Chronique|

La bureaucratie n’a pas de coeur 

Depuis un an, la famille Rodriguez-Flores s’est réfugiée dans l’église Plymouth-Trinity de Sherbrooke pour éviter l’expulsion.

CHRONIQUE / Imaginez passer toute une année enfermé dans le même bâtiment, sans sortir. Ce n’est pas la prison, mais c’est tout comme. La prison propose au moins des sorties dans la cour. Sauf qu’ici, il n’y a pas de crime, pas de punition, juste une famille qui fuit la violence.


Ça fait maintenant un an que la famille Rodriguez-Flores s’est réfugiée dans une église de Sherbrooke pour éviter la déportation. La famille a fui des cartels de drogue du Mexique et s’est réfugiée au Canada en 2018.

En octobre 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada leur a envoyé un avis d’expulsion. Selon l’agence, la famille ne risquerait pas d’être torturée ou persécutée ou menacée si elle retournait au Mexique. 

Je ne suis pas un expert en modus operandi des cartels de drogues mexicains – avoir écouté la série Narcos : Mexico ne nous transforme pas en experts –, peut-être que les risques sont minimes pour vrai, je ne sais pas. Mais je comprends très bien que la famille n’a pas envie d’y retourner et ne pas s’imaginer en sécurité là-bas, après avoir été la cible des cartels en 2009 et une deuxième fois en 2018. 

Qui aurait envie de jouer avec un tel feu une troisième fois?

Son restaurant a tout de même été incendié en 2018. Parce qu’elle a refusé de collaborer. 

J’ose cette question : qu’est-ce que ça change, pour nous, de leur accorder le statut de réfugié ou de leur accorder la résidence permanente pour suivre le parcours habituel d’immigration? 

Est-ce que cette famille représente une menace pour Sherbrooke, le Québec, le Canada? Pantoute. 

Les deux parents, Georgina et Manuel, travaillaient et étaient appréciés par leur employeur. Le fils, Manolo, faisait son secondaire sans histoire. Il serait normalement au cégep, là, si ce n’était pas de cette histoire d’expulsion. 

Pour ajouter un peu d’absurdité à tout ça, leur fille, qui est arrivée après le reste de la famille parce qu’elle pensait pouvoir éviter les menaces des cartels, elle, n’a pas encore eu d’avis d’expulsion. Peut-être une question de temps pour elle aussi. Mais ça démontre que cette famille ne représente pas une menace pour personne. 

Responsabilité sociale

Je sais, certaines personnes vont me dire qu’on ne peut pas accepter tout le monde, qu’on ne peut pas donner l’asile à toute la planète. J’aurais envie de demander si ça se fait de laisser tomber du monde qui demande de l’aide. 

Si on pouvait choisir notre lieu de naissance, peu de gens choisiraient de naitre dans un milieu violent ou d’extrême pauvreté. Nous n’avons aucun mérite d’être nés dans un pays du G7. 

Il y a quelques mois, une étude de The Economist plaçait quatre grandes villes canadiennes au sommet des meilleurs endroits où vivre en Amérique du Nord. Deux de ces villes font même partie du top 5 mondial. 

Ce palmarès ne tient pas compte du coût de la vie – Vancouver a effectivement d’incroyables atouts, mais il faut aussi avoir un sacré revenu pour pouvoir y vivre –, n’empêche, le Canada est un des meilleurs endroits où vivre dans le monde. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas de pauvreté ou de violence ou d’injustice, mais en moyenne, la qualité de vie est bonne. 

Je ne peux m’empêcher de trouver ça effronté et égoïste de refuser cette qualité de vie à des gens qui luttent pour leur survie, qui fuient des environnements dangereux ou (très) défavorisés. 

J’imagine un yacht qui refuserait d’embarquer une personne qui dérive dans un canot de sauvetage.

Peut-être que toute la planète ne peut pas venir vivre au Canada (bien que c’est plus une question politique que technique), mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire. 

Je le souligne : c’est un peu absurde comme argument. C’est comme lorsqu’on sous-entend que la cigarette mène directement à l’héroïne. Même avec les 400 000 immigrants que le Canada accueille en ce moment, c’est moins de 0,1 % de la population mondiale. On est loin d’accueillir toute la planète. 

Mais peu importe si on accueille toute la planète ou 0,005 %, on ne peut pas rester les bras croisés à regarder les autres en arracher.

Surtout que le Canada participe à la misère du monde. Quand le Canada signe des ententes avec des pays comme l’Arabie Saoudite, quand des entreprises canadiennes oublient leurs normes environnementales dès qu’elles vont en Afrique, lorsqu’on consomme des produits fabriqués dans des manufactures aux conditions dignes du 19e siècle, lorsqu’on ferme les yeux sur les dérives d’un pays pour participer à un championnat mondial.

On accuse souvent la Chine, par exemple, d’être devenue un grand pollueur, mais on oublie d’ajouter que c’est entre autres parce que c’est là qu’on a délocalisé nos usines et manufactures. Il faut se préoccuper de cette pollution, évidemment, mais c’est aussi notre pollution délocalisée.

Nous sommes collectivement coresponsables de la situation mondiale. Notre qualité de vie est liée aux crises économiques, aux problèmes environnementaux et aux conflits armés des autres.

Que ce soit dans nos politiques internationales ou d’immigration, nous avons une responsabilité à assumer.

Des impacts concrets

Revenons à la famille Rodriguez-Flores. Je pense surtout au fils de la famille, Manolo. Ce jeune s’intégrait à la population et à la culture québécoise. Il aurait commencé le cégep, sans cette histoire. C’est tout son épanouissement qu’on a stoppé, d’un coup. 

On est en train de briser quelque chose chez ce jeune. Pas seulement dans son cheminement, mais sa santé mentale écope aussi. Pourquoi? Parce qu’on juge que sa vie n’est pas assez menacée au Mexique? 

Est-ce que ça vaut le coup?

Dans une recension de certaines histoires similaires des dernières années, on se rend compte que bien souvent, lorsque le gouvernement accepte d’accorder un temps pour suivre un processus de demande de résidence permanente, les histoires se terminent bien. 

On pourrait mettre fin à cette histoire qui mine la santé des Rodriguez-Flores et les laisser poursuivre leur vie, ici, le temps de suivre le processus. 

Insuffler un peu de dignité humaine dans un processus bureaucratique qui manque trop souvent de sentiments.

Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.