La naissance de géants dans le milieu vétérinaire inquiète

Avant la fusion avec VetStrategy, le groupe Daubigny possédait 10 cliniques vétérinaires à Québec. Actuellement, le groupe Daubigny détient 105 cliniques au Québec.

La concentration des pouvoirs dans le secteur vétérinaire prend de plus en plus d’ampleur au Québec. Un phénomène mondial qui inquiète des vétérinaires québécois.


Le marché des soins vétérinaires en pleine croissance attire les convoitises. «26 % du marché total est déjà consolidé et acquis par des groupes étrangers. Les cliniques vétérinaires sont rachetées à des prix exorbitants», alerte le vice-président expérience client et employé de CentreDMVet, Noël Grospeiller.

Le Québec compte près de 500 cliniques vétérinaires (animaux domestiques) avec un chiffre d’affaires de 856 millions $. Sur ce nombre, un tiers sont totalement indépendantes, les autres appartiennent soit à un groupe corporatif, à un groupe d’achat, ou sont affiliées à une enseigne.

Le groupe Daubigny est le plus connu à Québec. L’enseigne créée par des vétérinaires québécois a fusionné avec le groupe canadien VetStrategy en 2017. Par la suite, VetStrategy a été acquis par la firme européenne IVC Evidensia, elle-même rachetée par le fonds d’investissement suédois EQT. IVC Evidensia compte aussi Nestlé (Purina) parmi ses actionnaires.

Avant la fusion avec VetStrategy, le groupe Daubigny possédait 10 cliniques vétérinaires à Québec. «Au départ, le groupe Daubigny a été fondé par sept vétérinaires qui avaient chacun leur clinique. On avait le désir d’unir nos forces pour être capable d’en offrir plus à la clientèle. C’était vraiment une vision de collaboration et qu’on poursuit toujours», relate la Dre Anne Fortin, actionnaire et directrice médicale des opérations du Groupe Daubigny.

Actuellement, le groupe Daubigny détient 105 cliniques au Québec. Le groupe possède aussi la bannière GlobalVet qui offre certains services contre redevances à des cliniques indépendantes. «C’est une évolution normale du marché comme dans d’autres secteurs. Être dans un grand groupe, nous permet de ne pas nous occuper des ressources humaines, du marketing ou de l’approvisionnement et de nous consacrer aux soins vétérinaires», affirme Dre Fortin, l’une des six actionnaires du groupe Daubigny.



Dre Anne Fortin, actionnaire et directrice médicale des opérations du Groupe Daubigny.

L’autre grande compagnie qui s’implante au Québec est le groupe américain Mars, connu pour ses barres chocolatées, via sa filiale Mars Petcare qui a acheté VCA animal hospital. Mars possède aussi Royal Canin, entre autres. 

Le groupe Mars est encore minoritaire au Québec; EQT via VetStrategy accapare plus de 80 % du marché corporatif. Mais ces derniers mois, VCA a multiplié les achats. Dans la région de la Capitale-Nationale, VCA a mis la main sur Clinique Cimon et Clinique Féline de Ste-Foy. Ces deux cliniques ont été contactées par Le Soleil pour des entrevues, mais n’ont pas donné suite.

Indépendance de la pratique médicale

Au Québec, les propriétaires de cliniques vétérinaires doivent être obligatoirement vétérinaires. Lorsque les Européens et les Américains — dont la principale activité n’a rien à voir avec les animaux — ont commencé à infiltrer le marché québécois, l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ) s’est penché sur ces achats afin de vérifier si la loi était respectée. 

«Il y a eu de nombreuses vérifications ces dernières années avec la montée en puissance des deux grands groupes américains et européens. La loi est respectée. Cependant, effectivement, il y a un montage juridique et l’ordre n’a pas les moyens ni les capacités financières de contester ce montage», concède le président de l’OMVQ, Dr Gaston Rioux. 

«On voit la même chose pour les pharmacies et les dentistes. Ça serait au gouvernement de se pencher sur la question et le monopole», fait-il valoir. 

Cette main prise sur le marché québécois inquiète des vétérinaires qui possèdent des cliniques 100 % québécoises. 

«Est-ce qu’un jour l’indépendance sera remise en cause : nourriture, soin? Est-ce qu’on va pousser les vétérinaires à faire des procédures rentables ou des procédures qui ne sont pas bonnes pour l’animal? Dans tous les grands groupes, on voit qu’on pousse vers des produits qui ne sont pas forcément bon pour les consommateurs, mais qui offrent une grande marge. L’autre enjeu, c’est la capacité à investir dans des technologies qui ne sont pas rentables, mais qui sont importantes pour les animaux», évoque Noël Grospeiller.

L’OMVQ s’inquiète également du respect de l’autonomie des vétérinaires au sujet des traitements et du type de médicaments et compte bien serrer la vis aux cliniques afin d’éviter toutes dérives malsaines pour les animaux et les clients», insiste Dr Rioux.

Sur l’indépendance professionnelle, Dre Fortin se veut rassurante. «Les vétérinaires [du groupe Daubigny] et moi-même qui pratique encore à l’urgence et en pratique générale, je ne sens pas que mes décisions médicales sont influencées parce que je fais partie d’un grand groupe. Prôner l’indépendance médicale, c’est hyper important.»

