Chronique|

La fin des voyages improvisés?

À Londres, une auberge comme celle-ci loue un lit en dortoir pour environ 100 $ la fin de semaine, un prix auquel les jeunes voyageurs sont moins habitués pour ce genre de produit.

CHRONIQUE / La première fois que j’ai traversé l’Atlantique, j’avais presque tout planifié au quart de tour. Des mois avant le départ, j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur Paris, Barcelone et Rome et j’ai dressé des listes des attractions en les divisant par quartier. C’était, selon moi, le meilleur moyen de ne rien manquer. Tous les musées dignes d’intérêt, toutes les églises d’époque (donc presque toutes les églises) et toutes les rues coquettes s’étaient taillé une place dans le palmarès.


Avant l’aventure qui durerait un mois, j’avais aussi ciblé mes hébergements, en plus d’étudier les horaires des liaisons ferroviaires. Pas besoin de réserver longtemps d’avance, qu’on me disait. Il reste toujours quelques sièges à la dernière minute. 

Mensonge! Les trajets de nuit, largement plus populaires pour les longues distances, affichaient complet pour les jours choisis. Au premier rendez-vous manqué, je me suis assis dans un coin d’une gare parisienne et j’ai tracé avec précision tout le reste de mon parcours. Une heure plus tard, tous mes billets de train formaient une jolie liasse dans un porte-document. 

On trouve une forme de réconfort à organiser un voyage. Pour certains, le plaisir réside autant, sinon plus, dans la recherche et la préparation que dans le périple lui-même. À l’avantage de réduire le stress des imprévus, on retranche cependant une part de flexibilité. Agiles et débrouillards, certains s’adonneront malgré tout à l’improvisation en modifiant le trajet initial au besoin. 

Après quelques années de listes et d’organisation au quart de tour, j’ai lâché un peu de lest. 

À fréquenter les auberges de jeunesse, à rencontrer d’autres voyageurs qui m’invitaient à partager des activités, j’ai assoupli les projets : je choisissais un point de départ et un point d’arrivée en laissant l’entre-deux complètement ouvert. Petit goût de liberté! 

Il m’est arrivé de me pointer dans une ville, surtout en Asie, sans savoir où je dormirais le soir même. La plupart du temps, je trouvais du premier coup en me présentant à la réception d’un hôtel ou d’une auberge.  

À force d’abandonner les plans, j’ai adopté l’improvisation comme une habitude de voyage. Je pars encore avec un guide en papier, pour lire dans les transports sans épuiser la batterie de mon téléphone, et je me donne une direction vers laquelle avancer une fois à destination. L’avantage, c’est de ne pas savoir ce que je manque. Le désavantage, c’est aussi de ne pas savoir ce que je manque. 

Il m’arrive bien sûr d’être déçu après coup de ne pas avoir trouvé une ruelle sympathique ou un monument surprenant. Mais je me suis libéré de ma tendance à dévorer (des yeux) un lieu en vitesse pour passer au prochain point sur ma liste. 

La pandémie (eh oui, encore celle-là!) viendra vraisemblablement à bout de l’improvisation. Du moins pour un temps. Quelques semaines seulement après le début du premier confinement, nous nous demandions comment une pandémie modifierait les habitudes touristiques. On est en plein dedans!

«Voyager, c’est censé être amusant!», me lançait récemment une collègue un peu exaspérée devant l’annulation d’un de ses vols. Il est vrai que ces jours-ci, voyager est un passe-temps un peu compliqué. 

Mieux vaut voyager avec un bagage de cabine cet été.

Plus chère, l’Europe



À Londres, en juin, j’ai vu les premières piles de valises s’entasser au rez-de-chaussée d’Heathrow sans comprendre ce qui se passait exactement. Il n’aura fallu que quelques jours pour que la congestion dans les aéroports fasse la manchette aux quatre coins du globe. 

Londres, reconnue pour ses prix exorbitants, n’était pas moins prise d’assaut par les touristes. Mon improvisation en a pris pour son rhume alors que les seuls lits abordables se trouvaient en dortoir. Pour une réservation de dernière minute, il fallait compter environ 100 $ pour une pièce qu’on partagerait avec au moins cinq autres voyageurs. Les auberges de jeunesse, reconnues comme un havre pour les baroudeurs fauchés, ne sont plus tout à fait bon marché. 

Un Écossais rencontré là-bas, en apprenant que l’Irlande serait ma prochaine destination estivale, m’a recommandé de ne pas tarder avant de réserver mes hébergements. Houla! Les hôtels à bon prix ne sont pas légion au pays de la Guinness.

L’aéroport d’Heathrow demande aux compagnies aériennes de cesser de vendre des billets à destination de Londres dans les vols qui ne sont pas encore pleins pour réduire l’achalandage dans ses terminaux.

À Dublin, la capitale, un lit en dortoir à dix voyageurs dans une auberge bien notée s’élève à 180 $ pour un samedi d’août. On se doute que l’offre et la demande feront grimper ce prix à nouveau pour ceux qui attendront avant de faire leur choix. 

À ma publication de ce prix faramineux sur les réseaux sociaux, des amis bourlingueurs m’ont fait part de leur étonnement, partageant à leur tour les prix gonflés des auberges européennes à Barcelone, Venise ou Vienne. D’autres ayant prévu le coup dès le printemps se félicitaient d’avoir tracé leur itinéraire en avril. Mes recherches aléatoires pour août me laissent croire qu’il est encore possible de trouver des prix raisonnables dans plusieurs capitales européennes. Mais pour combien de temps?

La journaliste Marie-Julie Gagnon, pour sa part, a exposé au cours des dernières semaines ses difficultés à réserver des billets de train en Europe. Grande amoureuse des trajets par chemin de fer, elle a été devancée par des voyageurs craignant le fouillis des aéroports.

Résultat : tout le monde sur les rails. Un peu coincée, c’est elle qui a fini par se résoudre à prendre l’avion plutôt que le train. 

S’ajoutent les grèves de compagnies de transport, la nouvelle vague de COVID, les tests aléatoires et les chaleurs extrêmes qui peuvent compliquer les plans…

Air Canada a annoncé en juin qu’elle réduirait sa capacité de 154 vols par jour pour contrer notamment le manque de main-d’œuvre.

Pourquoi j’ai choisi l’Europe cet été, vous me demanderez? J’ai été séduit, au printemps, par le bas prix des billets vers les capitales européennes. Et je n’ai de toute évidence pas été le seul. Les compagnies aériennes et les aéroports ne peuvent pas supporter le flot de voyageurs. A-t-on eu les yeux plus gros que la panse en cherchant à repartir la roue trop rapidement? Peut-être. Selon un article de Forbes, près de 16 000 vols ont été annulés en Europe en août. L’aéroport d’Heathrow a même demandé en début de semaine aux compagnies aériennes de cesser de vendre des billets dans les vols à direction de Londres pour tenter de désengorger ses terminaux.

Cet été, vaut donc mieux se munir de bagages de cabines seulement, réserver des hébergements qu’on peut annuler jusqu’à la dernière minute en cas de pépin et pourquoi pas se tourner vers une agence de voyages pour les billets d’avion. Avec les soubresauts de la pandémie, on s’assure ainsi d’être entièrement protégé contre une bonne partie des imprévus.

Pour les prochains mois, il sera donc hors de question pour moi d’improviser. Le contexte et les prix ne le permettent plus. À moins qu’un de mes vols soit annulé. Là, il faudrait bien improviser.