurs poches vont peut-être nous dire que la Ville a vraiment payé trop cher pour le site. Après tout, leurs propositions n’ont pas été retenues et manifestement les offres étaient plus basses. Ainsi, la question de la mise se pose surtout pour l’avenir du modèle.
Est-ce que la Ville aurait pu avec son projet initial offrir beaucoup moins, mais réussir quand même à convaincre la paroisse du bien-fondé de son projet de logements sociaux jumelé à un CPE? Et admettons que la paroisse, émue aux larmes par le projet, avait décidé de ne pas chercher à obtenir la plus haute mise? Disons qu’elle avait décidé d’agir en église compatissante comprenant par-dessus tout que ce projet vient combler un besoin urgent, voire un besoin profondément humain pour la communauté sherbrookoise?
Pour moi, c’est justement là où le risque se situe pour la Ville de Sherbrooke. En fonction du fait que la paroisse aurait peut-être pu être emballée seulement par le type de projet social, est-ce que la ville aurait pu offrir moins tout en satisfaisant les besoins financiers minimums de la paroisse? Après tout, une église, une paroisse, ça s’est bâti sur des dîmes payées par les paroissiens. Donnez au suivant, ici?
La Ville de Sherbrooke innove dans ce dossier, cela est indéniable. C’est peut-être même salutaire, mais ne devrait-on pas prévoir un certain encadrement de telles démarches afin d’éviter d’offrir trop d’argent, surtout de l’argent qui provient essentiellement de nos taxes? Il y a certainement matière à réflexion.
N’oublions pas non plus que tant le projet de logements sociaux que celui du CPE vont aussi recevoir des sommes importantes à travers plusieurs filières gouvernementales. Un rappel ici que le financement par les filières gouvernementales, ça commence par nos taxes et nos impôts.
Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.