Hausse rapide du taux directeur: «Des sacrifices pour stabiliser l’inflation»

La Banque du Canada devrait hausser, cette semaine, le taux directeur de 0,75 %, ce qui le portera à 2,25 %.

La Banque du Canada devrait hausser, cette semaine, le taux directeur de 0,75 %, ce qui le portera à 2,25 %. Cette hausse du taux directeur fera monter vos paiements hypothécaires, mais elle a pour objectif de réduire votre facture d’épicerie. 


En résumé, cette hausse du taux directeur mettra une pression à la baisse sur l’inflation et devrait réduire l’ensemble de vos factures de biens et services. Mais en attendant que l’effet se fasse ressentir, plusieurs s’appauvriront.

«Il s’agit de la quatrième hausse du taux directeur depuis mars 2022. Ce sont des hausses très rapprochées et celle annoncée cette semaine est particulièrement élevée», souligne le professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, Jean-François Rouillard, notant que la dernière fois que le taux directeur a été haussé de plus de 50 points de base remonte au 27 août 1998, soit il y a près de 24 ans.

«À la fin de 2022, le taux devrait être autour de 3 %, ce qui nécessitera une autre hausse de 75 points de base, hausse étalée sur plusieurs mois vraisemblablement», ajoute-t-il, spécifiant que les taux d’intérêt étaient au minimum partout dans le monde pendant la pandémie.

«Les banques centrales à travers le monde ont réduit leur taux à presque zéro. Au Canada, le taux directeur était à 0,25 %. Certains économistes estiment qu’on aurait dû hausser ce taux plus tôt et plus progressivement. Ainsi, on aurait évité de mettre les bouchées doubles et même triples aujourd’hui», relate M. Rouillard, rappelant que l’objectif de la Banque du Canada est de freiner l’inflation qui est actuellement de 7,7 %.

Le mécanisme est expliqué sur le site de la Banque du Canada: «La cible de maîtrise de l’inflation, qui est fixée à 2 %, constitue l’élément central du cadre de conduite de la politique monétaire du Canada. 

Pour atteindre la cible d’inflation, la Banque ajuste (relève ou abaisse) son taux directeur. Si l’inflation dépasse le taux cible, la Banque hausse le taux directeur. Ce faisant, elle incite les institutions financières à majorer le taux d’intérêt applicable sur les prêts personnels et hypothécaires qu’elles proposent, et décourage les emprunts et les dépenses, ce qui relâche les tensions inflationnistes.»



Le professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, Jean-François Rouillard.

Normalement, il faut prévoir un certain temps - entre six et huit trimestres - pour que les interventions en matière de politique monétaire se répercutent sur l’économie et fassent sentir pleinement leur effet sur l’inflation, précise-t-on.

Les détenteurs d’hypothèque à taux d’intérêt variable devraient être les premiers à voir l’impact de cette hausse de taux sur leurs paiements mensuels. 

«Ce n’est pas encore la panique, car les gens subiront la hausse seulement lors de leur renouvellement hypothécaire. Pour ceux qui ont une hypothèque à taux fixe, ce sera au cours des cinq prochaines années. Et le taux hypothécaire variable est revu tous les ans, donc l’impact sera constaté au cours des 12 prochains mois selon la date de renouvellement de chacun», souligne le porte-parole de Desjardins, Jean-Benoît Turcotti.

Selon un rapport des Professionnels hypothécaires du Canada datant de mars 2022, 66 % des ménages canadiens ont une hypothèque à taux fixe, 26 % des ménages ont une hypothèque à taux variable et les autres répondants ont un mixte des deux. 

Selon le même rapport, 37 % des ménages ayant une hypothèque devront la renouveler dans les deux prochaines années à un taux qui devrait être supérieur et 51 % des ménages devront la renouveler dans un horizon de deux à cinq ans.

«Aussi les gens qui veulent acheter une propriété aujourd’hui auront plus de difficultés à se qualifier et payeront davantage que ceux qui sont devenus propriétaires l’an dernier», confirme M. Rouillard.

Le prix médian d’une maison unifamiliale à Sherbrooke est de 319 500 $ selon une récente étude sur le prix des maisons de Royal LePage. Pour calculer l’impact des récentes hausses des taux d’intérêt, La Tribune a fait des calculs avec un chiffre rond de prêt hypothécaire de 300 000 $ (supposant que l’acheteur a mis une mise de fonds de seulement 6 %).

Ainsi, l’acheteur qui prend une hypothèque à taux fixe sur cinq ans aujourd’hui payera 274 $ de plus par mois que celui qui a emprunté la même hypothèque en décembre 2021. Aussi, l’acheteur qui choisit une hypothèque à taux variable aujourd’hui payera 226 $ de plus par mois que celui qui a emprunté la même hypothèque en décembre 2021. Sur un an, l’acheteur qui transige aujourd’hui aura dans ses poches respectivement 3288 $ et 2712 $ de moins que celui a fait son acquisition à la fin de 2021. Et tout ce monde a une facture d’épicerie actuellement 7,7 % de plus élevée que l’an dernier, si on tient compte de l’inflation.

Baisse des prix immobiliers à prévoir

«Les taux d’intérêt en hausse exercent une certaine pression sur les prix des biens immobiliers. Dans des villes comme Toronto et Vancouver, les prix ont déjà commencé à baisser. Au Québec, on a probablement atteint un sommet», fait remarquer le professeur Rouillard, qui s’attend à ce que les prix au Québec suivent bientôt la tendance observée dans le reste du Canada.

«La demande de biens et services devrait également être affectée à la baisse. Les gens consomment moins quand les taux d’intérêt sur des biens comme les voitures ou les électroménagers sont plus élevés. Tout ça fait ralentir l’économie en général, car plusieurs secteurs d’économie sont interreliés», résume M. Rouillard qui s’attend à ce que le taux de chômage, qui est très faible actuellement, augmente légèrement (environ un point de pourcentage) dans les 12 prochains mois.

«C’est beaucoup de sacrifices pour la population, mais l’objectif est de réduire et stabiliser l’inflation. La stabilisation des prix amène une meilleure prévisibilité de l’environnement économique ce qui permet aux consommateurs et dirigeants d’entreprise de prendre de meilleures décisions», explique le professeur d’économie.

«Même chose pour les salariés. Quand l’économie n’est pas prévisible, on a tendance à raccourcir les contrats salariaux et ça engendre plus de coûts si les négociations sont fréquentes», ajoute-t-il.

La faible performance boursière s’ajoute à la hausse des paiements hypothécaires et à l’inflation des prix des biens à la consommation. «Le marché boursier ne va pas très bien depuis le début de l’année. Il y a la guerre en Ukraine qui n’aide pas. Et comme la hausse des taux d’intérêt signale normalement un ralentissement économique à venir, les prix des actions ont tendance à diminuer puisque la valeur de ces actions reflète les profits à venir des entreprises», souligne le professeur qui estime que, en moyenne, le pouvoir d’achat des Québécois a diminué dans la dernière année.

«Il y a beaucoup de gens qui parlent de récession à venir, mais ce n’est pas encore certain que cela arrive. Une chose est certaine, c’est qu’il aura un ralentissement économique. Au lieu de croître à 3 ou 4 %, l’économie connaitra peut-être une croissance de 1 ou 2 %», conclut-il.