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Appropriation ou appropriés, les costumes d’Halloween font encore jaser cette année!

À la réglementation concernant la violence représentée par le faux sang et les armes factices, il semble que les interdits penchent aussi du côté de l’appropriation culturelle, du genre et des corps différents.

CHRONIQUE / Que s’est-il passé depuis notre tendre enfance où la fête de l’Halloween était l’occasion d’incarner quelqu’un d’autre que soi, sans aucune autre arrière-pensée que celle de s’amuser? Depuis quelques années, certaines directions d’école ont ressenti le besoin de mieux encadrer le choix du déguisement des élèves. À la réglementation concernant la violence représentée par le faux sang et les armes factices, il semble que les interdits penchent aussi du côté de l’appropriation culturelle, du genre et des corps différents.


J’ai toujours adoré l’Halloween. Dans les années 80, peu de costumes «achetés tout faits» étaient disponibles dans les magasins. On devait donc user de créativité en fouillant dans le coffre des vêtements farfelus pour se construire un personnage. Et avec un peu de maquillage, le tour était joué!

Quand ç’a été au tour de mes enfants de se trouver un déguisement, les choses avaient bien changé. Ancrés dans une tradition plus «commerciale» de la fête, les gamins d’aujourd’hui ont souvent une idée précise du costume qu’ils souhaitent se faire acheter. Nos garçons n’ont pas fait exception.



Alors que l’aîné fréquentait un centre de la petite enfance à Montréal, on avait été contraint pour la première fois de se soumettre aux règles imposées. Lui qui adulait tant le personnage de Spiderman – il était connu et reconnu par les éducatrices à sa passion de lancer de la toile d’araignée imaginaire tout au long de l’année – ne pouvait choisir de revêtir le costume de son héros pour l’Halloween. La raison évoquée était noble: situé dans un quartier pas très pauvre, mais pas très riche non plus, le CPE souhaitait éviter les costumes achetés pour ne pas créer d’injustices entre ceux qui pouvaient se les payer et ceux qui ne le pouvaient pas.

En bons parents et bons citoyens, nous avions travaillé très fort pour expliquer à notre enfant de trois ans pourquoi se déguiser en Spiderman n’était pas permis à la garderie. Et pour le détourner de son petit drame, on lui avait concocté un magnifique costume de pompier.

Le petit projet familial avait d’abord été imaginé grâce à l’imperméable jaune que l’on possédait déjà. On avait eu l’idée d’y coller du ruban adhésif pour créer les typiques bandes réfléchissantes. Deux bouteilles de rince-bouche peintes en rouge étaient accrochées dans son dos pour imiter les bouteilles d’oxygène. Un masque en plastique transparent fabriqué à partir d’un emballage de masques de poussière finalisait le concept avec, bien sûr, un casque de pompier.

C’est tout heureux et réconcilié avec l’Halloween que notre petit bonhomme se présentait en pompier à la garderie… pour y découvrir aussitôt entré que trois petits Spiderman couraient déjà dans tous les sens, excités par l’euphorie de la journée.



Visiblement, leurs parents n’avaient pas «vu» le mémo.

Mon cœur de mère avait fait trois tours. Puis un quatrième en voyant mon garçon me regarder d’un air rempli d’incompréhension juste avant de lui souhaiter une bonne journée et de quitter. Seize ans plus tard, notre jeune devenu adulte n’en garde strictement aucun souvenir. C’est peut-être la preuve que ce ne sont pas les enfants qui «s’enfargent dans les fleurs du tapis».

Le regard de l’adulte semble avoir empiété sur le simple plaisir de se déguiser à l’Halloween. Un parent publiait récemment sur Twitter les questions d’un guide fourni par le conseil scolaire francophone ontarien pour orienter le choix de costume des enfants. La démarche se veut positive et constructive, mais les onze questions dont il faut répondre par «non» pour être dans les règles ont soulevé plusieurs frustrations chez les internautes, à tort ou à raison.

Voici quelques questions du guide qui ont attiré mon attention:

  • Est-ce que mon déguisement fait référence à une culture qui n’est pas la mienne? (ex. : une coiffe de plumes qui ressemble aux coiffes cérémoniales des Premières Nations, un kimono, un turban, un maquillage associé au jour des Morts)?

