{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F4e65599d-1305-4f59-923a-5b5b89448238.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Chroniqueur"},"email":"fbourque@lesoleil.com","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fcc0debe4-1fa4-43b3-af7a-005c0f91c5ed.png&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Québec","name":"François Bourque","source":"Le Soleil","twitter":"F_Bourque"}],"channel":"François Bourque","chapters":[{"position":0,"text":"

Qu’on soit croyant ou pas, pratiquant ou pas, Autochtone ou pas, le passage à Québec d’un chef d’État de ce calibre est un événement exceptionnel.

En plus, ce pape est souriant et sympathique. Et il ouvre les bras aux enfants que des mères lui tendent sur le parcours. Prend le temps de saluer, de regarder. Comme s’il était en campagne de séduction ou le point de mire d’un défilé festif.

Cela peut détonner avec l’idée qu’on se fait d’un «pèlerinage pénitentiel», mais s’il avait affiché une face de carême devant tous ces gens venus l’applaudir, on le lui aurait reproché. À tout prendre, valait mieux les sourires et les bénédictions esquissées de la main. De petits instants de grâce. Des bulles de savon soufflées dans l’air d’été pour sitôt disparaître.

Autour de moi, personne n’a semblé bouder son plaisir. Face à la Croix du Sacrifice où j’avais choisi d’attendre, j’ai même humé des odeurs de pot.

C’est la deuxième fois que je voyais le pape François.

La première, ce fut de beaucoup plus loin.

Il tombait une pluie fine ce soir du 13 mars 2013 lorsqu’il s’était avancé au balcon du Vatican pour saluer la foule de la place Saint-Pierre et lui demander un moment de silence pour prier pour lui.

Je me souviens de l’émotion du moment, des larmes de fidèles qui s’enlaçaient et de l’incrédulité des religieux autour. Personne n’avait vu venir ce cardinal argentin qui n’était pas parmi les favoris de ce conclave.

Les visiteurs de la Place Saint-Pierre étaient venus dans l’espoir d’entrevoir un nouveau pape si la chance voulait qu’il soit élu ce soir-là. Voici qu’on venait de leur offrir un moment d’histoire. Un changement de garde. Une révolution dans une Église jusque là figée. Le conclave venait de se choisir un pasteur humble et plein d’humour. Un humaniste pour succéder au théologien rigoriste qui venait de prendre sa retraite.

Je n’ai évidemment pas retrouvé cette émotion mercredi soir à l’entrée des Plaines. Ni le sentiment d’assister à un moment d’histoire, malgré les attentes que des Autochtones peuvent avoir pour cette visite.

L’Église allait enfin changer, s’étaient mis à espérer les optimistes de la Place Saint-Pierre.

«Il peut changer des choses», avait «confirmé» le cardinal Jean-Claude Turcotte de Montréal que j’avais croisé le lendemain. Il disait bien connaître ce nouveau pape et saluait sa simplicité.

Mais le cardinal s’était empressé de calmer les attentes. «Il peut changer des choses, mais ce pape ne changera pas l’Évangile».

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Ni les valeurs souvent dépassées que continue de promouvoir l’Église, même si c’est avec plus de réserve qu’à d’autres époques.

Des religieux et exégètes plus compétents que moi feront un jour le bilan de ce que le pape François aura changé (ou pas).

Il a le mérite de s’excuser pour les crimes, errements et «cover up» de l’Église, ce que ses prédécesseurs avaient refusé de faire. Et il le fait avec une sincérité et une empathie dont il n’y a pas de raison de douter.

Reste qu’au final, la question qu’on se posait avant son pèlerinage au Canada, on se la posera encore quand il va repartir : ces excuses, mises en scène par les autorités civiles, religieuses et les communautés autochtones, vont-elles vraiment changer quelque chose?

Les critiques des derniers jours nourrissent les appréhensions.

Les excuses sont appréciées, mais ne répareront pas. Ne suffiront pas.

Ni aux Autochtones ni aux autres.

Trop tard pour les uns, trop tôt pour d’autres qui auraient préféré attendre qu’on finisse de documenter l’ampleur des décès dans les pensionnats autochtones.

Des excuses pas assez ciblées sur les personnes victimes; pas toujours dans les bons mots; pas assez inclusives pour les victimes qui ne sont pas autochtones, etc.

Les conquérants «blancs» ont déjà été prévenus: il faudra plus que des mots et des excuses. Il faudra une vraie réconciliation. Idéalement avec des dollars, des droits, des territoires, du développement économique et des considérations futures éternelles.

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Que le premier ministre François Legault, champion de la laïcité de l’État, ait obtenu le privilège d’un entretien privé avec le pape pour discuter de ce qui peut être fait, est sans doute dans l’ordre des convenances diplomatiques. Mais cela ne suffira pas non plus.

Que le pape et sa visite au Canada servent à promouvoir la cause autochtone et l’objectif de réconciliation me paraît rallier une bonne proportion de citoyens.

Mais cela peut aussi avoir l’effet contraire lorsque cela donne l’impression que rien ne sera jamais assez.

***

La façon et les symboles ne font pas toujours unanimité.

Le don au pape d’une coiffe à plumes par un leader autochtone de l’Ouest fut perçu par d’autres Autochtones comme une sorte de sacrilège.

Le geste doit être réservé à des personnes éminemment méritoires, font valoir les critiques. Ce que le pape et son Église ne sont pas, ou pas assez, si on suit la logique.

Cette visite est pour d’autres l’occasion de relancer la revendication traditionnelle portée depuis le début des années 90 par des peuples autochtones du monde.

Ils demandent l’annulation officielle des «bulles» papales qui autorisaient (obligeaient?) les Européens à dépouiller les habitants du «Nouveau Monde» et à les convertir au catholicisme.

En 1533, le roi de France François 1er a demandé au pape du moment, Clément VII, de préciser la portée de la «bulle» promulguée en 1493 qui partageait le monde entre Espagnols et Portugais.

«Le soleil luit pour moi comme pour les autres. Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde», avait-il fait valoir. François 1er a alors obtenu gain de cause et c’est avec l’appui papal qu’il a soutenu les expéditions de Jacques-Cartier vers ce qui allait devenir la Nouvelle-France.

Jusqu’où faudrait-il aujourd’hui revisiter l’histoire pour contenter tout le monde en effaçant les chapitres qui choquent? Ou pour corriger la portée de vieux papiers sans incidence autres que symboliques. Aujourd’hui celui-là, mais demain, ce sera un autre, puis un nouveau le jour d’après.

Jusqu’à ce que l’Histoire s’envole et disparaisse, bulle par bulle, dans la torpeur d’un ciel d’été.

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