Chronique|

L’heure du t

Le son que l’on entend le plus souvent lorsqu’on doit faire une liaison avec un verbe à la troisième personne du singulier, c’est le son [t].

CHRONIQUE / Je me posais la question suivante : d’où vient le «t» dans «pourquoi le chien remue-t-il la queue?». Ou encore «y a-t-il quelqu’un?». Ça aurait pu être n’importe quelle autre consonne pour permettre une liaison. Pourquoi un «t» [Danielle Dallaire, Québec]?


Excellente question! Pourquoi en effet n’a-t-on pas opté pour le son [z], l’autre son le plus répandu au moment de faire une liaison? Ou alors le son [n], lui aussi très courant à cause des voyelles nasales propres au français ([an], [in], [on], [un])?

C’est très simple. Ce t, que l’on dit euphonique, est toujours employé à la troisième personne du singulier, essentiellement avec les pronoms personnels «il» et «elle», ou avec le pronom indéfini «on», lorsqu’il y a inversion entre le verbe et le sujet.

Or, le son que l’on entend le plus souvent lorsqu’on doit faire une liaison avec un verbe à la troisième personne du singulier, c’est le son [t].

En effet, lorsqu’on y réfléchit, on s’aperçoit que, au temps présent, la totalité des verbes du deuxième groupe et une vaste majorité de ceux du troisième groupe se terminent par un t. Même constat pour le passé simple.

Si vous examinez l’imparfait, alors c’est systématique : tous les verbes finissent par «-ait», peu importe le groupe. Idem pour le conditionnel.


«À quelle heure finit-elle de travailler?»

«Voit-on la scène au complet lorsqu’on est assis au balcon?»

«Elle est enceinte, du moins le croit-il.»

«Pourquoi désobéissait-elle à ses parents?»

«Demanderait-on à un sans-abri de payer des impôts?»

«"Partie acheter du lait au dépanneur", lut-il à voix haute.»


Voilà pourquoi on a opté pour le son [t]. D’ailleurs, explique la Banque de dépannage linguistique, le t euphonique a un deuxième nom : le t analogique, puisque «c’est par analogie avec les autres formes verbales que l’on a choisi la consonne t».

On peut déduire que c’est aussi pour cette raison que les verbes du troisième groupe qui se terminent par un d à la troisième personne du singulier (pensez aux verbes en «-endre», en «-ondre» ainsi qu’aux verbes «moudre», «coudre» et à leurs dérivés) se lient avec le son [t].

Mais attention! Il ne faut pas commettre la gaffe d’ajouter un t euphonique dans ce cas-ci : ce dernier ne s’emploie qu’entre deux voyelles.


«Entend-elle ce que je lui dis?»

«À quoi ce pronom personnel correspond-il dans la phrase?»

«Avec quel fil recoud-on ce genre de tissu?»


Il y a toutefois deux exceptions : les verbes «vaincre» et «convaincre». Au présent de l’indicatif, ces derniers se terminent par un c muet à la troisième personne du singulier. Mais il est accepté, dans ce cas-ci, de recourir au t euphonique.


«Comment vainc-t-on la dépendance à la cigarette?»

«Cet argument vous convainc-t-il?»


En somme, le t euphonique s’emploie essentiellement devant les lettres e et a, au présent et au passé simple (pour les verbes du premier groupe et plusieurs verbes irréguliers finissant par «-er»), ainsi qu’au futur simple (pour tous les groupes). Mais il faut également ajouter le passé composé et le futur antérieur lorsque l’auxiliaire «avoir » est en cause.


«Aime-t-il la musique de Cœur de pirate [présent de l’indicatif]?»

«Aussi alla-t-on prévenir le père de Jeanne de sa disparition [passé simple].»

«Boira-t-elle toute la bouteille [futur simple]?»

«"C’est fini", a-t-on entendu murmurer dans la salle [passé composé].»

«Aura-t-il terminé à temps [futur antérieur]?»


Malheureusement, il y a des gens qui se font parfois avoir et qui confondent le t euphonique avec le t apostrophe, lequel représente les pronoms «te» ou «toi» élidés.

Le cas le plus fréquent, c’est de se retrouver avec une phrase où il est erronément écrit «va-t-en» au lieu de «va-t’en». Souvent, c’est parce que l’auteur a la forme «va-t-il» ou «va-t-elle» en tête.

Mais pensez-y une seconde. Au présent de l’indicatif, vous écririez «tu t’en vas», n’est-ce pas? Pas «tu t-en vas»! Et à la forme interrogative, le résultat serait «t’en vas-tu?», vous êtes d’accord? Pourquoi alors remplacer l’apostrophe par un trait d’union au moment d’écrire «va-t’en»?

                                                                                                                                                                                                                                                             ***

«Dans la phrase "je suis choqué par le décès de...", le mot "choqué" me semble être un emprunt. Selon moi, on préférera dire ou écrire "être bouleversé, ébranlé" [Louis Garneau, Lévis]. »


Selon la Banque de dépannage linguistique, cet usage de l’adjectif «choqué», au sens d’être traumatisé, ébranlé ou en état de choc, serait relativement nouveau et n’émerge pas du Québec, mais d’ailleurs dans la francophonie. Il est déjà recensé par le Petit Robert et le Petit Larousse.

Vient-il de l’anglais? En fait, le verbe «choquer» est assurément issu de l’anglais ou du néerlandais. Mais je n’ai pas trouvé de source qui affirme avec certitude que le sens qui vous bouscule précisément soit un anglicisme.

Il faut comprendre que cette définition n’est pas incompatible avec le français, puisque le mot «choc» est tout à fait français et qu’il peut être employé pour parler d’un traumatisme, d’un bouleversement, d’un ébranlement.

L’adjectif «choqué» est le plus souvent utilisé pour exprimer différentes sortes de contrariété : la vexation, l’indignation, le sentiment d’avoir été offensé, heurté, dérangé, outragé...

Mais au Québec, on s’en sert dans un sens unique, dans la langue familière : celui d’être en colère. On lui a même créé une forme pronominale, «se choquer» (se mettre en colère), et un antonyme, «se déchoquer».


Perles de la semaine

Quand on étudie l’Antiquité, on apprend le siècle de Périclès. Et quand on regarde les réponses d’examen, on constate le siècle où ça périclite.


«Hercule a dépassé à la course la biche aux pieds des reins [d’airain].»

«À Troie, Ulysse a fabriqué un faux cheval de bois, mais qui était vraiment en bois.»

«Ce sont les Romains qui ont eu les premiers l’idée de fonder Rome.»

«Les Romains mélangeaient de l’eau et du miel pour faire de l’hydrogène [hydromel].»

«César a été poignardé par des aspirateurs rassemblés contre lui [conspirateurs].»


Source : «Le sottisier du collège», Philippe Mignaval, Éditions Points, 2010.

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Steve.bergeron@latribune.qc.ca