Chronique|

Ne touchez pas à mon école!

CHRONIQUE / À quelques mois des élections provinciales, le mouvement École ensemble a présenté au début du mois de mai un plan qui vise à changer en profondeur le système d’éducation. C’est un plan qui a du courage, beaucoup de courage.  Du guts!  Et ça fait réfléchir.


En toute transparence, j’ai une enfant qui a fait ses études secondaires dans une école publique, et une enfant qui fait ses études dans une école privée, parce qu’on leur a laissé le privilège de choisir leur école.  Parce que oui, c’est un privilège que d’avoir le choix d’une école.

Est-ce que j’ai été mieux servi dans l’une ou l’autre?  Non.  C’était pas mal pareil. Mais surtout, ça ne m’a pas enlevé ma capacité à réfléchir à l’égalité des chances.

Mais c’est toujours difficile de réfléchir au-delà des émotions quand il est question du financement des écoles privées. Quand il est question du choix des écoles tout court.

Pourquoi?  Probablement en partie parce que les parents qui choisissent l’école privée pensent qu’elle est meilleure que l’école publique, qu’elle va offrir mieux que l’école de quartier.

Or, la formation des enseignantes et des enseignants n’est pas différente pour les écoles privées et les écoles publiques. Il n’y a qu’une formation des maîtres. Donc la qualité des enseignantes et des enseignants est la même dans les deux systèmes. Ce qui peut faire une différence dans les pratiques enseignantes et faciliter l’innovation pédagogique, par exemple, c’est le soutien de la direction et de l’équipe-école, entre autres. Mais ces soutiens ne sont pas exclusifs à l’école privée. 

Le choix d’une école est un privilège. Et c’est un privilège très urbain. Parce que dès lors qu’on fait quelques heures de route en dehors des grands centres, cette possibilité n’existe pas.  Quand on grandit à La Sare, à Maniwaki, à Sainte-Adèle, à Paspébiac, on va à l’école de quartier, au primaire comme au secondaire. Il n’y a qu’une seule option. Et ce n’est pas une mauvaise option. Sans quoi ce serait dire que tous les enfants des régions éloignées auraient eu une mauvaise option de scolarisation.

Ensuite, c’est aussi un privilège de riches, désolée de le dire ainsi, mais il faut avoir les moyens financiers pour inscrire son enfant dans une école privée. Ou faire des sacrifices. 

Donc, ce sont les gens aisés financièrement des centres urbains qui peuvent inscrire leurs enfants dans une école privée. En général.  Et oui, bien sûr, il y a des exceptions.

Les écoles privées acceptent de plus en plus d’élèves en difficulté, offrent des bourses pour des jeunes dans le besoin. Oui, mais c’est aussi pour remplir leurs classes.

Mais qu’est-ce qui différencie donc les écoles privées des écoles publiques? La composition des groupes et les bâtiments.

La composition des groupes y est clairement plus homogène que dans les écoles publiques. Oui oui, on est pour la diversité, mais pas dans la classe de notre enfant. Parce que ça pourrait le ralentir.

Mais ça, le rythme d’apprentissage, c’est une question de pédagogie au quotidien. C’est aussi une question d’apprendre des choses différentes, comme l’entraide, la patience, la tolérance, etc.

Les bâtiments : c’est vrai qu’elles sont belles les écoles privées… mais elles coûtent cher à entretenir aussi. Est-ce que c’est ce qu’on souhaite comme société, financer des belles bâtisses pour une portion d’enfants?

Pendant que des écoles de quartier s’effondrent.

Lors de la publication de ma dernière chronique, vous avez été plusieurs à me parler de vos impôts : «Je paie des impôts alors j’ai le droit de choisir» Ce raisonnement est difficile à accepter. Tout le monde paie des impôts, mais tout le monde ne peut pas choisir. Parfois, on ne peut pas choisir pour des raisons financières, parfois parce que le choix n’existe pas dans notre patelin et encore pire, parce que notre enfant n’est pas assez bon. Voilà, c’est ça le pire. 

Pour ceux et celles qui me lisent depuis un certain temps, vous savez que je crois aux sports, à la musique, au théâtre, mais vous savez aussi que je pense que chaque enfant devrait pouvoir faire le choix d’un programme particulier en fonction de ses intérêts et d’un certain talent et non pas en fonction de ses résultats scolaires ou des moyens financiers de la famille. Des écoles ont fait ce pas, à Montréal, à Magog, etc. Bravo. C’est signe que c’est possible.

Je crois aussi en l’école de quartier, parce que lorsqu’on parle de l’école de quartier, on parle d’une communauté. On parle de cette nécessaire collaboration école-famille-communauté. 

Maintenant, si le Québec faisait le choix de ne plus financer l’école privée, il y aurait quand même quelques problèmes logistiques à régler : où mettre les enfants qui n’iront plus dans ces écoles faute de moyens? Parce qu’il faut se le dire, ce n’est pas comme si on avait de l’espace en masse dans nos écoles publiques en ce moment. L’idée avancée par le mouvement École ensemble n’est pas folle : conventionner les écoles privées pour qu’elles demeurent subventionnées et cesser de subventionner complètement celles qui refusent de l’être. Une partie des écoles privées deviendraient ainsi publiques et gratuites, avec leurs beaux bâtiments et leurs personnels déjà en place, ce qui augmenterait le nombre d’écoles de quartier.

Je pense aussi à tous mes amis qui enseignent depuis longtemps dans le réseau privé, parce que ça prend aussi des enseignants et des enseignantes qui enseignent dans ce réseau. Ce serait désolant de les voir perdre leur ancienneté pour une affaire d’État. Quand ils sont sortis de l’université, il y a environ 25 ans, les jobs ne pleuvaient pas comme aujourd’hui.  On était loin de la pénurie qu’on vit actuellement. Et ils ont fait le choix d’enseigner. Ils ne peuvent donc pas être perdants sur toute la ligne.


Mais tsé, avant que Québec prenne une décision aussi courageuse… on pourrait déjà avoir vendu la peau de l’ours pour financer l’école de nos petits.


Est-ce que je suis pour ou contre les écoles privées? Je ne suis ni pour ni contre. Est-ce que je suis pour ou contre le financement des écoles privées par le gouvernement? C’est plus difficile pour moi. Pour tout ce que j’écris depuis deux ans, mais fondamentalement pour l’égalité des chances pour toutes et pour tous. Pour la diversité qu’on retrouve dans la vie, comme on devrait la retrouver sur les bancs d’école. Pour le vivre ensemble.

Vous pouvez me lancer des roches maintenant. Parce que j’aurai osé réfléchir à voix haute au financement des écoles privées, même si j’y envoie mon enfant. Mais de grâce, si vous souhaitez m’insulter, le mot «grosse» n’est pas adéquat. Petit boulotte serait plus juste.  Le texte de Mikaël Bergeron est éloquent à ce propos :

Je prends congé pour l’été. On se revoit en septembre.