Qui a tué France Alain?

Le 25 octobre 1982, France Alain était abattue d’un coup de fusil au coin des rues Chapdelaine et Belmont, dans Sainte-Foy.

CHRONIQUE / De la bonne télévision, mais pas de réponse. Il y aura 40 ans la semaine prochaine que France Alain, une étudiante de 21 ans, a été tuée au coin des rues Chapdelaine et Belmont à Sainte-Foy sans mobile apparent.


L’affaire a donné lieu à un retentissant procès en 1991 qui s’est soldé l’année suivante par l’acquittement en appel de celui que la police considérait alors comme son seul suspect.

Une série documentaire diffusée cet automne (Présumé innocent : l’affaire France Alain) reprend les faits de l’enquête et du procès. De la très bonne télé.

Lorsqu’on s’engage dans la série, on a le goût irrésistible de se rendre jusqu’à la fin des quatre épisodes de 45 minutes (offerts sur Crave).

La série ne permet cependant pas de dissiper le mystère et les zones d’ombre. On en reste aux questions et aux spéculations.

On aurait aimé plus. Mais peut-on vraiment attendre qu’une petite équipe de documentaristes réussisse là où 40 années d’enquête policière ont échoué?

On retrouve dans cette série un rappel juste et équilibré des faits, du procès et des dérapages.

On revoit les pistes qui ont mené la police et le procureur général à croire que Benoît Proulx, ex-conjoint de France Alain, était l’auteur du meurtre. Et on comprend surtout pourquoi cette «preuve» était très insuffisante pour le condamner.

Le père de France Alain, Fernand Alain, tient la croix identifiée au nom de sa fille, lors d’une marche pour souligner les six mois de sa disparition, le 25 avril 1983.

Ceux qui en ont l’âge y retrouveront des détails et des enjeux oubliés avec le temps.

Pour les jeunes générations, c’est une occasion de découvrir une fascinante histoire judiciaire et sociale dont Québec n’a pas de quoi être fière.

Outre l’enquête policière et le procès, la série décrit en filigrane le climat trouble de la ville de Québec des années 80-90.

Cette (trop longue) époque où André Arthur faisait la pluie et le beau temps à la radio. Essentiellement à CHRC, mais aussi à CJRP entre 1982 et 1984.

Cette époque où il faisait et défaisait les réputations; impulsait ou tuait les projets et les organisations; adulait ou détruisait les personnes, selon son bon vouloir et ses humeurs du moment.

Arthur a joué un rôle décisif dans le déclenchement du procès de Benoît Proulx en 1991.

Il était proche de John Tardif, le policier de Sainte-Foy en charge de l’enquête. Tardif était convaincu que Proulx en était l’auteur.

Une enquête publique du coroner Pierre Trahan avait conclu en 1986 qu’il n’y avait pas de motifs suffisants pour porter des accusations contre M. Proulx.

Quelques années plus tard, Arthur a relancé en ondes les insinuations contre M. Proulx en compagnie de Tardif, devenu son collaborateur à la radio après sa retraite de la police.

Benoît Proulx dépose alors une poursuite en libelle diffamatoire de 1 million $ contre CHRC, Arthur et Tardif.

Comme par hasard, c’est peu après que surgit un nouveau témoin qui pense avoir croisé Proulx sur les lieux du crime neuf ans plus tôt. On note ici que Paquet, qui s’entraînait à l’époque dans le même gymnase que Tardif, n’est pas allé se confier à la police, mais à CHRC.

M. Paquet avait cru, a-t-il dit, reconnaître les yeux de Proulx sur une photo publiée dans le journal.

Il n’en était plus vraiment sûr, mais le procureur général a trouvé que c’était suffisant pour déposer des accusations contre Proulx.

Tardif sera alors «réembauché» par la police pour le temps du procès.



Une quarantaine de parents et amis ont participé à une marche pour souligner les six mois de la disparition de France Alain, le 25 avril 1983.

Un autre des arguments de la poursuite est que lors d’une conversation avec le père de France Alain enregistrée un an après le meurtre, Proulx avait spéculé sur les motivations du tueur. Il suffisait selon la poursuite de remplacer les «il» par des «je» et cela constituait des aveux. C’est une aberration juridique, mais le juge a autorisé cette preuve.

