Un deuxième prof de l’UL suspendu pour ses propos contre les vaccins anti-COVID

L'Université Laval 

Ce n’est finalement pas un, mais bien deux professeurs de l’Université Laval qui ont été suspendus pour leurs propos contre les vaccins anti-COVID. Le Soleil a en effet appris qu’en plus du chercheur en biochimie Patrick Provost, le professeur de biologie Nicolas Derome est lui aussi l’objet d’une suspension de huit semaines sans salaire.


Les deux ont été sanctionnés pour des raisons très similaires — avoir fait des présentations, à la fin de l’automne dernier, où ils soulevaient de forts doutes sur la vaccination des 5-11 ans contre la COVID-19. Dans les deux cas, les chercheurs contredisaient des consensus scientifiques sur plusieurs aspects de la vaccination : hormis la Suède, l’écrasante majorité des comités d’experts mis sur pied par les autorités de santé publique en Occident ont conclu que les vaccins anti-COVID avaient plus d’avantages que d’inconvénients pour les enfants. Mais leur suspension soulève d’épineuses questions sur la liberté académique, qui se posent avec encore plus d’acuité maintenant que l’UL a sévi contre deux profs au lieu d’un seul.

«C’est une intervention complètement déplacée. Même si je pense qu’il [Patrick Provost] se trompe sur certains points, ce qu’il a dit, il a le droit de le dire. Il y a un virage autoritaire dans certaines universités», a dénoncé lundi (avant que le cas de M. Derome ne devienne public) le sociologue des sciences Yves Gingras, qui a siégé sur la Commission Cloutier au sujet de la liberté académique.

Une source au fait du dossier a confirmé au Soleil que c’est pour une vidéo diffusée en novembre dernier que M. Derome est sanctionné. Essentiellement, celui-ci y disait douter que les bénéfices des vaccins anti-COVID l’emportent sur les risques pour les enfants, chez qui la COVID-19 provoque en moyenne beaucoup moins de complications que chez les adultes. Il indiquait également que les données disponibles à l’époque ne permettaient pas de détecter des effets secondaires rares — ce qui était plutôt vrai à ce moment-là. Le document suggérait également des risques pour les enfants.

Alors que Québec s’apprêtait à lancer sa campagne de vaccination des 5 à 11 ans, l’affaire avait fait grand bruit. L’Université Laval s’était publiquement dissociée des propos de M. Derome et nombre de médecins et scientifiques avaient dénoncé sa vidéo.

Et il est vrai qu’elle comportait plusieurs faussetés. Ainsi, M. Derome prétendait citer des chiffres de l’Institut de la santé publique (INSPQ) montrant que la COVID avait causé «zéro cas graves» chez les 0-17 ans au Québec depuis le début de la pandémie alors qu’en fait, les données de l’INSPQ indiquaient à l’époque 432 hospitalisations chez les 0-19 ans, dont 72 aux soins intensifs.

De même, le biologiste y présentait que le vaccin à ARN-messager de Pfizer (le seul autorisé pour les 5-11 ans) comme une «thérapie génique expérimentale» et affirmait que le président de Bayer, Stefan Oerlich, aurait avoué que ces vaccins étaient des «exemples de thérapie génique», ce qui est complètement faux — même si la formulation pouvait prêter à confusion. Quand on regarde le discours de M. Oerlich dans son entièreté, on réalise qu’il disait en fait que son entreprise voyait les thérapies géniques comme une voie d’avenir (Bayer n’a pas de vaccin contre la COVID) et qu’il présentait les vaccins à ARNm comme un exemple du succès qu’il espère pour son entreprise. L’idée générale selon laquelle les vaccins à ARNm pouvaient changer l’ADN a par ailleurs été déboulonnée un grand nombre de fois — voir ici et ici, entre bien d’autres.

Enfin, M. Derome affirmait aussi dans sa vidéo que les enfants ne transmettent presque pas la COVID. S’il est vrai que certaines études au tout début de la pandémie ont suggéré que cela pouvait être le cas, d’autres travaux ont par la suite montré que oui, les enfants transmettent la COVID — même s’ils ne le font sans doute pas autant que les adultes. Ces articles étaient disponibles au moment où M. Derome a enregistré sa vidéo.

Au-delà de la valeur scientifique de ses positions, cependant, sa suspension soulève la question de la liberté universitaire. Celle-ci, comme tous les autres droits et libertés, a ses limites et doit être utilisée de manière consciencieuse. Mais elle inclut le droit d’avoir tort, et même de persister dans ses torts, parce que pour faire progresser les connaissances les chercheurs doivent pouvoir explorer toutes sortes d’hypothèses, même celles qui semblent farfelues à première vue, sans craindre de représailles. Autrement, il devient plus difficile de contester les paradigmes les mieux acceptés qui, malgré leurs mérites, demeurent toujours perfectibles.

les cas de chercheurs universitaires qui ont dit des faussetés sur la place publique dans le passé sont assez nombreux. Il s’en est trouvé qui prétendaient (et le font encore) que les OGM sont toxiques, que les ondes cellulaires sont dangereuses pour la santé, ou que les changements climatiques n’existent pas, et ce en dépit de montagnes de données et de consensus scientifiques très solides sur ces questions. Aucun d’eux, ou si peu, n’a été suspendu. Et même qu’en répondant à leurs arguments, la recherche a souvent solidifié lesdits consensus scientifiques.

L’Université Laval n’a pas voulu justifier sa décision, disant qu’elle «ne commente pas les situations personnelles de ses employées et employés». M. Derome lui-même n’a pas répondu aux demandes d’entrevue du Soleil. Et le Syndicat des professeurs (SPUL) a dit ne pas pouvoir commenter le cas de M. Derome.

Toutefois, un grief a déjà été déposé au sujet de la suspension de M. Provost. «Il ne revient pas à l’administration d’une université de trancher sur le fond, avait indiqué dimanche le président du SPUL et prof de droit Louis-Philippe Lampron. Il faut laisser la science décrédibiliser ces hypothèses-là. (…) La science fonctionne comme ça : c’est entre collègues qu’on tranche de la véracité, et n’importe quelle thèse manifestement fausse va se faire défoncer. C’est comme ça que les connaissances ses construisent.»

«Pour nous, la liberté académique implique qu’on vive avec ses mauvais côtés, qui sont que des fois, il peut y avoir des propos faux ou farfelus qui sont tenus, mais cette liberté-là inclut le droit de se tromper. C’est extrêmement problématique que l’Université se mêle de ça, et c’est pour ça qu’on a déposé un grief», avait ajouté M. Lampron.

Notons cependant que les réactions à la suspension de M. Provost — et il y a fort à parier qu’il en sera de même du cas de M. Derome — sont tombées des «deux côtés de la clôture», comme on dit. Si plusieurs ont vu la sanction comme une attaque contre la liberté académique, il s’est aussi trouvé des gens très sérieux pour l’approuver. Ce fut le cas, par exemple, du médecin bien connu du public David Lussier, qui a félicité l’UL «pour son leadership dans la lutte contre la désinformation scientifique», alors que le clinicien-chercheur en immunologie André Veillette a plaidé pour un usage «responsable» de la liberté académique.

«La liberté académique implique de pouvoir faire des recherches sur les sujets de notre choix, puis d’émettre des opinions d’experts, BASÉES sur des résultats probants. Cela n’inclut pas le droit d’émettre des opinions ésotériques qui ont été invalidées par d’autres», a pour sa part ajouté Mathieu Ferron, directeur de l’Unité de recherche en physiologie moléculaire de l’Institut de recherche clinique de Montréal.