Chronique|

Les tournures signatures

Un pont signature avait été envisagé au départ pour le nouveau pont des Grandes-Fourches de Sherbrooke, mais le projet a été abandonné en raison des coûts.

CHRONIQUE / Un nouveau sens figuré du mot «signature» a fait son apparition dans notre vocabulaire depuis quelques années : «Style propre à un artiste, représentatif de son parcours et de sa renommée.» On retrouve également «signature» utilisé comme adjectif pour qualifier une œuvre, un ouvrage, un plat et même un cocktail. Sans avoir fait de recherche poussée, je note que «signature» est employé en anglais avec «dish» et «bridge», dans un sens plus précis et technique. Serait-ce un anglicisme à proscrire? Ou alors un glissement de sens que l’usage est en train de consacrer [Bruno Lévesque, Sherbrooke]?


Le mot «signature» a de nombreuses définitions, au sens propre comme au sens figuré. Ce qui est particulier, après avoir regardé dans les principaux dictionnaires, est que les différents ouvrages ne mettent pas en évidence les mêmes aspects. Il faut vraiment consulter plusieurs sources pour avoir un éventail plus complet de tous les contextes d’utilisation de ce mot.

Par exemple, c’est dans le Trésor de la langue française (TLF) qu’on trouve la définition que vous soulignez à propos des artistes : «Ensemble des caractères, des qualités spécifiques et reconnaissables qui révèlent la personnalité d’un auteur, d’un artiste.»

Mais le Petit Robert, lui, effleure à peine ce sens, alors que le Petit Larousse ne le mentionne pas.


«Avant même de lire le nom de l’auteur au bas de la toile, on reconnaît immédiatement la signature de Vincent Van Gogh.»


Le TLF nous apprend que ce sens déborde largement du cadre artistique. «Signature» peut vouloir dire : «Ensemble de traits caractéristiques et reconnaissables permettant d’attribuer quelque chose à quelque chose ou à quelqu’un.»


«Une pareille machination porte la signature d’Hitler.»

Le recours à «signature» dans ces contextes est beaucoup moins récent que vous le croyez : le TLF les recense à partir du milieu du XIXe siècle.

Anglicisme sous roche?

Maintenant, est-ce qu’il y a anglicisme sous roche quand on parle d’un ouvrage ou d’un plat signature, alors que le mot est utilisé comme adjectif?

Précisons d’abord que, s’il s’agit d’un anglicisme, il ne tient pas à l’origine du mot. C’est tout le contraire : «signature» a été importé en anglais à partir du moyen français ou du latin médiéval.

Mais l’emploi adjectival pourrait venir de l’anglais. À preuve, les dictionnaires d’anglais recensent textuellement le mot «signature» comme adjectif, alors que ceux de français ne le font pas du tout.

En anglais, on donne comme exemples la signature d’un musicien («a musician’s signature style»), celle d’un parfumeur («signature scent ), celle d’un couturier (ce qu’on appelle communément la «griffe» en français).

Cet usage déborde lui aussi du cadre artistique. Ainsi, «signature tune» peut signifier «indicatif musical». Et comme vous le mentionnez, on l’utilise également en gastronomie, dans des locutions telles «signature dish», «signature dessert», «signature cocktail»...

La soupe aux truffes noires VGE ou soupe Élysée est un plat signature du chef Paul Bocuse.

Emblématique d’une cuisine

En français, la seule trace apparentée à cet usage se trouve dans le Petit Robert. À la fin de l’article, le dictionnaire cite un «plat» ou un «dessert signature», c’est-à-dire qui fait la réputation de celui qui l’a inventé, qui est emblématique de sa cuisine.

Voilà qui cautionne en quelque sorte l’emploi du mot «signature» comme adjectif. C’est ce qu’on appelle un nom épithète, comme pour «chaussure sport» ou «fête surprise».

En résumé, les chances sont grandes que cet usage soit issu de l’anglais (même si aucune source ne l’affirme formellement), mais celui-ci est tout à fait acceptable en français. De là à l’étendre à d’autres domaines, il n’y a qu’un pas.

C’est ainsi qu’on a effectivement parlé plus récemment de la construction de «ponts signatures» un peu partout au Québec, pour désigner des structures ayant une signature architecturale. La locution n’est pas encore officiellement recensée, mais il serait très mal venu de la refuser.

J’oubliais : il existe une variante de sens que seul le Wikitionnaire rapporte, lorsqu’on emploie «signature» pour exprimer un certain prestige.


«Les frais annuels pour notre carte de crédit signature sont de 200 $.»


Vous vous demandez s’il faudrait faire l’accord en nombre (des «plats signature» ou «signatures»)?

L’invariabilité domine, mais l’accord pourrait se justifier (et plusieurs le font d’ailleurs), étant donné qu’il est question de choses qui «sont» des signatures.

Perles de la semaine

Il y a des enfants qui ont aussi une signature dans leurs mots...


«Je ne sais pas si je serai capable de faire de la grand-mère à l’école [grammaire].»

«Ce matin, on a appris à chanter en fusil [canon].»

«Maman, tu ne peux pas te stationner ici : c’est la place du général de Gaulle!»

«C’est quoi, ça, les crottes de la Bourse?»

«Justin, tu n’es qu’un voyou!

— Ben toi, Maman, tu n’es qu’une voyelle!»


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Steve.bergeron@latribune.qc.ca