Pendant le procès, Arthur commente l’affaire en ondes. Difficile de croire que rien ne se soit rendu aux oreilles du jury qui n’était pas séquestré.

Je vous passe les autres ratés juridiques du procès. Le verdict de culpabilité fut d’ailleurs cassé en appel avec une virulence rarement vue à l’endroit du juge François Tremblay qui avait présidé le procès.

La Cour suprême aura aussi des mots très durs lorsqu’elle acceptera quelques années plus tard de dédommager Benoît Proulx en lui accordant 2,3 millions $ en dommages et intérêts. Elle parlera notamment de «malveillance».

Si ce n’est pas Benoît Proulx, qui alors?

Les artisans de la série pensent apporter des faits nouveaux qui pourraient relancer l’enquête.

Ils réitèrent par exemple l’hypothèse voulant que le meurtrier puisse être un ancien motard (aujourd’hui décédé) qui s’était vanté à l’époque d’avoir tué la jeune étudiante.

Ce scénario frappe l’imaginaire, mais il n’est cependant pas si nouveau. Il avait fait les manchettes déjà. Par exemple ce titre de Une dans Le Soleil du 27 janvier 1997 : «Richard Jobin a tué France Alain».

Le journal citait alors le témoignage d’un délateur livré lors d’un procès de Hell’s.

La police a soutenu à l’époque avoir fait des vérifications, mais n’avait pas trouvé matière à relancer l’enquête.

Mais peut-on vraiment croire qu’elle a retourné toutes les pierres?

La police de Sainte-Foy a été tellement tordue et obtuse dans l’enquête initiale sur le meurtre de France Alain qu’il est permis de poser la question.

Des fleurs ont été déposées sur la tombe de France Alain, le 25 octobre 1984 à Saint-Basile de Portneuf, lors d’une cérémonie intime.

Le documentaire n’apporte pas de preuve, sinon le rappel que Jobin aurait revendiqué ce meurtre. Ce qui ne veut pas dire que c’était vrai.

Sans compter que la preuve balistique suggère que le meurtre a été commis avec un fusil de chasse tenu par un amateur qui a atteint sa victime à la hanche. Si bien que celle-ci n’est pas morte sur le coup. L’arme qui n’a pas été laissée sur place.

Cela ne ressemble pas au modus operandi d’un tueur «professionnel» comme Jobin.

Cette hypothèse, comme celle qui avait mené au procès de l’animateur Benoît Proulx se bute aussi à un même mur : l’absence criante d’un mobile.

Jobin était le frère d’une employée de CHRC, Francine Jobin, qui a été la conjointe et confidente de Proulx. Selon des employés de l’époque à qui j’ai parlé, leur relation n’a cependant commencé que quelques années après le meurtre. Cela ne nous donne pas un mobile pour Jobin.

Quant à Benoît Proulx, il était le petit ami de France Alain jusqu’à trois semaines avant le meurtre.

Le lien est plus solide. Sauf qu’il est démontré que Proulx avait lui-même pris les devants lors de la rupture. Une rupture qui fut amicale.

Cela désamorce l’hypothèse de la rancœur ou de la vengeance. France Alain menait par ailleurs la vie d’une étudiante de son âge et on ne lui connaissait pas d’animosités ou de conflits.

Une erreur sur la personne?

Cela ne peut être exclu. Cela pourrait expliquer l’absence de mobile.

Une voiture a été vue quittant la rue dans les instants suivant la détonation, le soir du 25 octobre 1982.

Le documentaire démontre que le coup qui a atteint la victime aurait pu avoir été tiré depuis une voiture, en appuyant le canon sur la fenêtre ouverte d’une portière.

Cette thèse n’a pas beaucoup été abordée dans les communications publiques entourant l’affaire.

Le documentaire montre une ressemblance étonnante entre une photo de France Alain et celle d’un criminel notoire, Marcel Lefrançois, sur qui pesait un «contrat». Même cheveux frisés et mêmes lunettes.

Lefrançois sera d’ailleurs abattu un an plus tard (février 1984) au volant de sa voiture sur le boulevard Hochelaga à Sainte-Foy. Jeune journaliste, j’avais écrit le reportage sur le meurtre de ce meurtrier. Une belle époque.

La série documentaire fera-t-elle surgir de nouvelles informations permettant de relancer l’enquête?

