Chronique|

La littérature peut-elle être scientifique?

CHRONIQUE / L'anglicisme «littérature scientifique» me semble avoir été propagé par la COVID-19… Pourtant, les publications scientifiques n’ont rien de littéraire dans le style [Luc Trudel, Shawinigan].


Tout comme vous, j’ai appris à l’université qu’en français, le mot «littérature» devait être réservé aux œuvres écrites (mais aussi orales) ayant une certaine valeur esthétique : le roman, la poésie, le théâtre, le conte, la chanson, la nouvelle littéraire, l’essai, la correspondance (le genre épistolaire), etc. Sinon, on tombait dans l’anglicisme.

Mais j’ai commencé à douter quand j’ai entendu Charles Tisseyre utiliser la locution «littérature scientifique» dans l’émission «Découverte». Comme les services linguistiques de Radio-Canada demeurent une référence dans l’univers médiatique (ça ne veut pas dire qu’ils n’échappent jamais d’erreurs, mais c’est probablement le média canadien qui a investi le plus de ressources dans ce créneau), ils n’auraient pas laissé passer cette faute. Même constat pour «Le pharmachien», qui parle de littérature scientifique dans presque toutes ses émissions.

J’ai donc fouillé un peu plus, pour découvrir que le Grand dictionnaire terminologique comporte une fiche datée de 2003 et confirmant que le mot «littérature» peut être utilisé pour désigner l’«ensemble des publications et des autres sources documentaires traitant d’un sujet ou d’un domaine particulier».

En réalité, cet usage est accepté depuis beaucoup plus longtemps, nous indique le Trésor de la langue française, qui le relève dès 1758.

On peut aussi recourir à «littérature» en musique quand il est question de l’ensemble des œuvres composées pour un instrument particulier, un genre musical précis, un style donné (c’est toutefois «répertoire» qu’on entend presque toujours dans ce contexte).


«Il y a une abondante littérature sur les changements climatiques.»

«Pour ce reportage, nous avons effectué une revue de la littérature sur le sujet.»

«La littérature médicale sur cette maladie très rare est quasi inexistante.»

«Ce compositeur a beaucoup contribué à enrichir la littérature pour violon solo.»


Cependant, un usage abusif demeure : quand on emploie le mot «littérature» pour parler de simples documents, brochures, prospectus ou dépliants.

 

«Tu voulais en savoir plus sur l’adoption? Regarde, j’ai trouvé de la documentation en ligne [et non "de la littérature"].»

«Je me demandais ce qu’il y avait à visiter dans le coin et la personne au bureau d’information touristique m’a donné plein de dépliants [et non "de littérature"].»

«J’ai reçu par la poste un prospectus sur le nouvel édifice de 60 logements qui va bientôt se construire [et non "de la littérature"].»


Bref, il faudra vous y faire. Mais j’y suis arrivé, donc ce sera possible pour vous aussi.


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«À deux reprises, j’ai entendu un journaliste dire : "Il a fait une maladie." Est-ce nouveau de s’exprimer ainsi [Micheline Langlois, Québec]?»


Le verbe le plus couramment employé avec le mot «maladie» est évidemment «avoir». On a la grippe, on a eu la varicelle quand on était petit, on aura la COVID-19 si on ne respecte pas les consignes sanitaires. Maintenant, ce n’est pas parce qu’il y a des verbes plus usuels que les autres sont forcément proscrits. Et comme nous sortons de deux années où il a énormément été question de maladie, il est un peu normal que les journalistes et les animateurs aient cherché des façons de varier leur vocabulaire.

Heureusement pour vous, ma collègue de La Presse Lucie Côté, conseillère linguistique, a déjà écrit sur le sujet. Oui, «faire une maladie» est une tournure beaucoup moins fréquente, mais elle figure quand même dans certains dictionnaires, note-t-elle, dont le Petit Robert.

Ce que j’observe toutefois, c’est que l’on semble utiliser «faire la maladie» lorsqu’on souhaite ajouter une forme de valeur temporelle à cette maladie, par exemple en situant dans le temps le moment où on l’a eue, ou en la présentant comme une sorte de phase ou de passage (il fut une époque où les maladies infectieuses étaient une étape quasi obligée de l’enfance).


«Depuis le début de la pandémie, on compte maintenant 1950 Estriens ayant fait la COVID-19.»

«Votre mari a-t-il déjà fait la rougeole?»


Contrairement à «avoir», qui est un verbe d’état, «faire» est un verbe d’action qui donne l’impression que la personne atteinte a traversé activement une épreuve.

Si vous êtes du genre à voir des anglicismes partout, je vous rassure : cette tournure ne vient pas de l’anglais. Dans cette langue, on utilise aussi majoritairement le verbe «to have» ainsi que d’autres verbes similaires au français comme «catch» («attraper») ou «suffer» («souffrir»). On peut également choisir «contracter» ou «développer». Bref, les options ne manquent pas si le verbe «faire» vous horripile.

Au départ, mon réflexe était de vous répondre que «faire une maladie» était sûrement acceptable vu qu’il existe déjà l’expression figurée «en faire une maladie», au sens d’être très contrarié par quelque chose. Sauf qu’en y repensant, je me suis aperçu que ce n’était pas tout à fait la même chose : on parle de faire «de quelque chose» une maladie.


«Si elle savait ça, elle en ferait une maladie!»

«Tu veux ou tu veux pas? / Tu veux, c’est bien, si tu veux pas, tant pis / Si tu veux pas, j’en ferai pas une maladie.»


PERLES DE LA SEMAINE

Examens finaux... et réponses de débutants.


«Un litre contient un nombre incroyable de centilitres et de millilitres.»

«Un demi-litre peut être divisé en deux doses de cinquante centilitres.»

«Un thermomètre sert à mesurer les murs avec une bulle d’air.»

«On mesure le temps qu’il va faire avec un barreaumaître.»

«Une année-lumière est une année où il fait beau.»


Source : Le sottisier du collège, Philippe Mignaval, Éditions Point, 2010.


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