D’autres commentaires avancent que l’humoriste est «victime de salissage» ou que c’est «un autre big shot québécois qui se fait démolir», qu’on assiste encore à «une vendetta». Ou que tout ça est le fruit d’un média qui cherche juste à «vendre des annonces de char» et «faire des clics».
Un média a même eu ce titre, «Une autre carrière en humour se termine», comme si c’était ça, la nouvelle. Drôle de façon de parler d’agressions sexuelles.
À force d’écrire et lire sur le sujet, j’ai l’impression que répéter que seulement 2 % des dénonciations sont fausses ne change pas grand-chose pour une partie de ce monde-là. Ce n’est vraiment pas beaucoup, 2 %. La météo est loin d’avoir ce taux de fiabilité et les gens continuent de s’y référer.
Plusieurs personnes n’ont pas tendance à croire les victimes, peu importe si elles dénoncent sur les réseaux sociaux ou à la police. Plusieurs personnes refusent de croire que l’artiste qu’elles aiment n’est pas comme elles s’imaginent.
Le pire, c’est qu’il y a du monde qui continue de croire que la victime a brisé la carrière de l’artiste, même quand l’artiste est reconnu coupable. Et ça, c’est problématique. C’est même assez violent pour la victime. Et disons-le, c’est tordu!
Pourtant, ce ne sont pas les victimes de Norbourg qui ont brisé la carrière de Vincent Lacroix, c’est lui qui s’est mis dans le pétrin en détournant les fonds de sa clientèle.
Ce n’est pas George Floyd qui a brisé la carrière des policiers qui l’ont brutalisé (à mort!), ce sont les policiers eux-mêmes qui ont cessé d’être policiers en laissant leur collègue étouffer la victime.
Ce n’est pas l’agence antidopage qui a brisé la carrière de Lance Armstrong, c’est lui qui s’est planté en trichant pendant des compétitions.
Pourquoi serait-ce différent dans le cas d’une agression sexuelle? Considérer que les victimes devraient se taire est une dynamique fréquente dans les violences conjugales ou sexuelles. Ça en dit long sur la triste tolérance envers ces gestes – même si cette tolérance diminue, heureusement.
Si la carrière d’un artiste se termine brusquement parce qu’il a commis des gestes violents (et dégueulasses), ce ne sont pas les victimes ou les médias qui brisent sa carrière, c’est tout simplement les conséquences de ses comportements.
Mais le pire dans tout ça, c’est que trop rarement on parle des carrières brisées des victimes. Des victimes qui doivent souvent changer d’emploi ou d’école, parfois de carrière, de ville, même. Des victimes qui ont parfois besoin d’un arrêt de travail, pour absorber le traumatisme. Des victimes dont les cicatrices peuvent avoir un impact sur leurs futures relations amoureuses. Des victimes qui, trop souvent, perdent tout quand l’agresseur était leur conjoint. Les dommages peuvent être terribles.
Il y a quelques années, l’ex-maire de Baie-Trinité a été reconnu coupable d’agression sexuelle envers une employée de la municipalité. Comme la loi permettait au maire de rester en poste, la victime devait donc choisir entre continuer de travailler avec son agresseur ou quitter son emploi. Il n’y avait aucun bon choix, elle y perdait dans les deux cas. Ce genre de situations est plus fréquent qu’on pense. Les victimes doivent souvent abandonner une partie de leur vie pour s’en remettre.
Si des maires, des athlètes, des humoristes ou des animateurs vedettes continuent leur carrière malgré des rumeurs, des dénonciations ou des condamnations, c’est parce que ces comportements ne choquent pas encore assez suffisamment une partie de la population.
Il y a toujours du monde pour dire que ce n’est pas si grave, d’en revenir, que c’était juste un french forcé, que c’était juste une main sur les fesses, que c’était juste un pénis frotté sur la cuisse, que c’était juste quelques doigts, que c’était juste quelques minutes, que c’était juste un «malentendu». Pis peut-être que la victime portait une trop belle jupe ou qu’elle n’aurait pas dû boire ce soir-là. On blâme continuellement les victimes. Comme si elles étaient responsables de la dégueulasserie des autres.
Si les victimes se faisaient moins ramasser par le public et leurs proches quand elles dénoncent, si les victimes étaient mieux soutenues dans leurs démarches, si le système judiciaire était moins décourageant, il y aurait plus de dénonciations et ce serait beaucoup moins tabou. L’importance de croire les victimes.
Moins ces comportements seront acceptés et plus ils seront dénoncés, moins les patrons vont vouloir garder dans leur équipe une personne qui a ce genre de comportements.
Agresser sexuellement peut briser des vies. Dénoncer peut sauver des vies.