  • Est-ce que le costume envisagé comprend des symboles religieux ou spirituels?



  • Dans le cadre du déguisement, faut-il changer sa couleur de peau pour ressembler à quelqu’un qui n’est pas de la même origine que soi?

  • Est-ce que mon costume est basé sur des personnages historiques racisés (Pocahontas, Martin Luther King, Beyoncé, etc.) ou des personnages historiques problématiques (Adolf Hitler)?

  • Si mon déguisement représente un genre autre que le mien (par exemple, je suis un garçon qui veut se déguiser en fille), l’intention est-elle: de paraître ridicule, de se moquer du corps ou des façons d’agir des personnes du sexe opposé? Est-ce que mon costume incorpore des éléments vulgaires? Est-ce que le costume ridiculise les personnes de la communauté LGBTQ2+?

On peut se demander si cette façon de procéder n’apporte pas plus de préjudices que le but recherché, soit de fêter l’Halloween dans le respect. Car qui peut affirmer qu’un enfant caucasien qui souhaite se déguiser en Beyoncé a choisi son costume pour d’autres raisons que son admiration pour la chanteuse noire? Pourquoi devrions-nous y voir du mal? Alors que dans la bande-annonce du dessin animé «La petite sirène» qui sortira ce printemps, on découvrait que le personnage d’Ariel avait maintenant la peau noire…

Et si on optait pour le partage des cultures, on ne pourrait pas voir plus positivement une envie de porter un kimono? Ou un costume de religieuse? Et pourquoi un garçon qui se déguise en fille serait automatiquement une insulte à la communauté trans?

Bon, comme je suis blanche, hétéro et d’aucune religion, je ne peux pas personnellement me prononcer sur la peine que peut engendrer un costume qui touche aux cordes sensibles de notre société.

Mais la huitième question du guide me concerne, même si elle est bien mal formulée:

  • Est-ce que mon costume fait référence à tout ce qui concerne la santé mentale (ex.: les maladies mentales, les capacités physiques et intellectuelles)?



Depuis plusieurs années, je me promène dans les écoles du Québec pour sensibiliser les jeunes aux difficultés vécues par les personnes handicapées. Dans un de nos ateliers, on impose «un handicap» différent à chaque étape de la création d’un dessin. Les enfants se mettent donc dans la peau d’une personne handicapée et comprennent, tout en s’amusant, qu’il faut persévérer dans la difficulté.

Imaginez maintenant qu’un enfant se déguise en une personne handicapée qui se promène en fauteuil roulant… les défis de déplacements auxquels il fera face dans sa journée lui permettront de réaliser ce que vivent ceux et celles qui sont obligés de rouler à l’année.

Évidemment, le respect envers les différences est primordial. Cela s’enseigne. J’ai plutôt l’impression que c’est le jugement du parent qu’on doit éduquer par ce guide. Un enfant du primaire connaît-il vraiment Adolf Hitler pour choisir de se déguiser en un tel monstre? À l’Halloween, la plus que grande majorité souhaite se costumer en monstre plus traditionnel comme les vampires, les zombies, les squelettes et les sorcières!

Mais même là, il y a toujours quelqu’un pour s’offusquer.

Lors de la sortie du film Sacrées sorcières, l’actrice principale, Anne Hathaway, avait dû s’excuser auprès des personnes qui vivent avec des membres différents. Les sorcières du film, dont son personnage, sont caractérisées par trois doigts allongés sur chaque main et des pieds sans orteils. On a donc accusé la production d’être insensible aux personnes handicapées et d’envoyer le message qu’il faut avoir peur des gens à qui il des doigts…

Mais les sorcières, ça n’existe pas !

Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’une bonne dose d’autodérision et beaucoup d’humour aidaient à accepter les plus grandes difficultés. Alors, encore cette année, je partagerai sur les réseaux sociaux mon costume d’Halloween mettant en vedette ma différence. Et attention aux âmes sensibles, il se peut qu’il y ait du ketchup au menu!