Nos voisins ontariens ont adopté une législation sur les espèces exotiques envahissantes, dans laquelle on retrouve entre autres une liste de plantes, y compris ornementales, qu’on ne peut importer. «C’est beau ça, mais encore faut-il faire observer le règlement», nuance le professeur Claude Lavoie de l’Université Laval, un spécialiste de cette question.
Il souligne qu’au Québec, la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) compte un article permettant au ministre de «régir ou prohiber» la vente, l’usage et le transport de certaines espèces floristiques envahissantes qui seraient préjudiciables à la qualité de l’environnement ou à la biodiversité, mais cet article n’est jamais utilisé.
«Il n’y a pas de plante à l’heure actuelle qui est inscrite par règlement et qui serait interdite à la vente formelle», indique M. Lavoie.
«Rien n’empêche au Québec de vendre quelque végétal que ce soit. En plus, la tendance s’est accélérée avec la vente sur internet», dit-il en faisant allusion que ce type de commerce peut passer inaperçu aux douanes.
Prenant appui sur son livre, Claude Lavoie souligne que tous les États du nord-est autour des Grands Lacs et en Nouvelle-Angleterre disposent d’une réglementation.
«Même le New Hampshire (en a une). La devise du New Hampshire, c’est "Live free or die"! On peut acheter un AK-47 au New Hampshire, mais on ne peut pas acheter d’érable de Norvège… Tous ces États ont des lois ou des règlements. Est-ce que c’est efficace? La question se pose. Le Québec fait bande à part. Les Maritimes n’en ont pas. Mais le Québec n’a jamais jugé pertinent d’aller au-delà de l’article (de la LQE…).»
Dans l’ensemble, l’industrie s’en préoccupe, mais un certain nombre de joueurs ne s’en soucient pas, estime M. Lavoie.
En outre, il y a beaucoup de méconnaissance. Il donne l’exemple de la célastre asiatique; l’une pose problème, l’autre non, mais certains centres de jardin ne font pas la différence. «Il y a beaucoup d’éducation à faire…»
Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) souligne que Québec Vert (QV) a mis en place le programme Je te remplace, auquel il a collaboré. Celui-ci vise à offrir des solutions de rechange à certaines plantes envahissantes afin de les éliminer de la vente et de la production. Québec Vert regroupe des associations professionnelles en horticulture ornementale.
Directrice générale de cette organisation, Luce Daigneault souligne que l’industrie n’est pas restée les bras croisés. QV a notamment travaillé avec M. Lavoie pour établir une liste de 87 plantes à éviter. Infolettres, campagnes d’information, etc : différents moyens ont été déployés pour informer les joueurs de l’industrie, mais Québec Vert aimerait en faire davantage, notamment en faisant des mises à jour du programme Je te remplace. «Notre position est ferme : vous ne devez pas vendre, produire ou commercialiser des plantes envahissantes sur la liste des 87», commente-t-elle. Elle pense que ces ventes demeurent marginales, et lorsqu’elles sont portées à l’attention de QV, l’organisation avise le commerçant.
Difficile de s’y retrouver
Directeur de production aux Serres Saint-Élie à Sherbrooke, Marc Benoit souligne que les commerces comme le sien se retrouvent à la fin de la chaîne. Il souligne que le Ministère a établi une liste de 18 végétaux, soit les «espèces floristiques exotiques envahissantes prioritaires». On retrouve notamment le myriophylle à épis, la renouée du Japon, le roseau commun et le nerprun bourdaine.
«On ne les tient pas, note M. Benoit. Est-ce qu’il y a d’autres végétaux auxquels il faut faire attention? Sûrement. C’est dans ces eaux-là qu’on est.» Il souligne que c’est aussi au gouvernement de légiférer si certaines plantes ne doivent pas être vendues.
«À la base, si l’information circulait dans les institutions qui nous représentent, au niveau de la réglementation, le problème ne se poserait pas, parce qu’on le règlerait en amont.»
Même s’il considère qu’il faut commencer quelque part, la liste des 18 espèces établies par le Ministère mériterait tout de même d’être revisitée, selon Claude Lavoie.
Celle-ci est surtout «réactive» face à des envahisseurs pour la plupart déjà bien établis, plutôt que «proactive» face à ceux en voie de s’établir. Il s’agit aussi des espèces que Québec considère les plus problématiques pour l’environnement, et non pas les seules, selon M. Lavoie, en soulignant que cette liste repose en partie sur ses ouvrages.