C’est ce que souhaitent les animateurs Marie-Claude Savard et Sébastien Trudel et la directrice de contenu Jannie-Karina Gagné.

Un an après le meurtre, en 1983, la jeune journaliste Anne-Marie Dussault avait eu le même objectif lors d’un percutant épisode de l’émission Contrechamp qu’elle animait alors.

La journaliste y présentait une reconstitution du meurtre par des comédiens et une entrevue avec trois enquêteurs de la police de Sainte-Foy travaillant sur l’affaire.

L’enquêteur John Tardif, par qui le scandale allait plus tard arriver, n’était pas du nombre.

L’hypothèse d’un tir à partir d’une voiture n’avait pas été envisagée dans cette émission qui suggérait que le tireur était debout.

Depuis le début de la diffusion du nouveau documentaire, il y a quelques semaines, la police de Québec rapporte qu’aucune nouvelle information ne lui a été «directement signalée».

Depuis l’acquittement de Benoît Proulx en 1991, des dizaines de policiers auraient travaillé à l’enquête et des milliers heures y auraient été consacrées. Une évaluation approximative cependant, vu l’absence d’informatique à l’époque.

Le SPVQ ne souhaite pas exposer publiquement le détail des «efforts et stratégies» déployés à ce jour dans le dossier.

La piste du motard a-t-elle été «vidée» lors de l’enquête initiale? Si oui, pour quels motifs fut-elle écartée? Est-il possible que les enquêteurs de l’époque aient craint d’enquêter sur ce motard? Richard Jobin était-il un informateur de John Tardif ou d’un autre enquêteur?

Le SPVQ n’a voulu répondre à aucune de ces questions «afin de préserver la confidentialité et l’intégrité de nos éléments d’enquête».

Depuis le meurtre, il y a toujours eu un enquêteur responsable du dossier France Alain. La stratégie est «réellement orientée vers une résolution du dossier», assure-t-on.

Au cours des dernières années, «une certaine quantité d’informations» ont été traitées par l’Unité des crimes graves.

Le SPVQ ne souhaite pas préciser à quand remontaient les dernières informations reçues, car «cela pourrait nuire à l’enquête».

Un nouvel enquêteur a ainsi pris le relais du dossier France Alain depuis le début de 2022.

L’arrivée de «nouveaux enquêteurs sur des dossiers non résolus permet d’obtenir un nouveau regard sur les enquêtes en cours».

Qui a tué France Alain?

Nous voici 40 ans plus tard, toujours sans réponse. Benoît Proulx a été acquitté en appel parce qu’il n’y avait pas de preuves contre lui. Il est Présumé innocent, comme le dit bien le titre de la série de Crave.

Après l’acquittement en 1992, la police a repris l’enquête avec la prémisse juridique qu’une personne acquittée d’un crime ne peut jamais plus être accusée à nouveau de ce même crime. Même dans l’hypothèse où la police croirait avoir trouvé des preuves nouvelles.

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LA CHRONOLOGIE AU CRIMINEL

  • Octobre 1982 : meurtre de France Alain
  • Mars 1986 : après enquête, un coroner juge qu’il n’y a pas matière à accusations contre Proulx
  • Février 1991 : Paul-H. Paquet dit avoir reconnu Proulx sur lea lieux du meurtre en 1982
  • Mars 1991 : le procureur général autorise une accusation de meurtre contre Proulx
  • Novembre 1991 : Proulx est condamné lors d’un procès devant jury (minimum 25 ans de prison)
  • Août 1992 : la Cour d’Appel acquitte Benoit Proulx définitivement

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LA CHRONOLOGIE AU CIVIL

  • Février 1991 : Benoît Proulx poursuit CHRC, Arthur et Tardif en libelles pour 1 M $
  • Mars 1993 : Benoit Proulx poursuit le procureur général pour 1.1 M $
  • Août 1997 : la Cour supérieure accorde à Proulx 1.6 M $ en dommages et intérêts
  • Février 1999 : la Cour d’appel renverse la décision et retire la compensation à Proulx
  • Octobre 2001 : la Cour suprême renverse la Cour d’appel et accorde 2.3 M $ à Proulx
  • Octobre 2001 : reprise des auditions dans la poursuite de Proulx contre CHRC et Arthur; Pas de traces connues ou publiques du dénouement de cette poursuite.