Les jeunes vétérinaires créent leur propre clinique

Le directeur général de la coopérative Univet (regroupement de cliniques indépendantes pour bénéficier de meilleurs tarifs chez les fournisseurs), Pierre Leclerc, préfère voir le «verre à moitié plein» sur la consolidation. 

«Il n’y a pas beaucoup d’indépendants qui veulent acheter des cliniques vétérinaires. Le prix est excessif pour un jeune vétérinaire. Ils veulent aussi se partir en affaires avec une nouvelle entreprise selon leurs valeurs et leur philosophie. La notion d’indépendance et de liberté d’action est importante pour eux», explique M. Leclerc.

C’est le cas de Dre Stéphanie Gravel et de Dre Judy-Ann Lapointe. Après quelques années au centre d’urgence Daubigny et un congé de maternité, les deux vétérinaires ont décidé de franchir le pas et de créer leur propre clinique en 2018. «On souhaitait avoir une clientèle bien à nous. On voulait aussi y mettre notre saveur et notre personnalité», confie la copropriétaire de la clinique vétérinaire Fossambault, Dre Gravel.

Dre Judy-Ann Lapointe et Dre Stéphanie Gravel, propriétaires de la clinique vétérinaire Fossambault 

Son entreprise n’est pour l’instant pas dans la mire des grands groupes, trop jeune. Dre Gravel espère, quand le temps viendra, de pouvoir vendre à des Québécois et que la clinique reste indépendante, mais elle comprend les vétérinaires qui décident actuellement d’accepter les offres d’achat des groupes étrangers. «Comme entrepreneur, on souhaite vendre au meilleur prix, même si le rêve, c’est d’avoir un repreneur local et indépendant.»

Est-ce que la difficulté de trouver un repreneur québécois pourrait changer le visage du secteur vétérinaire au Québec? 

«Oui, répond-elle. Ces gros groupes-là ont un pouvoir d’achat énorme. Est-ce que ça pourrait avoir des influences pour les fournitures, l’équipement, possiblement. Présentement, dans les cliniques rachetées de mes amis, la gestion se fait à l’interne. Ils sont encore indépendants de choix au niveau des décisions médicales. Mais quand on va à la clinique, l’effet n’est pas le même pour le client, ce n’est plus le vétérinaire avec son nom. Et on peut se poser des questions sur ce que ça va être plus tard.»

Européens et Américains s’approprient le marché mondial

En 2021, le Québec recensait 2,23 millions de chats et 1,2 million de chiens. Le marché des soins vétérinaires a explosé avec la COVID. Les gens, ne partant plus en vacances, avaient de l’argent pour s’occuper de leurs animaux. En Amérique du Nord, les revenus de ce marché sont estimés à 1,7 milliard $US et la croissance devrait augmenter de 7,45 % d’ici 2027.

«Les animaux, c’est le second plus gros marché dans le monde après les enfants. Mars a débloqué plusieurs milliards de dollars pour conquérir le marché», mentionne Noël Grospeiller. 

En 2017, le groupe Mars a dépensé 9,1 milliards $US pour acheter VCA aux États-Unis. Mars est aussi un géant de l'industrie mondiale de la croquette. En plus de Royal Canin, le géant américain compte Whiskas et Pedigree parmi ses nombreuses marques. La division Mars Petcare emploie 85 000 personnes réparties dans plus de 55 pays. 

De son côté, Nestlé s’est emparé de Ralston Purina en 2001 pour 10,3 milliards $US. La multinationale suisse a acquis, en 2021, une part minoritaire d’IVC Evidensia, propriétée du fonds d’investissement suédois EQT, le leader européen des soins animaliers. 

«Les deux grands groupes peuvent s’entendre sur les prix. Ils peuvent également se partager le marché des cliniques vétérinaires», martèle Noël Grospeiller du groupe DVM.

Son entreprise a acquis, à gros prix, des cliniques vétérinaires afin de les garder dans le giron québécois. «Le groupe a 31 établissements, dont 26 franchisés qui sont indépendants et 5 que nous avons achetés. Nous avons perdu 7 cliniques franchisées qui ont été rachetées par les groupes étrangers. Nous en avons acquis 5 afin qu’elles restent 100 % québécoises», rapporte-t-il. 

L’arrivée des multinationales étrangères a eu aussi pour effet de fortement augmenter les prix des soins vétérinaires. Une situation surveillée de près par les indépendants et l’OMVQ.  «On entend que certains groupes augmentent les coûts de consultation, mais ils ne pourront pas outrepasser la capacité de payer des clients», souligne le directeur général de la coopérative Univet.  

Pour l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, les consommateurs ne doivent pas hésiter à porter plainte auprès de l’Ordre s’ils estiment que les prix augmentent d’une façon déraisonnable. Ils doivent également signaler tout manquement au sujet de la présentation des soins ou du plan de traitement de leur animal domestique. 

L’OMVQ conseille aussi fortement aux propriétaires d’animaux de prendre une assurance parce que soigner un animal peut très vite coûter extrêmement cher.